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Il hésite. Finit par soupirer :

— Ben chez moi, naturellement, mais ma clé est restée à la P.J. où l’on nous a fait vider nos poches. Et je ne suis pas certain que ma mère soit à l’appartement.

— Bon, alors viens dormir chez moi, on a une chambre d’ami.

Je conduis façon somnambule. L’éclairage urbain titube et pâlit. Quelque chose qui promet l’aurore marque le ciel au fond des rues.

Je bombe pour le plaisir d’écouter hennir mes bourrins sous le capot. Ben Hur des temps nouveaux ! Nos attelages ne font plus de crottin, mais des taches d’huile. Quand je parviens devant notre pavillon de meulière, une auréole rose cerne l’horizon.

On remonte l’allée de graviers. Comme je ne me suis pas gaffé de la clochette fixée à la grille, de la lumière éclate dans la chambre de Maria. M’man doit rentrer aujourd’hui et, à nouveau, ça sentira le bonheur quotidien dans cette maison.

J’ai pas le temps de défouiller mes clés, la porte s’ouvre. La bonne est là, dans une robe de chambre tango comportant des motifs bleus. C’est puissant comme effet, à cette heure tardivomatineuse. Ça décoiffe.

— Moussiou ! Voulez-vous manger ?

— Non, non, Maria. Conduisez ce garçon à la chambre d’ami. Vous me réveillerez à neuf heures avec du café fort et des croissants.

Je dis bon matin à Pierrot et grimpe jusqu’à ma piaule. Confusément, je perçois les pas de l’Ibérique et du môme montant dans la turne mansardée aménagée dans le grenier. Le temps de me dépecer, comme tu dépiautes un animal et je m’affale sur mon plumard, sans même l’ouvrir.

Je roupille éperdument lorsque Maria se faufile dans mon antre. Sa main rugueuse erre sur mon corps dénudé. Elle chuchote en espago des mots d’amour. J’aimerais pouvoir lui dire de me laisser tranquille, mais je n’en ai pas la force. La voilà qui me biche Zozor pleine bouche ! Ça, c’est nouveau ! Les Espanches sont pas tellement partantes habituellement pour la pipe. Faut vraiment que ce soit le tout grand amour, avec un « H » majuscule. La passion extrême ? Le délire ! Je me laisse haler. Etre épongé en état second, y a rien de plus beau. Tu veux que je te dise ? C’est encore mieux que Venise !

* * *

Lorsque je réponds à l’appel de ma gentille dévoreuse, sur les choses de neuf plombes, Pierre Poljak est déjà levé. Rasé, briqué, eau-de-cologné, requinqué à neuf. C’est beau, la jeunesse !

Il me regarde venir en souriant.

On s’en presse dix. Sa poignée de pattoune est énergique. Ça et le regard, y a rien de plus révélateur chez un homme. Le julot qui te présente une pattemouille pour te saluer et qui regarde le prunier d’en face en te parlant, tu peux en faire cadeau au syndicat des gélatineux !

Maria nous sert le caoua en trémoussant du joufflu. Elle frotte son cul de guenon contre mon bras, m’attiser les relents. Pas feignarde, la mère, pour souffler sur des brandons !

— Je me suis permis de brancher la radio et d’écouter les infos, murmure Pierrot.

— On a dû parler de nos exploits de la nuit ?

— Oui, mais il y a une grosse complication : un gardien de la paix a encore été abattu ce matin, sur le pont de Grenelle. On lui a tiré dessus depuis une voiture.

De saisissement, je lâche le croissant chaud que je venais de dénuder dans la corbeille.

— C’est pas vrai !

— Si.

Alors ça continue, et je n’ai rien démembré du tout en neutralisant les deux terroristes de la nuit ! Reste toujours Cunar. Et probablement, d’autres membres très actifs de l’Organisation Mort aux Vaches.

Ça va être coton de redresser cette peuplade, moi j’te le dis ! J’ai foutu le meilleur de nos services sur les deux Arbis morts, histoire de reconstituer leur trajectoire, mais généralement, ces gens prennent de telles précautions que les pistes ne conduisent jamais bien loin. De même, le grand dispositif de recherches est en place pour retrouver Cunar. Sa photo qu’on a fini par dénicher aux archives est diffusée tout azimut après avoir été retouchée par notre spécialiste, selon les indications des neuf mômes, car elle date d’une dizaine d’années.

Là-dessus, il fait un peu Raskolnikoff, l’enfant de salaud. Dynamiteur bulgare. La glotte comme s’il avait avalé une équerre, le regard comme des projectiles enfoncés dans une planche, les joues creuses. Paraît que, depuis, elles se sont un peu remplies et qu’il n’a plus ce regard d’halluciné. Même les terroristes s’embourgeoisent. Quand ils ont bien tué, ils s’alimentent. Le poids leur vient, donc des mollesses sournoises, des paresses feutrent leur détermination. Ils sont moins farouches et plus moelleux. A compter de l’instant où il rote, le terroriste, il entre dans la voie des renoncements. Je disperse mes songeries pour demander à Pierrot :

— Qu’est-ce qu’ils ont dit à la radio à propos de ce nouvel attentat ?

— Que le gouvernement devait absolument garantir la sécurité de…

— Mais oui, je sais, le grand blabla interchangeable. Le même discours, en déplaçant trois mots, sert à sanctionner une bavure policière ! Ce que je te demande, ce sont les détails sur les circonstances du meurtre. Une bagnole, dis-tu ?

— Une voiture gris clair ou blanche. Les témoins ne sont pas d’accord sur la marque, certains ont cru voir une Renault 21, d’autres une Passat Volkswagen… Le livreur d’un pressing prétend que la voiture suivait le flic bien avant le pont. Il y avait un seul occupant à bord, le conducteur a tiré au pistolet-mitrailleur par la portière.

— Quelqu’un a relevé le numéro ?

— Ils ne l’ont pas dit.

Je me décide à prendre un croissant et je pousse la corbeille en direction de Poljak. A ce moment on sonne à la grille. Maria me dit qu’on a sonné. Je lui réponds qu’ayant moins de poils qu’elle dans les baffles, j’ai mieux entendu qu’elle et que, selon moi, elle devrait aller ouvrir. Elle regarde par la fenêtre avant d’obéir et annonce :

— Cesté lou factour des espressos !

Puis elle fait comme la mer quand sonne l’heure de la marée basse : elle se retire.

— Elle est charmante, me dit Pierrot et, redevenant brusquement très grave, il murmure :

— Je voudrais vous dire quelque chose, monsieur le commissaire.

— Vas-y !

— J’ai toujours détesté les flics.

— T’es pas le seul ; ça fait très mode.

— Et pourtant depuis hier soir, je me dis que…

Il s’arrête de mâchouiller sa corne de croissant. Son visage pourprit.

— Tu te dis quoi ?

— Que j’aimerais bien faire un boulot comme vous, avec vous. Je vous trouve sensationnel. L’action ! La poésie de l’action ! Dans le studio, cette nuit, vous étiez mieux que les héros des films policiers. Votre visage se trouvait transformé. On vivait des instants critiques, mais vous conserviez un air lointain, comme si vous trouviez le moyen de penser à autre chose alors qu’un dangereux criminel braquait son arme sur vous. On aurait dit que ça ne vous concernait pas. Je crois que c’est à cause de cette expression que j’ai osé bousculer mon agresseur. En votre compagnie on se sent capable de tous les courages.