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C’est Verdun, cette boîte, pendant l’année 1916 !

* * *

Ils sont faciles à prendre, les costauds du Grand Valdingue mais il faut leur reconnaître une chose : ils savent tout de la taule. Les jeunastres que je souhaite rencontrer, non seulement ils les connaissent, mais ils savent où ils ont leurs assises dans ce lieu de perdition.

Mon gorille contusionné se rend dans un recoin du local, sorte de chapelle privée où une dizaine de jeunes loques folâtrent sur des banquettes basses. Ils n’ont, pour éclairage, qu’une bougie plantée dans un goulot de bouteille crépie de jus de chandelle.

L’homme me souffle à l’oreille :

— La Raclette, c’est le tout petit rouquin qui ressemble à un singe, Fernando, c’est le brun avec des gros grains de beauté autour du nez, Domino, c’est celui qui porte une veste de cuir sans manches et qui a la boule à zéro.

— O.K., mec, merci. Oublions nos légers différends.

Je lui vote une claque absolutrice dans le dos et me mets à jauger la situasse en garçon réfléchi qu’il m’arrive d’être quand je parviens à dominer mes élans fougueux.

Les trois lascars sont en compagnie d’un quatrième beaucoup plus vieux qu’eux, aux manières efféminées. Deux filles les accompagnent : des pétasses réputées de qualité inférieure. Jupes ras-de-touffe, faux diam dans une narine, cheveux qui orange ardent, qui violet épiscopal. Tu mords le topo ? Moi, des bûcheronnes comme ça, j’en voudrais même pas pour me faire feuille de rose !

Ayant bien manigancé mon scénario, je m’approche de leur table et touche l’épaule de Domino, le cosaque scalpé de la coiffe. Il se retourne, l’air instantanément mauvais, comme si cet attouchement risquait de lui flanquer le Sidoche. Je me penche sur sa délicate oreille ourlée qui me rappelle un topinambour que j’ai beaucoup aimé.

— Tu vas ramasser Fernando et la Raclette et me rejoindre devant la taule, gars. C’est de la part d’Hervé et ça urge mochement. Vu ?

Sans attendre de réponse, je me fonds dans l’obscurité, comme ils disaient dans les feuilletons à dix centimes le fascicule (ou la livraison, au choix).

Une fois dehors, je n’ai pas longtemps à attendre. A peine ai-je récité trois pater et deux ave qu’apparaît mon trio fatal. Ils poussent des frimes sinistros, les gus. Semblent anxieux.

Pour renforcer mon air énigmatique, j’ai mis des lunettes noires. Les deux paluches dans les poches à la mal au ventre de mon blouson, je me tiens droit et imperturbable en mâchouillant une allumette, comme je l’ai vu faire dans tant de productions cinématographiques de série petit « c ».

— Qu’est-ce y s’passe ? demande Domino.

Il est aussi large que haut, façon meuble bressan en bois fruitier.

— Venez !

C’est tout.

Je les guide à ma Maserati sans un mot. Il me semble les entendre flouser dans leurs frocs, ces terreurs. Je leur fait signe d’y prendre place et me fous au volant. La qualité du véhicule les intimide plus encore que mon personnage. Le temps qu’ils s’installent, je peux mater leurs pauvres frites à la lumière du plafonnier. C’est peut être des méchants, mais pas des vaillants.

A peine ont-ils claqué leurs portières que je décarre à toute pompe, style Grand Prix de Monaco, de manière à leur coller le dos à leur siège.

Il est près d’une plombe du mat’ et Paris se vide un peu. Je champignonne jusqu’à l’agence. Parvenu à destinance, je file ma pompe sur le trottoir.

— Descendez !

