Faut pas en rester là, Sana ! Des moments de lumière comme celui-ci ne se produisent que très exceptionnellement dans la vie d’un dividu. Sans doute est-ce à cause de mon épuisement physique ? Krouni à mon point, je transcende du mental, probably. Cette nuit passée à interroger mes neufs garnements m’a rendu hypervoyant. Si je continue, je vais encore « voir » et puis après, je m’écroulerai pour le compte. Mort d’éblouissement !
Quand je suis venu dans son gourbi, la première fois que j’y ai trouvé Béru et la Pine, Violette avait un écouteur sur la tronche, relié au bloc du walkman. Etait-ce bien le moment d’écouter de la musique, avec trois bourdilles sur le paletot ? Elle fredonnait. Pourquoi, confusément, en la voyant agir de la sorte, quelque chose s’était-il mis en alerte dans mon ciboulot farceur ? Mais au lieu de me laisser aller, j’avais chassé l’impression, me disant que la Miss était shootée toute vive et qu’elle pédalait dans le foin. Seulement, maintenant, j’ai pigé que cet appareil la gardait en communication avec Hervé ou un complice à lui. Elle lui chantonnait ce qu’il se passait. En notre présence ! Faut le faire !
Pendant que Nicaise me roulait une pelle à tarte, j’ai eu la vision de Violette avec son écouteur. Et puis j’ai pensé : « le walkman a disparu ». Et ça m’a dérouté. Grâce à ce mode de communication continue, elle a informé son jules et cézigue lui a donné ses directives.
Probable que c’est la gosse qui a neutralisé mes rombiers en mettant du sirop d’oubli dans leurs bouteilles. Il n’a eu qu’à passer les ramasser plus tard. Mais avant de s’en aller, il a liquidé sa souris, histoire de laisser place nette sans oublier de récupérer la radio ! Béru et Pinaud étaient-ils morts quand on les a véhiculés dans les malles ? Ou seulement endormis ? Des gens qui démolissent les gardiens de la paix comme des pipes en terre à la foire du Trône, ne doivent pas s’embarrasser de scrupules. A moins que, se sentant grillés, ils ne les conservent comme monnaie d’échange pour se tirer éventuellement d’un mauvais pas ?
J’en reviens au walkman… Ce qui a attiré mon attention, la première fois que je l’ai aperçu, fixé à la ceinture de Violette, c’est sa taille. Il était de dimensions plus fortes que ceux dont se munissent les jeunes branleurs que je croise. Je me suis dit qu’il devait s’agir d’un modèle ancien. Il possédait également des boutons en surnombre. C’est fou ce que j’enregistre toutes les anomalies, sans vraiment m’en rendre compte.
Rue du Ranelagh.
La vieille bonne chenue m’ouvre. En fin d’aprème, elle se loque d’un uniforme de bonne du répertoire : robe noire, tablier blanc amidonné.
Elle me révèle que Madame m’attend dans son boudoir. Je me crois dans un roman du siècle dernier. La pièce en question est, en réalité, une sorte d’antichambre précédant la chambre de Mme Dumanche-Ackouihl. L’épouse du sous-dirluche est assise à un délicat bureau Mazarin, un peu trop marqueté pour son goût. Elle me virgule un sourire triste.
— Asseyez-vous, commissaire. M’accordez-vous trois minutes pour que j’achève une lettre importante ?
— Naturellement.
Elle m’a à peine regardé et la plume de son stylo Cartier chuchote sur du vélin d’Arches filigrané. J’ai le temps de constater qu’elle possède une merveilleuse écriture, large et souple.
M’asseoir… Elle en a de suaves ! Le boudoir exigu ne comporte que le bureau et la chaise permettant de s’y installer. Sans vergogne, je pousse jusqu’à l’intérieur de la chambre. Elle ne roupille pas avec son pédoque d’époux, Alberte, car elle a un lit d’une place, en fruitier clair, avec un couvre-pieu de dentelle blanche très jeune fille. Il existe bien un fauteuil, mais des vêtements féminins y sont soigneusement étalés ; par respect pour eux, je me dépose sur le plumard.
Ce qui se produit, je ne saurais te le dire. Je continue de penser à Violette, à mes deux camarades embarqués comme du linge sale, au walkman disparu avec eux…
Du temps s’écoule.
