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Dis, il jacte bien, le petit gars ! Tu sais qu’il me botte de plus en plus ? Et pourquoi ne ferais-je pas quelque chose pour ce grand gosse posé en porte à faux dans l’existence ? Sa ferveur est touchante. A travers sa déclaration de foi, je pressens tous ses désirs secrets, ses aspirations rentrées, ses rêves inavoués.

— Il faudra qu’on parle, môme, fais-je en croquant une moitié de croissant d’un seul coup.

Maria, l’ardente, revient avec un paquet mal fagoté à la main. C’est volumineux et mou. Mon nom et mon adresse y sont tracés au feutre noir en gros caractères.

— Défaites-le à la cuisine, lui ordonné-je.

Elle obéit. Ce matin, elle sent l’eau de Cologne espagnole, marque Carmencita, en vente dans toutes les bonnes épiceries andalouses.

Pierre Poljak me couve du regard.

— Vous croyez qu’il y aurait une possibilité pour moi ?

— C’est envisageable. J’ai déjà récupéré un auxiliaire précieux : le Noir commotionné qui se trouvait au studio avec Emeraude. Quand je l’ai connu, il était balayeur. Note qu’il sait Montaigne par cœur.

— Moi aussi, rebiffe Pierrot.

— Bravo. La culture, c’est aussi indispensable à l’homme que le pain et le papier hygiénique.

Maria s’encadre, l’air tout confondu, bras ballants.

— Qu’y a-t-il dans le paquet, ma grande ? je lui interroge.

— Des vêtements, moussiou.

— Quels vêtements ?

— Pas propres, ousagés. Vénez voir.

Ma tasse de caoua à la main, je gagne la cuistance. Effectivement, des hardes sont étalées sur le papier déplié. Je définis deux costars : un gigantesque et un foutrical. Les deux sont cradingues à gerber. N’en plus, il y a également du linge de corps : limouilles, chaussettes, slips. L’un de ces derniers côtoie l’ignominie. Il a dû être porté plusieurs mois d’affilée par son propriétaire avec toutes les conséquences que cela implique. Je m’arrête de souffler sur mon café brûlant. Ce paquet d’innommables fringues me plonge dans le chagrin, car elles appartiennent à Béru et à Pinaud.

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?

Ceux-ci en ont deux. Ces répugnants sous-vêtements qui puent la souillure humaine me sont une espèce de valse anglaise, infiniment lente et triste. Rose de Picardie ! A mourir de mélancolie. Tu te sens dépérir à les contempler.

— Il éfaut jéter ces saletés, moussiou ? s’informe mon Ibérique.

Quand elle me parle, c’est comme si elle me pompait encore le dard. Pas championne du turlute, la donzelle, mais elle a cette volonté de bien faire porteuse de promesses. Elle te racle encore un peu le casque gaulois avec les incisives et quand tu lui geysères dans la gargante, elle panique un tantisoit de la glotte ; néanmoins, on peut faire confiance à l’avenir. L’appétit vient en mangeant. Moi, la première fois que j’ai vu un avocat (je te parle du fruit) je me trouvais au Texas. J’ai cru à une variété de poires et j’ai mordu dedans. J’ai recraché ! La peau était amère comme le diable et la chair ressemblait à de la merde de bébé. Il n’empêche qu’à présent, c’est l’un de mes fruits préférés. L’essentiel est acquis avec Maria : elle recrache plus. Un jour, le sirop de mec deviendra son élixir préféré, j’entrevois.

— Non, soupiré-je, il ne faut pas jeter ces vêtements, Maria, surtout pas.

J’appelle Pierrot.

— Arrive ici, môme !

Il se pointe et je lui montre le tas de fringues. Quatre phrases pour lui expliquer leur origine et les péripéties vécues par leurs propriétaires.

— Voilà, terminé-je, puisque tu veux te faire flic, supposons que tu sois à ma place, que fais-tu ?

Ma colle, il se la biche argent comptant. Se met à étudier les nippes avec application.

