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Il joue sa partition au poil, Pierrot. On devine l’excitation et la peur dans ses paroles. Il a le débit haché, le ton proche de la supplication.

— O.K., entre !

Bruit de la porte refermée. Un silence.

L’homme à la voix loukoum balance un truc en arbi. Un second virgule dans la langue du prophète. Puis Poljak s’écrie :

— Emeraude !

Mon raisin monte la pression et j’ai du brûlant dans la poitrine. Emeraude ! Ici.

Le garçon continue :

— Pourquoi l’avez-vous attachée et bâillonnée ?

— Parce que c’est une salope ! répond paisiblement l’Arabe qui a délourdé.

— Et ce type noir, là ? continue Pierrot, histoire de m’informer.

— Un flic.

— Il est mort ?

— Pas encore, pas en plein !

— C’est vous qui l’avez arrangé comme ça ?

— Oui, et ce n’est pas fini. Attends qu’il retrouve ses esprits ! Tu t’appelles comment, l’ami ?

— Pierre Poljak. Je fais partie du « Mouvement ». Je vais pouvoir rencontrer Cunar ?

— On verra. Ce sera à lui de décider. Qu’est-ce qu’ils vous voulaient, les flics ?

— Ils savaient que nous avions tué les gardiens de la paix.

— Ils vous ont interrogés ?

— Oui.

— Et vous avez avoué ?

— Certains d’entre nous ont reconnu les faits.

— Parce que vous êtes des petites merdes ! assure l’Arabe en riant.

Lui, ça le botte, cette nouvelle des aveux. Elle cadre pile avec leur petite machination. Juste ce qu’ils souhaitaient.

— Ils vous ont donné à manger, les poulets ?

— Deux sandwiches en vingt-quatre heures !

Parallèlement, les deux Arabes jactent entre eux, volubiles. Feu roulant. Celui qui parle le français empiète sur la jacte de son pote pour questionner Pierrot. J’éprouve comme un malaise. Le vague sentiment qu’on croit mal à l’évasion du môme.

— Vous pouviez fumer à la P.J. ?

— Bien sûr que non : on nous a tout pris.

Pourquoi ces questions « marginales » ? Je pressens qu’elles ne sont pas gratuites.

— Alors tu n’arrives pas du Dépôt, déclare brutalement l’Arabe, non plus que de l’infirmerie. Tu sens la fumée, tu sens la cuisine parce que tu sors d’un endroit où les gens bouffaient et fumaient. Ouvre ta bouche !

— Mais, je…

— Ouvre ta bouche !

Je perçois un reniflement d’une puissance insolente.

— Tu viens de boire du vin ! Déshabille-toi ! Je me gaffais que ça allait se gâter.

— Fais vite ! Et si tu as un geste malheureux, je te fais cracher ta cervelle. Tu as vu ce que je tiens ?

Bon ! Il serait temps qu’on expédie une caravane de secours à mes petits copains. Seulement, grand con intrépide, je me suis apporté sans renforts dans ce guêpier. Tenter l’abordage à moi tout seul, ça risque de tourner à mon désavantage.

Je reflue jusqu’à la loge de la cerbère où je cogne tant et plus. Une lumière finit par sourdre et un gros joufflu vêtu de son ventre plein de poils et d’un slip qui pend bas (il doit souffrir d’une double orchite) ouvre le lucarneau mobile aménagé dans la porte vitrée de la loge pour m’aboyer que « non-mais-pauvre-espèce-d’abruti-c’est-son-poing-dans-ma-gueule-que-je-rêve-de-prendre-pour-se-permettre-de-réveiller-le-monde-à-cette-heure-induse ! »

Je tente de le calmer avec ma carte de poulardin.

Mais lui, il en a rien à lancequiner. Continue ses malréveillances teigneuses, jusqu’au point de rupture représenté par ma paluche brutalement enquillée par le lucarneau et qui ramasse une poignée du fourrage garnissant sa poitrine.

— Fermez votre immense gueule de prodigieux con et appelez d’urgence Police-secours, monsieur Plein-de-Vin ! D’ici tout de suite, ça va tellement chier dans cet immeuble qu’au petit jour, votre clapier ressemblera aux ruines de Varsovie en 45.

Décontenancé, il met une sourdine à son clapet.

— Police-secours ? il répète.

— Et grouillez, bordel ! Vous n’êtes tout de même pas aussi abruti que vous en avez l’air ! Ce serait à désespérer de tout.

Je la ferme parce que, dans mon récepteur, les affaires de Pierre Poljak se détériorent à la vitesse grand V.

