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— Evidemment que je m’en souviens ! Des petits gars terribles, commissaire !

— Vous savez qu’ils ont fini tragiquement ?

— Eux ! Que me baillez-vous là !

— Vous avez entendu parler des cinq agents de police assassinés dans Paris ? Ils sont du lot !

— Bonté divine !

— Vous n’aviez pas lu leurs noms dans les journaux ?

Le général Tabite fronce son grand tarbouif-pique-poireaux.

— Je ne lis que vos bouquins à la con, commissaire, il n’y a que ça qui m’intéresse.

Drôle de retournée ! Je le sonde de mon regard innocent, m’assurer qu’il me chambre pas. Mais non, il paraît sincère. Il s’explique :

— Tout est dans vos livres, commissaire. Pourquoi aller se faire suer ailleurs ?

Il boit une nouvelle gorgée de thé.

— J’aimerais vous poser une question, moi aussi, commissaire.

— Ne vous gênez pas, mon général.

— Commissaire, ne seriez-vous pas assis sur mon képi ?

— En effet, mon général.

— Je peux vous en demander la raison ?

— Parce que vous m’avez désigné le siège sur lequel il se trouvait, mon général, et que j’obéis sans barguigner à un officier supérieur.

Ça le fait marrer. Lui, quand il rit, tu croirais voir bâiller un crocodile de l’élevage Hermès. Ça fait tunnel, à l’intérieur c’est rosâtre et blanchâtre, plutôt débectant.

— Vous êtes un drôle de type, San-Antonio !

— Vous me flattez, mon général.

— Mon pauvre kébour doit se trouver dans un triste état ?

— Nous aviserons quand je me lèverai pour partir, mon, général. A moins que votre anxiété ne soit trop forte ?

— Du tout, mon cher. Revenons-en à mes deux pauvres bidasses si courageux, que vouliez-vous me demander ?

— Lorsqu’ils sont tombés entre les pattes de ce commando palestinien, ils étaient chargés de convoyer un certain personnage jusqu’à l’ambassade de France, crois-je savoir ?

— Qui vous l’a appris ?

— Une enquête est une enquête, mon général, éludé-je. Si j’en crois votre réaction, la chose est exacte ?

— Tout à fait exacte.

— Pouvez-vous me dire qui était ce personnage ?

— Sûrement pas, mon garçon.

Très tranquille, d’une fermeté paralysante. Il me tapote l’épaule.

— Une enquête est une enquête, m’avez-vous dit ; je vous répondrai qu’un ordre est un ordre et ainsi nous serons quittes !

Pas mécontent de sa réponse « mon général ». Il la redira, plus tard, au mess, quand il y aura plein d’autres galonnés.

Il la juge sans réplique. Elle devrait l’être, pour tout autre que le commissaire Cent ans de tonneau ! Jamais vaincu, jamais soumis. Plume au vent, doigt dans le cul, le valeureux. L’hagarde meurt mais ne se rend pas !

— Mon général, souris-je (ça aussi t’évite le verbe « dire » qui tant foutait la chiasse verte à mon prof), cinq flics sont morts ! Je sais bien que pour un général qui joue avec la vie de bataillons entiers, c’est de la broutille, mais en temps dit de paix, et en plein Paris, ça fait de l’effet. Une psychose de peur s’étend sur la capitale. Le gouvernement en fera les frais si on n’y met pas un terme promptement. Qui dit changement de gouvernement dit, par voie de conséquence, changement de structures. Le jeu consiste à renouveler tous les postes importants, vous le savez bien : dans l’audiovisuel, l’armée, la grosse industrie, etc. En outre, il n’est pas civique de paralyser l’appareil policier pour préserver je ne sais quel fumeux secret que je percerai de toute façon. Si vous parlez, je gagnerai du temps, donc probablement des vies humaines ou des vits humains. Au final je devrai bien mentionner dans mon rapport l’obstruction que vous aurez faite, au lieu de m’apporter l’aide que je sollicitais. Etant homme d’humour, vous êtes fatalement homme d’ouverture, mon général. Le minimum que vous me confieriez risquerait d’apporter une solution à cette épineuse tâche qu’est la mienne.

— Qu’est-ce qui vous le donne à penser, commissaire ? demande-t-il, pensif.

