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Bon, la mère Vanessa prend un dernier panard, se toilette l’intime au kleenex et se rajuste. Alors, le petit Pierrot prend une décision. Il n’a pas un fifrelin sur soi. Est-ce que la fille veut bien le conduire chez lui ? Tu parles ! Elle est dingue du gamin ! Pierre Poljak regagne son home. La femme de ménage lui ouvre. Il change de linge, prend des piastres dans le tiroir de sa maman, s’affuble de lunettes et d’une casquette de tennisman, glisse dans sa fouille des jumelles de théâtre qui remontent à sa grand-mère et part « en enquête ». Oui, Pollux, t’as bien lu : en enquête. Lui ayant tout raconté de la mienne, il saute dedans à pieds joints. Hep, taxi ! Pour commencer, c’est Saint-Germain-des-Prés. Il s’arrête devant le domicile d’Hervé Cunar. Depuis le trottoir d’en face, il étudie sa fenêtre, aperçoit sans mal l’antenne émettrice qui lui servait à correspondre avec la malheureuse Violette. C’est une antenne assez particulière, en métal bleuté, terminée par une fourche arrondie. Il se carre bien l’objet insolite dans le cigare. Et ensuite, t’as compris quoi, Eloi ? Monsieur le petit zigoto se rend Porte saint-Denis. Il joue tout sur cette certitude : l’assassin habite ce quartier. Et selon sa pomme, l’assassin, c’est Hervé Cunar. Du moins estime-t-il qu’il est le chef de l’organisation Tue-Flics. Nous savons que Cunar habitait occasionnellement chez Violette. Sa base réelle se trouve ailleurs. Et ce bougre de Pierrot, avec son intuition garnementière et sa certitude d’imbécile heureux a l’idée suivante : puisque Cunar avait établi une liaison radio avec Violette, il lui fallait donc un appareil récepteur, en complément de l’appareil émetteur. Alors voilà l’intrépide qui se met à arpenter le quartier, balayant de ses jumelles chaque façade, à la recherche d’une deuxième antenne. Une chance sur combien de tomber juste ? Tu pourrais répondre à ça ? Faut que j’aille demander à un prof de maths qu’il me calcule les probabilités.

Des heures durant, l’Inlassable torticole avec ses jumelles. Les putes se foutent de sa gueule. Il bouscule les passants, trébuche contre les poubelles. Mais il est porté par sa certitude : Cunar possède sa réelle adresse dans l’une de ces rues et une seconde antenne fourchue est certainement fixée au montant de sa fenêtre. Il a arpenté la rue Saint-Denis, principale artère, et ensuite les rues transversales. Et comme il a la foi, une foi inébranlable, il trouve ce qu’il cherche. Je regarde à nouveau la tige de métal bleu et l’espèce de fourchette à pomme de terre (pour bouffer la raclette).

Oui, oui, C’EST LA MÊME ! La réplique rigoureuse et complémentaire de l’autre.

— Tu sais que t’es pas croyable, Pierrot. Franchement, tu me scies !

Son regard brille sous la longue visière verdâtre.

— C’est vrai, commissaire ?

— Un vrai Sherlock, mon drôle ! Là, tu nous le mets dans le baigneur à tous !

Pour un peu, je lui en voudrais de son triomphe, à ce sale gosse ! Tu parles d’un coq hardi, le mec ! Te vous fait jouir une péteuse comme un homme ayant passé sa maîtrise de Casanova, et, les burnes essorées, te retrouve en quelques heures le repaire d’un dangereux terroriste. Ah ! il a de la branche, l’amoureux d’Emeraude. Laisse-moi le driver et il fera carrière : dans le cul et dans la Rousse !

— Tu attendais quoi, ainsi planqué, Pierrot ?

— Qu’il rentre.

— Tu penses qu’il est sorti ?

— Ça fait une heure que je suis ici et je n’ai pas distingué le moindre signe de vie dans l’appartement.

— Il reste sans doute terré.

