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Retour à mon bureau.

Achille survole Beau-Philippe comme un condor des Andes la charogne d’un mulet mort.

— Antoine, mon gamin, fait le Daron, il va falloir me trouver un seau d’eau et le vider sur le sale museau de cette fiotte ! Son évanouissement prolongé me tape sur le système ! Sont-ce là les manières d’un sous-directeur de chez nous ? Il va me débarrasser le plancher, l’immonde, avec son pot défoncé ! Je finirais par attraper le sida rien qu’à le regarder, ce sodomite ! Des années, Tonio ! Des années à supporter cet emmanché, sous prétexte qu’il a pompé je ne me rappelle plus quel Premier ministre et qu’il a fait prendre des photos ! Il va ramasser son rouge à lèvres et sa boîte de Tampax et s’évacuer dare-dare, je vous le promets !

— Non ! Non ! Je vous en supplie, Achille ! râle l’évanescent.

— Mais il vit ! tonne le Flamboyant. Et mieux encore, il parle ! Puisque vous pouvez parler, vous pouvez entendre, misérable lopette ! Honte de notre corps d’élite ! Dites, il suçait des gitans dans son bureau qui fut le mien jadis ! Se faisait mettre par l’inspecteur Mormoil, un ancien légionnaire ! Feu le brigadier Poilala les avait surpris un jour en train de bien faire ! Vous avez du papier, Antoine ? Je veux qu’il m’écrive sa démission ici même, le protégé ! Protection mon cul, Philippe Dumanche-Ackouihl !

« Asseyez-vous. Rédigez ! Allons, pressons ! Et vous, San-Antonio, qu’attendez-vous pour faire embarquer les larves d’à côté ? »

Je bâille à m’en décrocher le bénouze.

— Les embarquer, d’accord, mais où, patron ?

— Comment, où ! Mais à la P.J., bien sûr.

— Monsieur le directeur…

Il est déconcerté par ma lassitude, mon brusque accablement.

— Ça ne va pas ?

— Réfléchissez…

— Pardon ?

— Si l’affaire est connue, les vrais terroristes auront gagné, car c’est la police qui supportera tout le poids du scandale. La fille de son sous-directeur compromise ! Et le sous-directeur soi-même puisque c’est lui qui, indirectement, a renseigné l’Organisation à propos du piège Bérurier…

— Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! cinq-dernières-minutes-t-il, soudain frappé par la terrible évidence.

— Vous sauterez avec votre adjoint, boss !

— Ah ! non, pas ça ! Moi, l’honneur vivant de ce corps admirable !

— Vous y serez contraint ! insisté-je avec une cruauté formidablement dégueulasse.

Un silence épais comme le ventre d’un lutteur japonais nous écrase. Beau-Philippe me contemple ardemment, ayant réalisé que je représente son unique planche de salut. Il m’adresse une langue de velours, à la dérobée. Me promet la lune : la sienne, et celle de notre putain de galaxie. Des reconnaissances suprêmement délicates et extravagantes déferlent dans sa prunelle comme bourrasques d’hiver dans la toundra. Il me fera feuille de rose, c’est juré ! Et les cils ravageurs sur le gland. J’aurai droit à la danse du sabre sur mon pénis préalablement flatté. Il se mettra en tutu rose, rien que pour moi. Se laissera enfourner devant moi par la garde républicaine grecque, juste pour m’amuser. Le doigt dans l’oigne ? Alors là, comment donc ! Les dix, pour jouer au mille-pattes géant.

Achille émet une espèce de bref hennissement. Il a une flambée de rage ardente comme les nuées volcaniques accompagnant une éruption. Il s’approche de son sous-fifre et se met à hurler :

— Non, mais c’est bien pour dire de faire chier le monde !

Un mot pareil dans sa bouche académique ! Lui, si bien élevé, courtois de partout, mondain à se pisser parmi !

— Un enculé de merde, San-Antonio ! clame-t-il en désignant « Beau-Philippe ». Un pompeur de nœuds qui pue le foutre quand il rote ! Mais qu’est-ce qui lui a pris de se marier avec une vraie femme et de lui faire des enfants ! Il a des instincts contre nature, cet immonde ! On ne lui demandait qu’à se laisser empétarder par tous les crouilles de Paris, nom de Dieu ! Et il vient nous faire une fille ! Une gueuse porteuse de malédiction ! Une passionaria de pissotières ! Une égérie pour malfrats des fortifs ! Une salope salopière qui vient jeter la mort et l’opprobre sur ma chère police française !

