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Vaille que vaille, on enquille les Grands Boulevards. Puis c’est la Porte Saint-Denis qui, j’ignore pourquoi, me fait chaque fois songer à un pachyderme, alors que la Saint-Martin, sa réplique et sa voisine, évoquerait plutôt pour moi l’Arc de triomphe.

— Vous savez, m’sieur, je connais près de l’avenue de Wagram, une petite rue à prostituées où elles sont vraiment comestibles. Sous surveillance médicale ! Et elles baiseraient jamais sans capote. Des personnes valables. Une, entre autres : Maryse, une petite blonde qui vous suce à vous aspirer le cerveau ! Moi, ce que je vous en dis, hein, m’sieur, c’est pour vous !

— Merci. Mais prenons tout de même la rue Saint-Denis, garçon. Et doucement, please !

Je regarde avec vigueur, gauche, droite, balayant la populace de cet œil infaillible qui m’apparente à l’aigle royal et au condor des Andes.

C’est grouillant de dames radasses, ici, effectivement. Dénudées profond. Souvent horribles. Des cuisses de lutteuses foraines. En slip noir et porte-jarretelles ! Du cuir ! Ça parle aux sens. C’est bestial, et pour cause ! On arrive au bout de la strasse.

— Rien qui vous excite ? demande mon déluré chauffeur.

— Prends systématiquement les transversales, fiston. Choisis le bon sens de manière qu’on puisse enrouler jusqu’à la Porte.

Docile. Dans le fond, ça l’amuse. Il voudrait voir où vont mes bas instincts, sur quelle viandasse frelatée je vais jeter mon dévolu.

On continue de parcourir du ruban. Parfois on stationne pour cause de camion de livraisons qui obstrue la voie étroite. Les putes accrochent mon regard, m’adressent des signes d’invite, voire obscènes. Y en a même une qui soulève un pan de sa jupette pour me prouver qu’elle ne porte pas de culotte et qu’elle est vraiment rousse.

— Vous êtes vachement dur à emballer ! rigole le petit beur.

Je ne réponds rien.

On passe la revue de la population. Là encore mon instinct me drive. Je subodore la présence de Pierrot dans ce quartier. Encore une certitude, comme j’avais, au mess, la certitude que le général Tabite allait m’apprendre quelque chose de capital. Une rue encore d’effacée. Le chauffeur frisé vire docile pour enquiller celle d’après.

Et moi, tout chose, soudain, de m’écrier :

— Fiston ! Refaisons celle que nous venons de quitter !

— Faut que j’aille la reprendre dans le bon sens, patron !

— Eh bien, va !

Il rit comme le clavier d’Yvette Horner :

— Vous avez fait tilt pour une dadame ?

Voilà, on dédale dans les sens obligatoires et nous retrouvons la street que je veux.

— Sois gentil, arrête-toi devant la petite teinturerie qui a une enseigne bleue, là-bas.

Il opine puis souligne :

— Mais, y a pas de pute à cet endroit !

Obnubilé, je te dis. Un coup d’accélérateur, puis il freine au point indiqué.

Avant la teinturerie, se trouve une sorte de renfoncement où des voitures sont garées. Pierrot est assis entre deux tires. Un Pierre Poljak légèrement modifié, à savoir qu’il porte des lunettes noires grandes comme des hublots, ainsi qu’une casquette de toile kaki dont la longue visière dissimule complètement sa frimousse. Il triture entre ses mains des jumelles de théâtre et semble baigner dans une patience inébranlable.

— O.K., arrête ton rongeur, fiston ! lâché-je au taximan.

Il a suivi mon regard.

— Mince, c’est un minet que vous cherchiez ! il exclame. Fallait le dire, je vous aurais conduit au Bois ; ici c’est pas la tombée ! D’ailleurs, la petite lopette, là, c’est pas certain qu’elle en croque : les putes tolèrent pas la promiscuité.

— T’occupe pas, et bravo pour la croisière.

Il a droit à un somptueux pourliche. Cette fois, c’est plus le clavier d’Yvette Horner, mais ceux des grandes orgues de Notre-Dame qu’il déballe. Je le laisse s’évacuer avant de m’approcher de Pierrot.