— Pour commencer, dit-il, je les examine de près. Je m’assure qu’elles ne comportent aucune trace de sang.

— Pourquoi ?

— Pour être sûr qu’on n’a pas tué ou blessé ces inspecteurs au moment où on les a neutralisés.

— Et ensuite, l’abbé ?

— Ensuite je fouille toutes leurs poches.

Derechef je murmure :

— Pourquoi ?

— Voir si elles recèlent un indice qui pourrait fournir une indication sur l’endroit où on les a emmenés.

Il passe à l’exécution, avec méthode et lenteur. Visiblement, on a déjà vidé les vagues de mes deux potes car il n’en sort rien que des brins de tabac, des « minons » de poussière et des croûtes de gruyère (dans celles du Gros).

— Alors ? questionné-je.

— Il n’y a rien.

— Tu laisses tomber ?

— Non : je palpe les doublures.

Dis, il est bon, l’artiste. Doué !

Il étale chacune des vestes et se met en devoir de toucher chaque centimètre carré de doublure. Quand il « opère » le veston de Pinuche, il me désigne une minuscule épingle de sûreté passée par la boucle d’une médaille émaillée bleue. Cette dernière est consacrée à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Pierrot me la désigne et m’interroge du regard. Je souris.

— César Pinaud a la foi, expliqué-je, et sa vénérée mère se prénommait Thérèse.

— Bon, en ce cas les vêtements ne nous offrent aucun indice, déclare le gamin.

— Et maintenant, que ferais-tu encore, Sherlock ?

— J’étudierais le papier d’emballage.

— Because ?

— Pour savoir de quel bureau de poste on l’a expédié.

— Cherche !

Il s’empresse, s’énuclée sur les tampons.

— Rue du Louvre.

— Quand on envoie un paquet en express, on est tenu d’inscrire l’adresse de l’expéditeur.

— C’est juste.

Il vérifie :

— « Expéditeur, lit-il, officier de police Alexandre-Benoît Bérurier, Police judiciaire, Quai des Orfèvres, Paris. »

— Ils ont de l’humour.

— Pourquoi vous envoie-t-on les vêtements de vos collaborateurs ? Parce qu’ils sont morts ?

— Non, dis-je, pour me le faire croire. Et maintenant, que déciderais-tu, Fleur de Flic ?

— Je referais le paquet et j’irais à la poste de la rue du Louvre pour tenter de trouver la trace de celui qui l’a posté.

— Je te fous un 16 sur 20 avec mention très bien pour ce premier examen de passage, Pierrot.

Il rougit de confusion.

— Voulé voulez oune café ? demande Maria, consternée de ce que notre petit déje ait tourné court.

— C’est cela, dis-je, après nous l’avoir servi, vous ôterez votre culotte, mon chou, car j’ai oublié de mettre une pochette et j’ai la flemme de remonter.

Elle glousse et Pierrot violit.

DÉDUCTIONS

— Sans indiscrétion, vous baisez votre bonne ? murmure Pierrot, bien calé à l’avant de la Maserati.

— A l’occasion, garçon, car il ne faut jamais être sectaire. Certains esprits flétris condamnent les copulations ancillaires. C’est là une réaction, non pas bourgeoise, car les bourgeois ont pour règle absolue d’établir un droit de cuissage sur leur personnel de maison, mais d’intellectuels décadents. Sauter sa bonne espagnole est un geste d’amitié qui met le comble à la réputation de la France, terre d’accueil.

— Elle vous a remis son slip avec une docilité déroutante.

— Simple geste amoureux. Elle était ravie que je le lui demande. J’ai toujours eu un faible pour cette partie de la lingerie féminine, à condition, bien entendu, qu’elle soit de belle tenue. Ma vie sexuelle est jalonnée de culottes plus ou moins affriolantes ; non pas que je les collectionne : collectionne-t-on les fleurs séchées dans un livre ? Mais ces admirables trophées me gardent en état de mobilisation sensorielle. Si, après avoir baisé une fille, j’emporte son slip, il est le feu secret qui me prépare à une future troussée.