Mais ce n’est qu’une suppose évasive. Je pense à mes deux potes prisonniers de ce meurtrier. Pourquoi m’a-t-il adressé leurs fringues ? Pour m’inciter au calme ? Me faire comprendre que mes amis allaient servir de monnaie d’échange ? Ou pour me signifier qu’ils sont morts ?

Je contemple l’immeuble. Il est tranquille. Une petite fille colorée en sort pour aller faire des commissions car elle trimbale un panier plus grand qu’elle.

Pierre Poljak respecte mon indécision. Il sait que tout choix est grave. Donner l’assaut avec des renforts « compétents » peut provoquer un bain de sang. Par ailleurs, je ne suis pas capable de forcer l’entrée du repaire tout seul, car j’ignore ce qui m’attend derrière la porte !

— Le voilà ! souffle Pierrot.

Je planque les jumelles et me tourne face au môme, afin de le cacher et de me cacher.

— Il est seul ?

— Non, y a deux types avec lui.

Il balbutie :

— Ça y est : ils sont entrés dans l’immeuble.

Eh bien, voilà ! C’est ici que les Athéniens s’atteignirent, disions-nous à la maternelle. Hervé Cunar m’est servi. Sur un plateau.

Un gamin de dix-huit ans me l’a retrouvé.

Mon sang bourdonne dans mes cages à miel. Il faut « sauter » ce mec dare-dare. Prévenir les confrères ? Opérer une mobilisation pour donner l’assaut ? Ça va demander du temps.

— Ils avaient des valises, annonce tout à coup Pierrot. Chacun une grande valoche. Vous pensez qu’il compte déménager ?

— Tout au moins se tirer !

— Il faut intervenir tout de suite, non ?

— T’es marrant, guerrier ! Tu me vois sonner à la porte de leur apparte, mon flingue en pogne, pour leur demander poliment de me suivre ? Je me retrouverais trucidé dans la cage d’escalier sans avoir pu en praliner un seul.

Il opine, navré. Puis, au bout d’un moment :

— La petite fille ! s’exclame-t-il.

— Quoi, la petite fille ?

— Celle qui est sortie avec un panier. Elle est allée faire des commissions, mais elle va revenir.

— Et alors ?

— On l’intercepte. Je lui demande d’aller remettre un message au monsieur du quatrième. Sur ce mot, que je signe de mon nom, je lui dis que j’ai une communication urgente à lui faire et que je l’attends au bistrot d’à côté, vous le voyez là-bas après le pressing ?

— Et ensuite ?

— Il viendra. Il sera trop intrigué, trop troublé par le fait que j’aie son adresse : je vous garantis qu’il viendra.

— Et après ?

Pierre Poljak hoche sa tête pensante.

— Après, commissaire, vous interviendrez.

Moi, ce qu’il me propose passe comme la fumée d’un train sur mon cerveau exacerbé. Dangereux ! On risque de tout faire craquer. Il peut y avoir de la chicorne. Du sang à profusion.

A la fin, avec des gestes d’automate, comme écrivent les vrais romanciers populaires, je tire mon carnet et mon Bic de ma fouille. Arrache une feuille blanche au calepin.

— Fais, garçon ! Si tu le penses ainsi. Mais il faut que tu parles seul à la fillette, pas qu’elle risque de signaler ma présence à Cunar. Moi, je vais t’attendre au bistrot où je te couvrirai pour le cas où ta ruse prendrait.

* * *

Un troquet sans histoire. Deux dames radasses y boivent un blanc gommé. Deux ouvriers plombiers qui n’ont pas les moyens de devenir leurs clients, éclusent du rouge en évoquant le déclin du parti communiste dont ils prophétisent la prochaine résurrection. Dans un coin, un Arbi mélancolique se fait un Orangina. Le bistrotier est un jeune pagan à tête de veau fraîchement débarqué de son Auvergne. Il s’est acheté l’estaminet pour commencer, mais il passera bientôt au rayon supérieur et, un jour — c’est inscrit dans sa voie lactée —, il sera proprio d’une grande brasserie pleine de glaces et de néons. Il y a ce que j’appelle « la certitude du bœuf » chez cet être obstiné.