En ce qui concerne Hervé Cunar, il faudra que je fasse pousser sa description car il m’échappe un peu… Et en cela, je pense à Jérémie, court-circuité par Emeraude, ce grand diable noir ! « Ne l’arrête pas, je t’en supplie », me disait-il.
Je pense à ce coup raté avec Alberte, chez moi. J’étais sur le point de la trousser magnifiquement quand cette salope de Maria s’est dépêchée de me refiler l’appel téléphonique.
Je pense au chauffeur de taxi qui va brosser la femme de son pote de Noisy-le-Grand et qui la régale comme un dingue ! Tous des boucs ! La grande forniquette ! Saute-moi-dessus, je-te-sauterai-dessus ! On ne pense qu’à la bouillave, les hommes ! Et les femmes aussi ?
Et puis je pense que je ne pense plus… Ou alors au ralenti extrême.
— Commissaire !
Je me précipite hors de l’avion, dans le vide enivrant. Merde ! J’ai oublié mon parachute ! Mais je ne m’écrase pas, vu que je suis sur le lit de Mme Dumanche-Ackouihl. La pièce serait obscure si une délicate loupiote d’opaline ne dispensait une suave lumière rose. Mon hôtesse est penchée sur moi. Son visage agréable est mis en beauté par la clarté de la lampe de chevet.
Je dois pousser une frime d’ahuri car elle sourit.
— Quelle heure est-il ? articulé-je péniblement.
— Dix heures du soir ! Vous avez beaucoup dormi car vous étiez anéanti par la fatigue.
Je me redresse, confus.
— Navré, bredouillé-je.
— Pourquoi ? Je vous ai trouvé attendrissant. Vous aviez l’air d’un petit garçon.
— Votre mari sait que je suis ici ?
— Oh ! il n’est pas encore rentré. Jamais avant quatre heures du matin. Dites, je suis toujours sans nouvelles d’Emeraude, cette fois j’ai peur.
— Il ne faut pas.
— Vous êtes bon ! Si au moins vous pouviez m’apprendre où elle se trouve et ce qu’elle fait !
— Je vous le dirai bientôt !
Un aplomb, ce mec ! Tu sais que je me fais honte ? Mais il faut croire que je me montre convaincant car après m’avoir coulé un regard intense, elle acquiesce :
— Très bien, j’ai confiance.
— Alors déshabille-toi !
Le haut-le-corps de la dame ! Tu verrais ça… C’est si âpre ! Si inattendu. Sans réplique. Je lui souligne la monstrueuse protubérance gonflant mon futal.
— Tu sais qu’on peut mourir d’une turgescence pareille ? Non-assistance à personne en danger, c’est pas ton style. Je vais te faire fumer les miches comme jamais, Alberte ! J’ai tellement envie de toi qu’il me semble te connaître depuis toujours, d’où ce tutoiement intempestif.
Elle opine (déjà) avec cette gravité qu’apportent les vraies femelles aux choses de l’amour. Pourtant, elle ne se dévêt point ainsi que je l’en prie, comme dirait son éminence rarissime le comte de Paris-Banlieue. Enfin, pas comme je suis en droit de l’espérer. Mais tu vas voir, c’est vachetement beaucoup mieux ! La dame de baise, ce qui la différencie essentiellement de ta belle-sœur, ce sont ses initiatives inattendues. Alberte, elle, cueille le bas de sa robe avec le pouce et l’index de chaque main et la remonte jusqu’à sa taille. Dessous, elle a des bas avec des jarretières. Et, point essentiel : pas de slip ! Tu vas pas me dire qu’elle peut plaider le manque de préméditation, si ? La voilà troussée comme dans le bon vieux film cochon des années 30. Elle s’agenouille sur le plumard, tête (de nœud)-bêche par rapport à moi. Me reste plus qu’à la déguster. Et pendant ce temps, elle me décapsule le ziffolo dodelineur avec des soins d’emballeuse de porcelaine. Une emballeuse qui déballerait, en l’occurrence. Extraction difficile. Au point où en est mon érection, faudrait presque m’éplucher car mon calcif n’est plus un contenant mais une peau ! Juste qu’elle y parvient, le téléphone retentit.