Il flanque un coup d’escarpin dans les chevilles de son adjoint.

— Et maintenant nous voici coincés. Penchés sur un océan de honte ! Prêts à y tomber. Il veut quoi, cet affreux pédé ? Mon suicide ? Il l’aura ! Mais que la première balle soit pour lui, au moins ! Et qu’il se la tire dans le cul, San-Antonio ! Le canon dans l’anus pour un ultime coït ! Oh ! que je le hais ! Oh ! que je le déteste complètement ! Ça vous ennuierait de me le suicider ? Il n’aura jamais le courage de le faire lui-même, vous pensez, gonzesse à ce point ! Quand on a un derrière qui sert de brouette à betteraves, l’ultime sens de l’honneur, fume ! Tuez-le-moi, Antoine, je vous en supplie ! Je vous ferai nommer sous-directeur à sa place ! La médaille du… cela s’appelle comment déjà, leur connerie pour laquelle ils se bousculent au portillon, tous ? Le Mérite ? Oui : le Mérite ! Elle est à vous, Toinou ! Videz-lui un chargeur entre les miches et je vous donne la mienne. Pas besoin de lui faire poser son pantalon, vous tirerez à travers l’étoffe. Oh ! Seigneur, pourquoi m’as-Tu abonné ? Je veux dire, abandonné ? Je vais à la messe chaque dimanche, pourtant, non ? Je fais mes Pâques, merde ! Je prie presque tous les matins aux toilettes, vrai ou faux, Seigneur ? Non, mais je Te pose la question ? Je fais le bien autour de moi. Un aveugle sous un porche, je ne lui ôte même pas ses lunettes noires avant de lui donner une pièce pour vérifier qu’il l’est vraiment. Non, la largesse, spontanément. Quand mon valet de chambre m’apporte le Figaro au lit, avec mon petit déjeuner, je lui dis « merci ». Parfaitement : « merci ». Et qui donc m’y oblige du moment qu’il est payé pour ça ? Et c’est à moi que Tu fais ça, Seigneur tout-puissant ? A moi, Ton serviteur le plus zélé malgré sa situation ? C’est moi que Tu propulses dans la déchéance, Seigneur ? C’est pour m’éprouver ou quoi ?

Il prend sa tête ripolinée à deux mains et ferme les yeux pour, un bref instant, fuir cette maléfique planète où nous promiscuitons si bassement.

— San-Antonio, balbutie-t-il dans un souffle. San-Antonio, mon disciple, mon bébé, tu vas me sauver, dis ? Tu vas trouver une solution à cette horreur ? Dans la société maghrébine, Antoine, le fils se doit au père. Comme c’est beau. Nous ne sommes certes pas des enviandés de ratons, toi et moi, pourtant empruntons-leur ce qu’ils ont de bon ! L’unique élément positif de cette race c’est son sens du devoir filial. Tire-moi de ce mauvais pas, petit Antoine que je vénère. Sauve, enfant ! Sauve ! Sauve ! Je suis vieux, frileux et désemparé. La prostate me brime, Antoine, mon amour. Je bande moins et mou. Mes veines se font saillantes, ma peau se tavelle, ma main tremble quand je bois et quand je pisse. Ma signature déforme. D’étranges excroissances me poussent un peu partout ! Ma mémoire fait des couacs. J’oublie lentement l’horrible essentiel pour ne plus me souvenir que du merveilleux superflu. Bref, je commence à mourir sur pied, Antoine, mon cher gamin. Ah ! par pitié, freine ma chute !

Et il se jette dans mes bras.

— Vous me laissez carte blanche, patron ?

— Comment, si je vous laisse carte blanche ! Mais il est con, ce type, ou quoi ? Je vous dis d’agir ! Et vite ! Tout cela doit s’arranger, m’avez-vous compris ? S’arranger ! Je ne veux plus le savoir ! Ça y est, j’ai oublié. J’ignore tout de ce qui s’est passé. Mais qui vois-je ici ? C’est mon bon Dumanche-Ackouihl ! Cher Philippe, vous passiez ? Quel hasard ! Venez, partons ! Je vous convie à déjeuner. Allons chez Lasserre : qu’on le veuille ou pas, ça reste l’une des plus somptueuses tables de Paris. Je prendrai leur truffe en feuilletage. Rien que pour elle ça vaut le coup de demeurer fidèle à ce restaurant. On y va, cher ami ?