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Je soubresaute tant est forte la secousse du feu plaqué contre mon visage. D’un coup d’épaule je délourde et bondis dans le troquet. Cunar a été viré de sa chaise par l’impact de la balle. Y a une immense tache rouge sur son blouson à l’emplacement de l’épaule. Sur du daim, voilà qui va être duraille à « ravoir ». Il se remet déjà debout. Tête de fou, halluciné. Mais comme son bras gauche est nasé, il ne peut se servir de sa pétoire. Il empoigne sa chaise et la soulève pour la fracasser sur la gueule de Pierrot, lequel, souple comme une anguille dans une meule de foin, se laisse couler sous la table. Le plateau de marbre déguste.

Mais Bibi est sur le tas, un coup de crosse à la base du caberlot remet Cunar au parquet (en attendant qu’il y soit déféré). Avec cette maestria qu’a un chef de cuisine pour « tourner » un cœur d’artichaut, je lui passe les menottes.

— Appelle la police de ma part, Pierrot ! Tu diras Code 184.

La coterie est abasourdie. Le taulier, les putes et les plombiers n’en cassent pas une. L’Auverpiot n’a pas encore eu le réflexe d’évaluer les dégâts infligés à sa porte de chiottes. Quant à l’Arabe solitaire, il est toujours en partance devant son Orangina, à regarder la mer ou bien des oliviers tordus sur fond de ciel bleu.

Je suis dans la rue. Ma détonation n’a pas mobilisé l’attention. Dans les grandes villes, ça pétarade sans trêve, faut dire. On a les tympans blasés, de nos jours paroxystiques.

Je plonge dans l’immeuble en face, grimpe quatre à quatre, mais sans galoper, jusqu’au quatrième. Qu’heureusement, la maison étant étroite, il n’existe qu’un logement par palier. Je plaque ma portugaise contre le bois vilainement peint en brun merde de l’huis (Mariano).

A l’intérieur, y a de la zizique qui mouline. Ça chante Madrid, Madrid par Nilda Fernandez. Moi, c’est une ritournelle qui m’émeut. Et le chanteur plus encore, avec sa petite frime de fouine triste. Un regard légèrement arsouille et énormément mélanco. Je suis tenté d’attendre la fin de la mélodie pour intervenir, mais je me dis que les occupants sont probablement sous le charme, eux aussi. Alors, avec d’infinies précautions, j’utilise mon sésame. Y a plein de verrous constipés, d’une grande sophisticité ; mais je suis convaincu que Cunar s’est contenté de tirer la porte en partant et que c’est la brave vieille serrure originelle qui, pour le moment, assure la fermeture.

J’opère dans le velours. Un orfèvre. Saint Eloi ! D’ailleurs je trique autant que lui ! Je prends le temps de remettre mon petit outil précieux en vague avant de recramponner mon feu. La lourde obéit sans grincer. Quelques centimètres, manière de risquer l’œil de la politesse. Des fois que les présents ne seraient pas dans une tenue décente. Un pauvre couloir décrépi. Trois portes. La première donne sur la cuisine lépreuse qui, visiblement, n’a jamais servi à l’exécution de mets raffinés. La deuxième sur une pièce à vivre. La troisième doit ouvrir sur la chambre. Je vérifierai plus tard, car les deux mecs que je viens importuner se tiennent dans le séjour. Ils causent en arabe, malgré cette exquise chanson. N’ont pas l’oreille européenne. C’est dur de regarder dans une pièce sans être repéré parce que, d’après ce que j’ai constaté, nous avons les yeux au milieu du visage. Nous les aurions à la place des oreilles, on pourrait en risquer un en lisière de chambranle, tu comprends ?

Je m’approche au plus près. Je distingue deux malles d’osier empilées l’une sur l’autre et vice versa, à gauche de l’entrée. Messires les Arabes continuent de se raconter le pourquoi du comment du chose. A quoi bon finasser ! Compte sur tes réflexes, Sana et buffalobille-moi ces mecs !