— Moi, mon général. Je me le donne à penser tout seul. Un sûr instinct me guide. Je sens, je sais que vous détenez la clé de l’énigme.

Sa bonne humeur lui revient, comme le soleil sur un champ de blé après le passage d’un gros nuage[8].

— Votre fougue est admirable, mon garçon. Il y a en vous une générosité qui suscite l’enthousiasme. Bon, soit, je veux bien lever un coin du voile, mais un coin seulement.

— Je n’en demande pas davantage, mon général.

— Sachez que le personnage qui devait être massacré s’occupait de vente d’armes. Je ne vous dirai ni leur provenance ni leur destination pour la bonne raison que je l’ai toujours ignoré. Lorsqu’on m’a adressé cet homme, on m’a simplement dit qu’il avait une activité dans les armements et qu’il me fallait assurer sa sécurité jusqu’à ce qu’il ait gagné l’ambassade de France. Il faut dire que ça pétaradait dur ! Les hommes et les immeubles tombaient comme des mouches ! Un vrai moment d’apocalypse.

— Et son nom, mon général ?

— Vous m’en demandez beaucoup, l’ami !

— Le strict nécessaire, mon général.

Il verse de l’eau chaude dans sa théière, manière de ranimer un sachet de Lipton défaillant. Il touille. Médite. Puis il balance deux mots constituant un prénom et un nom.

Tu sais, ce jeu à la mords-ma-bite de la téloche, où, sur un cadran tourniquent des chiffres, et puis il en reste deux au bout du compte. Parfois, je fixe le cadran avec tant d’acuité qu’il m’arrive de « deviner » les deux chiffres sortant une poussière de seconde avant qu’ils ne se stabilisent.

Là, c’est du kif. Ça concerne le blase. Le général Tabite n’a pas fini de l’articuler qu’il est déjà inscrit en caractères d’enseigne lumineuse dans mon ciboulinche.

N’empêche que ça me fait comme du bonheur. Le goût du triomphe c’est pareil à certains plats chinetoques : aigre-doux.

Je m’abstiens de le remercier, afin de ne pas accroître sa crise de conscience. Au contraire, je ne réagis pas, feins de n’avoir pas entendu.

— Nous allons voir où en est votre képi, mon général, fais-je en me dressant.

J’espère qu’il n’a pas de revue de 14 Juillet à passer dans l’immédiat, Tabite ! Ça la foutrait pas joyeuse, avec un kébour pareil à un bandonéon fermé.

* * *

Maintenant, je puis souscrire à ma troisième sollicitation. A savoir d’aller draguer dans le quartier Saint-Denis pour tenter d’y récupérer mon ami Pierrot. Mais comme cela fait plusieurs heures qu’il a moulé la Grande Volière, peut-être est-il rentré chez lui afin de se changer ? Estimant que j’aurai du mal à y garer ma grosse tire, j’affrète un sapin. Le chauffeur est un aimable beur coiffé afro, avec un blouson en faux cuir et des bracelets en coton tressé aux poignets.

— Vous allez à quel endroit de la rue Saint-Denis, m’sieur ?

— Pas d’endroit, fils : je vais faire du repérage.

Il se marre :

— Vous cherchez une pute ? Vous savez, là-bas c’est pas les mieux. Sans compter que le sida vole bas. Un homme de votre classe ! Mais enfin, chacun a ses fantasmes, hein ?

— Exactement, mon grand.

J’aimerais bien qu’il écrase, l’artiste. Besoin de penser en profondeur, le beau Tonio ! D’appréhender le problème une bonne fois. Comprendre ! Etudier ce qui cloche pour pouvoir dresser ce puzzle. Mais le gentil beur a décidé de me sauver la vie. Il repart à l’attaque des « péripâtissières » (comme dit Béru) du quartier Saint-Denis. C’est pas de la roulure fraîche qu’on trouve sur ses trottoirs. Des bouillons de culture, m’sieur ! Il a un pote à lui qui a voulu tremper, il s’est retrouvé à l’hosto avec une tête de nœud qui ressemblait à une tartelette aux fraises, m’sieur ! C’est comme si on s’laverait la bite dans l’eau d’un marécage zaïrois, m’sieur, pareil !

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8

Signé San-Antonio ! Depuis Victor Hugo, on n’a jamais fait mieux ! Ça, c’est de la littérature !

Sainte-Beuve.