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— Comment trouves-tu ce bordeaux ?

— Très bon.

— Tu aimes le vin ?

— Pas spécialement.

— Faudra t’y mettre, petit. Un vrai jules, ça baise en levrette et ça lichetrogne du rouquin. Ne te brûle pas la gueule avec le poêlon qu’on nous sert, il est toujours plus chaud qu’un haut fourneau. Souffle dessus.

Je le regarde bouffer gauchement. J’en aurai connu, des chiens errants, avec ou sans collier. Des petits chiots titubeurs qui gémissaient de vivre en pissant partout ! On peut pas tous les adopter ! On peut pas donner à briffer à toute la cohorte interminable. On est pressés de vivre et sans moyens. Alors, au passage, une gamelle, une caresse. Et puis en route, tout le monde, pour la crève. Chacun la sienne. La pitié, c’est juste en passant.

Je gloutonne pour le rattraper.

— Emeraude a disparu, fais-je soudain, la bouche pleine de chaleur.

Il cabre.

— Comment, disparu ?

Je lui résume. Bien succinctement.

Ensuite je nous recharge les godets.

— Si je t’ai fait sortir, Pierrot, c’est pas dans l’intention de t’empétarder, moi je donne dans le classique, mais pour que tu m’aides à la retrouver.

— Vous aider, moi ! s’étonne-t-il.

— Puisque tu l’aimes, t’en sais un max sur sa vie, ses potes, ses habitudes. Je me goure ?

Il a un acquiescement plein d’évasiveté. Il voit mal de quelle façon il pourrait m’être utile.

— Tu la baisais, Emeraude ?

Sans détour il répond qu’oui.

Malheureux, il ajoute :

— Mais je n’étais pas le seul. Elle faisait ça, comment vous dire ? Presque par devoir, est-ce que vous comprenez ?

— Oui, il me semble. Elle était l’unique fille du groupe, sa passionaria. Elle se croyait obligée d’accorder son exquis petit cul à chacun de ses hommes.

— C’est ça, exactement, soupire Pierrot.

Il a dû en baver, le môme, lui qui l’aimait d’amour. Il a souvent dû chialer dans les coins et déchiqueter son mouchoir à belles dents.

La compréhension dont je lui fais preuve renforce la considération qu’il a pour moi. Voilà qu’il se met à me regarder avec une espèce de ferveur. Il attendait mieux de l’existence que ce qu’elle lui a proposé jusque-là. Des coucheries éperdues… Celles de sa mère, celles de son amoureuse. Lui qui tant avait besoin d’absolu.

— Cunar aussi l’a sautée ?

— Je ne sais pas, peut-être.

— C’est quel genre d’homme, cet Hervé ?

— Un dur, à l’élégance sportive ; il a une certaine manière de vous regarder qui vous fait froid aux miches…

Il rêvasse et balbutie :

— Naturellement qu’elle a dû coucher avec lui aussi, et même il y a probablement passé avant les autres !

Après l’Adagio, c’est le Concerto pour deux mandolines de Vivaldi. L’ambiance se creuse, devient plus veloutée. Quelques comédiens plus ou moins connus s’installent à la table voisine de la nôtre.

— Ces parties de fesse, Pierrot, où s’opéraient-elles ? Tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre ou toujours au même endroit ?

Voilà une bonne question, tu vas t’en rendre compte.

— Cunar nous prêtait un studio dont il ne se servait plus depuis qu’il vivait chez Violette…

Pardi ! Il facilitait les échanges sexuels, le sale démon ! Plus il y aurait collusion entre ses dix apôtres, plus les mômes seraient enferrés dans l’histoire. Le jour où ça craquerait, ils seraient les seuls à assumer le désastre !

Tu vois, à cet instant, je me dis que si je parviens à lui mettre la main au collet, le bel Hervé, ça se passera pas bien, nous deux. Il sera moins séduisant après notre converse.

J’ai tout à coup une nouvelle lueur de génie. Quand je dis une lueur, c’est par modestie. En réalité c’est le vrai rayon laser ! Le projo de défense antiaérienne !