— Qu’est-ce que tu essaies de cacher dans ton froc ? est en train de questionner l’Arabe.

Et puis alors, là, je perçois comme un tumulte. Probable qu’un des Arbis fouille le bénouze du môme, lequel rebiffe. Des bruits de gnons, des cris. Un Arabe essoufflé tire une rafale de blablas.

— Fissa ! fissa ! je perçois. (Ou crois-je.)

Larguant le mari de la gardienne d’immeuble, je me précipite. Traverse la cour. Vais pour enquiller le second hall, mais la lourde s’ouvre à la volée et un mec basané surgit, un pistolet-mitrailleur en pogne. Il se plaque contre le mur et marche en direction de la cour. Parvenu au déboulé du hall, il s’arrête pour sonder les ténèbres. Je demeure accroupi derrière une tire stationnée. Ne constatant rien de fâcheux, il s’enhardit et traverse la cour pour franchir le hall principal. La loge du concierge est juteuse, illuminée comme une crèche. D’où je suis, j’entends le pipelet qui égosille :

— Allô ! Police-secours ?

L’Arabe perçoit la phrase aussi nettement que moi et se rue dans la loge. J’entends deux gros pets façon Béru post-cassoulet. Le pipelet vient de morfler deux bastos, dirait-on ! Lui qui dormait si bien ! Sa dame s’écrie, depuis d’ombreuses et voluptueuses alcôves :

— Mais Raymond, à la fin, qu’est-ce tu fabriques, bon Dieu !

Ce qu’il fabrique, Raymond ? Il casse sa pipe, ni plus ni moins.

Son meurtrier fonce jusqu’à la porte cochère donnant sur le boulevard. Il risque un œil dehors. Rassuré, il revient en courant. Moi, c’est mon instant d’intervention. Seulement je n’ai pas de silencieux à ma seringue et quand il débourre au fond de cette espèce de puits où je suis, l’ami Tu-Tues produit un vacarme qui rendrait insomniaque une communauté de marmottes en hibernation.

L’Arabe fait une espèce de cabriole, court encore deux enjambées et s’étale, raidoche !

Je bondis pour cramponner sa belle péteuse de cérémonie. Il convient de ne pas perdre une fraction de seconde. Me rue ensuite vers la porte basse, au fond du couloir. Elle est fermée ? Casse la tienne, je balance une volée de bastos dans et autour de la serrure. Un solide coup de pompe et ça joue.

Le studio est assez vaste, douillet, avec ses murs tendus de toile champagne, son canapé-lit moelleux. Il y a de la lumière douce, de jolies gravures au mur que ça représente des chasses anglaises plus ou moins à courre (et à court d’inspiration, parce que merde, depuis le temps qu’on voit des lords en piqueurs de mes deux coursant un pauvre goupil, ça commence à bien faire !).

Un coup de flash pour capter l’ensemble. Au sol, Jérémie, inanimé, la frite en compote, plein de sang partout. Sur le canapé, Emeraude presque nue, ligotée dûment. Sur la droite, un gros mec bistre brandit deux pistolingues à la fois. Il tient le canon de l’un braqué sur Emeraude et celui de l’autre dirigé vers la porte. En outre, il maintient contre lui le pauvre Pierrot Poljak, pas flambard du tout dans son costard d’Adam. Il a passé le bras entre celui du garçon et sa hanche, ainsi peut-il me mettre en joue à l’abri de ce bouclier vivant.

— Jette ton arme ou je tue la fille ! m’ordonne-t-il.

Il y a des hommes que tu crois à la seconde, sans laisser s’insinuer en toi le moindre doute. Convaincu qu’il n’hésitera pas à abattre Emeraude, je balance la rapière de son pote sur la moquette. Et je le fais sans regret vu que son magasin est vide, maintenant que j’ai déchiré la porte du studio. Tel que je te perçois, tu dois déjà te demander : « Et son pistolet à lui ? » Un réflexe, mec : me le suis carré dans les miches à travers mon pantalon. Je serre les noix au max, pas qu’il chût (et non qu’il enchoix, comme je l’ai lu récemment dans un bouquin de mon ami Dutourd, que, franchement, ça me surprend de lui, car, chaque fois qu’on se rencontre, il me fait réciter ma table des verbes du troisième groupe à droite quand t’ouvres ta grammaire ! Et même que « déchoir », au présent de l’indicatif, tu peux dire « il déchoit ou il déchet ». Quant à surseoir, merci bien : bonjour les dégâts ! Mais je suis là qui digresse pendant que j’ai du lait sur le feu !)