— Dis donc, c’est coton pour te retrouver !

Il était à ce point abîmé dans ses prostances qu’il ne m’avait pas vu surviendre.

— Qu’est-ce que tu fous ici, Pierrot ?

Au lieu de répondre, il me propose ses jumelles. Je les prends sans comprendre.

— Y a quelque chose à voir ?

— Oui : au quatrième, en face.

Je porte les jumelles à mes yeux et les dirige contre une façade grise qu’elles remontent lentement. Une fois « parvenu » sur le quatrième mentionné par mon jeune « collaborateur », j’essaie de lire les fenêtres qui se succèdent. Il y en a quatre et toutes sont closes. Deux ont leurs volets fermés. Les deux autres restent aveugles à cause des rideaux tirés. Je n’aperçois qu’un bout de plafond blanc, désespérément neutre. Je m’obstine à regarder. Ça me fait tarter de ne pas découvrir ce que me montre l’adolescent.

Il vient à mon secours.

— La dernière fenêtre à droite, m’annonce-t-il (car il ne saurait « dire », lui non plus !).

Je braque mes jumelles sur la surface indiquée. Et puis je réalise ! A présent, je ne vois plus que ça. Je rends ses jumelles, au môme.

— Bravo, dis-je (car de temps à autre, on peut « dire » pour soulager le lecteur).

BUT !

Pierre Poljak, où je vois qu’il a du chou et que c’est organisé dans sa petite tronche, c’est la manière qu’il narre, le môme. Pas fougueux, la menteuse en bougeotte, les pensées qu’enchevêtrent en se bousculant ; non, non ! Calmos. Précis. Le vrai rapport, quoi ! Il a l’étoffe du poultock moderne, celui qui est licencié avec, en plus, le sens du réel et de la psychologie à chier partout.

Il me prend bien tout depuis le début, pour m’indiquer la manière que ça l’a biché, tout ça. Il veut que je suive le cheminement de sa gamberge de manière à l’approuver pleinement.

Il était en train de verger Vanessa héroïquement, façon Pont d’Arcole, jetant toutes ses jeunes forces dans cet assaut et se payant d’initiatives qu’il n’avait encore jamais osé déployer. Faut dire que c’est une participante de haut niveau, la jeune mariée ! Tu lui confies Coquette et elle fait le reste. L’aubaine pour un adolescent ! Te lui enseigne l’abc du métier d’amoureux sur le terrain ! Et alors ils ont eu une embellie d’apothéose, les deux ! Il voulait se montrer digne de moi, Pierrot, puisque je l’avais parachuté sur cette fermière ! Il tenait à se dépasser. Et elle, charmée, à bout de chasteté obligatoire aussi, de se déployer en éventail, et au triple galop ! Bref, du grand art ! Que, tant et si bien, après trois émissions consécutives de bonds du trésor (on est une vraie mitraillette à cet âge-là) il l’avait finie sur le plancher, en levrette. La manière la plus conquérante ! T’as la liberté de tes mouvements et tu peux contempler autre chose que les cheveux de la gosse. Et alors, imagine, tandis qu’il lui accomplissait sa furia cosaque, comme ultime expression dans la discipline « force et santé », son regard, Pierrot, avait accroché un vieux baveux qui jonchait. Le titre de la une, sur quatre col., c’était : Le maniaque du quartier Saint-Denis a encore frappé. Pierrot, c’est le petit mâle capable de défoncer le pot d’une grand-mère et de lire en même temps. Cézigue, pour le faire dégoder, faut lui tordre les roupettes avec des pinces de tréfileur ! Tout en limant Vanessa, il a pris connaissance du chapeau coiffant l’article. Le journaliste voyait dans ce troisième assassinat de flics le geste d’un fou. Et bon, c’était son problo. Mais Pierrot, ce qu’il a retenu, c’était que le meurtrier habitait le quartier. Ça lui a semblé évident. Ces trois premiers meurtres comptant pour du beurre, il valait mieux les perpétrer à proximité de son gîte. C’est après, pour les « vraies » victimes qu’il allait devoir se déplacer.