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Je toque à la porte, mais les occupants, trop affairés, ne m’entendent pas. Alors je me risque à entrebâiller l’un des panneaux. Ils sont une douzaine autour d’une grande table ovale. Personne ne fume car le Vieux fait la guerre au tabagisme. Les enragés de l’herbe à Nicot (comme on disait autrefois) mordillent rageusement des allumettes ou mâchouillent de la gomme. Pépère qui se tient au bout de la table m’aperçoit.

— Ah ! San-Antonio, vous faites bien de nous rejoindre !

Je défère à son ordre et m’avance vers le paquet de divisionnaires. A peu près tous me jalousent à en crever et quand je surgis, il leur vient de larges plaques d’urticaire par tout le corps. Ils n’admettent ni mes méthodes, ni les folles indulgences dont je bénéficie. Mes activités marginales constituent pour eux une sorte de péché originel de la profession dont ils ne parlent jamais, sinon à voix basse. Je souris aux regards torves braqués sur ma personne. Je vois venir des crises biliaires dans ces yeux dégueulasses. Y a de l’hépatite virale en marche, de l’adrénaline éjaculée, des avaries coronariennes en préparation.

— San-Antonio, nous sommes au plus fort d’une crise sans précédent, débute le Dabe. Vous savez qu’un cinquième agent…

— C’est à ce propos que je me permets de troubler votre conférence, monsieur le directeur. Un élément particulier ne vous est sans doute pas apparu. Les deux derniers gardiens de la paix tués : le brigadier Edouard Santorches et le sous-brigadier Octave Blanbézu, au cours de leur service militaire, ont servi l’un et l’autre dans les Casques bleus au Liban. Pour les trois premiers, je l’ignore, mais il faut rapidement vérifier la chose. Cela dit, s’ils ne l’ont pas été, ça ne veut pas dire charrette. Selon moi, monsieur le directeur, on a commencé cette « épidémie » d’assassinats pour poser le postulat général qu’une organisation tue les agents de police. Tout a été préparé de manière à ce que cette folle entreprise soit mise au compte de jeunes gens plus ou moins névrosés. En réalité, ce sont des tueurs venus du Moyen-Orient qui agissent. Leur intention est de liquider les policiers ayant été Casques bleus à Beyrouth lors de leur service militaire. Par esprit de vengeance ? Je n’en suis pas sûr. Il doit y avoir un autre mobile là-dessous.

Le directeur Bourladon, un acariâtre à peau rose et à calvitie blondasse, retire ses lunettes aux verres épais (probablement pour me voir flou). Il dit, avec aigreur :

— Déduction qui vous reste très personnelle, commissaire !

Ça donne le feu vert aux moins titrés pour y aller de leur scepticisme. Chacun bavouille des choses sardoniques.

Je laisse filer en regardant le dirlo au fond de l’âme. Lui, il me sait. Il a confiance. Emparant une règle de métal, il en tapote la table pour ramener le silence.

— Je suppose que cette constatation vous amène à une conclusion, mon cher petit ?

Son « cher petit ». Les autres en défèquent mou dans leurs frocs. S’ils disposaient du « bouton du mandarin », qu’ils n’aient qu’à le presser pour m’envoyer ad patres, tu parles d’une régalade ! Comment ils court-juteraient l’Antonio chéri, ces malpropres !

— En effet, monsieur le directeur, et cette conclusion, la voici : il convient d’identifier immédiatement les autres agents ayant accompli un stage parmi les Casques bleus français au Liban. Je sais qu’il en existe encore au moins un : je l’ai rencontré par hasard. Sitôt que cette liste sera établie, il conviendra d’assurer une protection à toute épreuve de ces fonctionnaires car, dans les jours qui viennent — et peut-être même aujourd’hui —, le Mouvement Mort aux Vaches tentera de les tuer !

— M’est-il permis de dire que je trouve cette théorie passablement romanesque ? hargnit Bourladon.

— Peut-être, fait suavement le dirluche, il n’empêche que nous devons la tenir pour possible et que nous allons immédiatement prendre les dispositions prônées par mon génial dauphin, messieurs !