Ils me suivent en silence dans nos locaux. Tu croirais que je les conduis au casse-pipe. Ayant délourdé, je leur indique d’entrer et ils filindiennent jusqu’au bureau-salon-salle-de-conférence. J’allume une seule loupiote sur le burlingue, une lampe hallucinogène (comme dit Mister Mastar) à la lumière clinique. Les gueules qu’elle révèle sont pas frivoles. Je vais prendre place dans mon fauteuil pivotant, pose mes talons sur le meuble et croise mes mains sur mes noix. Et puis silence.

Là, ils fléchissent de plus en plus du mental, les trois zigomars.

Domino qui, décidément, semble être la tête rasée pensante de cette troïka de zozos, croasse après un temps insoutenable au cours duquel le silence devient sifflant :

— Hervé doit venir ?

— Pas ce soir.

Alors là, ils se sentent orphelins sur les bords !

— Vous êtes qui ?

— Devine !

— Un chef ?

— Tu brûles.

Le tordu scalpé se ramone la tuyauterie.

— Y a du nouveau ?

— Presque.

Je soupire :

— Hervé a été balancé.

Ils sursautent.

— Balancé ! disent-ils en trois exemplaires authentifiés.

— Balancé, répété-je.

— Par qui ? demande Fernando.

— C’est ce que l’Organisation m’a chargé d’établir. Je tire mon feu de mon bénouze, très Le shériff sifflera trois fois, souffle sur le canon, avant de le fourbir, de ma manche, puis le dépose devant moi.

— On va à des sanctions, les gars, fais-je négligemment. Y a des malins qui ne finiront peut-être pas la nuit !

Je vais prendre une bouteille de vodka dans mon petit réfrigérateur de bureau. Me verse un verre, tout de suite embué et le vide cul sec. Le héros se tape toujours un gorgeon avant le massacre. Ils suivent mes moindres gestes comme si je jonglais avec des grenades dégoupillées. Je fronce les narines.

— Y en a qui ont déjà commencé de se répandre dans leurs guenilles ; le sphincter, c’est ce qui se relâche en premier chez les mauviettes. Vous savez ce qu’est le sphincter, au moins ?

La Raclette répond :

— L’oignon ?

— T’as gagné, Petitou.

— Je suis en seconde année de médecine, il murmure, comme si cette révélation devait lui valoir une mesure de clémence.

Je me lève :

— Je vais commencer par toi, le Tondu. Les deux autres, suivez-moi !

Ayant récupéré une paire de menottes dans un tiroir, je les conduis dans la pièce voisine et les enchaîne l’un à l’autre après avoir fait passer la chaîne du cabriolet grand sport derrière le tuyau du chauffage central, ce qui est une méthode vieille comme le roman policier. Déjà, à l’époque d’Hugues Capet, on procédait de la sorte dans les polars écrits en gothique. Ensuite, je leur placarde un rectangle de sparadrap sur le museau.

— Si vous l’arrachez avec votre main libre, je vous déchausse toutes les dents à coups de crosse, promets-je.

Là-dessus, je reviens à Domino. Il aurait pu mettre les adjas pendant ma courte absence, mais non, tu penses : il a bien trop les foies pour tenter quoi ce soit.

— Bon, je t’écoute, Domino.

Effaré, le loustic.

— Mais j’ai rien à vous dire, il déplore.

— Mais si ! Tu commences par le commencement et tu déroules en essayant de ne rien oublier.

— Quel commencement ?

— Où, quand et comment tu as connu Emeraude, Hervé, le reste des copains. Ce que vous avez fait, les uns et les autres. Tu n’oublies rien, surtout.

Je me dis que je dois absolument ponctuer par du théâtral. Tout est dosage dans la vie, tu comprends ?

Je vais prendre une paire de gants dans mon bureau. Des gants de pécari noir avec des ronds découpés sur le dos de la main à l’emplacement des phalanges. Très lentement je les enfile. Il me regarde avec des lotos exorbités. Je pense que c’est décidément cézigue qui a dû flouser dans son bénoche parce que ça fouette de plus en plus.

CARTE BLANCHE