Sans précipitation intempestueuse, je m’insère dans l’encadrement.

Le camarade Tu-Tues est une de fois de plus à l’honneur. Je découvre les deux mecs en train de boire du lait, assis à la table.

— Je croyais qu’on était en plein ramadan, leur dis-je en les couvrant.

Ils bondissent !

— On se calme ! conseillé-je, sinon vous ne pisserez jamais le lait que vous venez d’avaler, les gars !

Instant d’indécision. L’un d’eux se risque à vouloir dégainer. Je le praline avant la fin de son numéro. Il morfle contre le temporal, ce qui a pour résultat de décoller son étiquette droite et de l’estourbir au quatre tiers.

— On lève ses mains ! intimé-je à son pote, sinon c’est Pearl Harbor.

Pour des fois qu’il comprendrait pas le français, je répète en anglais. Sage précaution car, dès lors, il obéit.

Délester les deux hommes de leurs armes, sans être tout fait un jeu d’enfant, ne relève tout de même pas de l’exploit.

Celui qui a dégusté ma bastos dans sa baffle est complètement secoué. On jurerait un demeuré. Il garde sa bouche ouverte, il a le regard fixe et laisse pisser le raisin le long de son cou sans songer à l’étancher.

— Qu’avez-vous fait de mes amis ? je demande à celui qui est intact.

Car je viens de constater que les corbeilles d’osier sont vides.

D’un hochement de menton, il m’indique la pièce voisine.

— O.K. Marche devant !

Il me précède. Il s’agit bien d’une chambre, comme prévu. Et je dois admettre qu’elle est très convenable ; meublée moderne, avec des murs tapissés d’un papier paille de riz dans les tons jaune pâle.

Béru et Pinaud, tristement (et strictement) nus, sont pêle-mêle et réciproquement (me complais-je à répéter). Morts ? Avec le sourire en tout cas ! Des béatitudes indicibles les ont figés dans des expressions paradisiaques. L’homme normal qui prend son pied avec la meilleure amie de sa femme, n’a pas le visage plus radieux.

— Death ? questionné-je.

— No, heroin !

Camés ! La super, l’hyper, l’overdose !

Sans cesser de braquer le type, je me baisse pour palper Pinuchet. Pas glacé, mais bien frais, le Fossile. Si on servait toujours le champagne à sa température du moment, ce serait le rêve.

— S’ils meurent, je te tuerai ! affirmé-je à mon prisonnier. Mets-toi face au mur et appuie des mains contre. Maintenant recule tes pieds. Surtout ne bronche plus parce que je t’allumerais.

Et c’est à ce moment d’accalmie que je remarque la photo punaisée contre la porte d’un placard mural. On ne peut pas parler de poster, néanmoins elle est d’assez belles dimensions.

Cette image est sinistros. Te flanque la gerbe. Ça représente un homme ligoté à une potence en croix de Saint-André. Deux autres types, des militaires, sont occupés à le torturer. Ils lui ont coupé les génitoires et les lui ont enfoncées dans la bouche. Ensuite (ou auparavant) ils lui ont écrasé les dix doigts des mains, lesquelles ne sont plus que deux masses sanguinolentes informes.

La photo a été tirée au moment où l’un des deux soldats enfonce un manche d’outil dans le fondement du supplicié, tandis que son compagnon d’horreur lui découpe la chair de l’abdomen avec un rasoir.

Maintenant, que je te dise, Louise : je reconnais le militaire sodomite. Ne l’ai vu qu’une fois, et il était vachement mort, mais ses traits mutilés sont restés gravés dans ma mémoire : il s’agit du brigadier Edouard Santorches, mort en service place de l’Alma de l’explosion d’une grenade !

DANS LE GLAUQUE

Grande réunion à la Maison Pébroque.

Le Vieux est prostré comme un pingouin malade.

— Des ennuis de santé, monsieur le directeur ? m’inquiété-je.

— Du tout, cher Antoine.

Beau fixe ! Cher Antoine, c’est la toute grande exception !

— Des préoccupations professionnelles, alors ?