— Ce studio, Pierrot, il ne se trouverait pas dans le quartier des Batignolles ?

Le Roméo marque sa stupéfaction en s’arrêtant de claper sa cuisse de rabbit.

— Si. Il est au 116 du boulevard des Batignolles. Au rez-de-chaussée, au fond de la cour.

Je ferme les yeux pour savourer la qualité du succès. C’est bon, le civet de lapin avec du Vivaldi.

* * *

Pierre Poljak me regarde bricoler la porte casher avec incrédulité. Se croit en compagnie d’Arsène Lupin ou du Saint, le gamin. Il ignorait que ça se pratiquait encore, des méthodes pareillement désinvoltes.

Quand ça s’ouvre il salue l’exploit d’un léger sifflement entre ses dents du bonheur.

Je pénètre dans l’immeuble à sa suite et repousse le lourd vantail sans toutefois laisser jouer le pêne. La loge de la pipelette est obscure. Une lanterne de laiton, aux verres bombés, dispense une lumière un peu morose sous le porche. En deçà, la cour est obscure. Quelques bagnoles appartenant sans doute à des locataires sommeillent le long de plates-bandes fleuries.

— Toujours décidé, Pierrot ? interrogé-je à voix feutrée.

Il opine.

— En ce cas vas-y !

Il franchit l’espace à l’air libre pour s’engager dans un second immeuble, lui aussi éclairé par une lanterne. Dans le second hall, il y a un escalier de pierre, à droite, et un ascenseur hydraulique à gauche. Au fond, on aperçoit une porte basse, située en contrebas. Je choisis une planque, entre deux bagnoles, m’assieds sur la bordure de ciment protégeant la plate-bande et m’enfonce un écouteur dans l’oreille. Un mince fil noir unit ledit à un récepteur noir que je porte en sautoir sur la poitrine. Pierre Poljak détient l’émetteur et je forme des vœux ardents pour qu’il ne soit pas fouillé. Je le lui ai carré tant mal que bien dans le jean, sur le côté, le fil noir remontant sous son pull de marine, avec la minuscule tête de micro, à peine plus grosse qu’une mouche, piquée dans la laine du vêtement.

Brave petit mec ! Je ne m’étais pas trompé en le jugeant digne d’intérêt. Des burnes grosses comme des potirons ! Si je l’avais avec moi, j’en ferais quelqu’un, sans forfanterie.

Depuis mon poste d’observation, je le vois aller à la porte au fond du deuxième hall. Il y toque sur un rythme particulier. Pas fort, mais je perçois les heurts depuis la cour, grâce à nos appareils.

Un moment s’écoule ; il réitère.

Mon battant cigogne mes cerceaux à tout-va, comme lorsqu’on pressent un grand malheur. S’il arrive un sale turbin à ce petit greduche, je ne me le pardonnerai jamais !

Pierre frappe encore, obstiné. Et alors, le miracle espéré se produit. Un léger bruit de serrure savante, puis j’aperçois la porte qui se décolle du mur. Dans l’entrebâillement, je ne peux rien distinguer car on a coupé la luce avant d’ouvrir. La personne qui s’adresse à Poljak est plongée dans le schwartz :

— Qu’est-ce que c’est ?

Voix d’homme, avec un accent loukoum.

— Il faut que je parle à Hervé ! chuchote Pierrot.

— Connais pas ! Vous devez vous tromper !

On repousse la lourde, mais le môme interpose de tout son poids.

— Non, attendez, c’est très grave ! Je me suis sauvé de la P.J. ! lance-t-il à la desperado.

Là, il marque un point car l’huis se rouvre un chouia.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demande la voix.

— On nous a tous arrêtés, tous les neuf, la nuit dernière et on nous a conduits à la P.J. où nous avons été enfermés. Cette nuit, j’ai fait semblant de me pendre. Les autres ont appelé à l’aide et des gardiens m’ont conduit à l’infirmerie. C’est de là que je me suis sauvé. Je ne sais pas où aller, je n’ai pas d’argent et si je rentre chez moi on viendra m’y arrêter. Il n’y a qu’Hervé qui puisse me dépanner.