Il a enflé le ton, Achille. Mis ses prunelles sur le zéro absolu.

Ça glatouille dans les rangs. De haineuses œillades tissent un filet maléfique sur ma personne.

* * *

Quand je redescends, je trouve Pierrot en converse avec devine qui ? Vanessa, ma manucure à la vieille Triumph rouge. Perdue ! Retrouvée !

Elle est exquise cette mousmée.

— Quand je t’ai vu filer comme un dard avec ta crécelle d’ambulance sur le toit, j’ai tout de suite pensé que tu venais de recevoir un appel d’urgence, fait-elle sans aigreur.

Elle ajoute :

— A tout hasard je me suis risquée jusqu’ici.

— T’avais tellement envie de me revoir ?

— Devine !

— Les yeux dans les yeux, môme, ce mariage, ça ne serait pas un bide, dans son genre ?

— Pire ! avoue-t-elle. Pendant la période prénuptiale, il m’a fait croire à l’amour passion qui se concrétiserait une fois que je serais sa femme.

— Et t’attends toujours ?

— Il prétend qu’il a un blocage. Selon lui, ça se normalisera un de ces jours ou une de ces nuits ; seulement, en attendant, je fais du point de croix, moi !

Elle me cligne de l’œil.

— Dis voir, ton heure de folie promise est déjà passablement écornée.

— Je vais devoir déclarer forfait, ma chérie, car ici c’est la mobilisation générale.

— A cause des agents butés ?

— Exactement. Mais que dirais-tu d’un adorable suppléant ?

Mon regard la renseigne. Elle jette une œillée évaluatrice au Pierrot couleur de pivoine.

— Lui, là ?

— C’est pas un beau petit béguin ? Je vais vous driver jusqu’à mon ancien bureau. Y a un canapé et il ferme à clé.

— Tu tournerais pas proxénète, mine de rien, commissaire ? demande Vanessa en rigolant.

Elle est follement excitée par le tendron que je lui propose. Tout de suite, le côté salope maternelle prend le dessus.

Je vais les installer.

— Où est la salle de bains ? s’informe la jolie gueuse.

Je me marre.

— Dis, Miches-en-flammes, t’es chez les perdreaux, pas à l’hôtel du Pou Nerveux. C’est la baise-kleenex, ici. Comme sanitaire, on ne dispose que d’une bouteille d’Evian, ma gosse !

Lorsque je relourde, j’ai la quasi-certitude que le souvenir d’Emeraude est sur la voie de garage !

* * *

Moi, l’électronique, je l’ai jamais échangée contre une belle chatte frisée, voire même contre un gratin de macaroni de Félicie. Les consoles de visualisation, les microprocesseurs, les unités interconnectées, alors là, tu peux les mettre dans ta culotte, je te les fais cadeau ! N’empêche que j’ébahis aux performances de ces petits monstres. Cette promptitude qu’ils mettent à te cracher des renseignements ! Ça fait pas un quart d’heure que le service technique usine et voilà que tombe le tuyau réclamé.

Ne reste plus qu’un julot en circulation. Et là, je te parie une tête de pont contre une tête de veau, qu’il s’agit bel et bien du poulet qui m’a parlé naguère, lorsque ma tire mal garée l’a attiré comme un étron frais attire une mouche verte. Ils n’étaient que trois anciens Casques bleus dans la police urbaine. Le dernier se nomme Peuplu Jean. Il habite 16 rue des Grognaces, à la lisière du bois de Boulogne et travaille au commissariat de la rue Danlder. Je rends grâce au hasard qui nous a mis en présence, Jean Peuplu et moi. Si nous n’avions pas évoqué la mort du brigadier Santorches, jamais je n’aurais su que ce dernier avait accompli cette prestation au Liban.

Pour commencer, je tube chez lui. Une personne de sexe féminin, à l’organe dolent comme une poignée de main de bedeau, m’annonce que Peuplu est en service jusqu’à dix-huit heures.