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Il réfléchit à sa situation, tandis que les gôrs retournaient à leur festin. Ces êtres devaient avoir un métabolisme analogue au sien et respiraient comme lui. L'action du polyaimant avait prouvé qu'ils contenaient des traces de fer, vraisemblablement de l'hémoglobine. La montagne poreuse qu'ils habitaient était une véritable mine de bulles d'oxygène. La vivacité du grand feu en faisait foi.

Leurs corps débiles recelaient une force étonnante, il calcula que quatre gôrs valaient un homme moyen. Mais leur plus dangereuse caractéristique était leur pouvoir de suggestion. Là encore, il fallait qu'ils se mettent à plusieurs pour imposer leur volonté et… A cet instant de ses réflexions, Jâ sentit une bouffée de chaleur lui monter au visage, une idée très imprécise mais très importante venait de lui passer dans l'esprit. Il se tortura la matière grise pour se rappeler quelque chose, un fait significatif auquel il n'avait pas pris garde. Et brusquement, il sut! En les invectivant, tout à l'heure, il avait fait un geste; tandis que les gôrs furieux poussaient des hurlements, il avait montré le poing: il avait pu bouger! La colère anéantissait momentanément chez ces bêtes leur pouvoir de suggestion.

«Eh bien, mes cocos, pensa Jâ Benal, je vais essayer de vous mettre dans une rogne épouvantable.»

Il réfléchit un instant et brutalement, se mit à injurier copieusement ses ennemis, il les inonda d'imprécations en choisissant les mots les plus orduriers qu'il connaissait; ses paroles emplissaient la salle de tonitruantes clameurs dues au fait qu'il avait poussé son amplificateur de son au maximum.

Le résultat ne se fit pas attendre. Les gôrs se mirent à hurler en chœur, à lui montrer rageusement les dents. Quand le vacarme eut atteint son paroxysme, Jâ bondit par-dessus ses gardiens et tomba au milieu d'un groupe de bébés gôrs, les écrasant sous ses lourdes semelles; un deuxième saut formidable (qu'il n'aurait pu réussir sur terre) le jeta au beau milieu du brasier. Il régla rapidement le réfrigérateur de son scaphandre et transforma le foyer en un feu d'artifice éblouissant, projetant dans toutes les directions des gerbes d'étincelles. A coups de pieds, à coups de poings, il répandit dans toute la salle une brûlante pluie de braises. Et encore, et encore! Déchaîné par la haine et l'instinct de conservation, il ne laissait pas aux gôrs le temps de se ressaisir. Il les voyait bondir comme des démons dans les flammes. Certains se tordaient sur le sol. La plupart fuyaient par les couloirs, montant les uns sur les autres. Quand Jâ se vit à peu près seul, il sauta hors du foyer et courut à longues foulées vers un couloir.

A son approche, quelques gôrs s'enfuirent par des ouvertures secondaires. Il ne prit pas le temps de réfléchir sur la direction à prendre, mit le plus de distance possible entre lui et la salle maudite.

CHAPITRE VIII

Il courut longtemps dans un dédale de voies compliquées et finit par s'arrêter sur une route en corniche surplombant un abîme. Il se pencha sur le vide et constata que, deux cents mètres plus bas, le fond du gouffre était toujours constitué par la même masse spongieuse. La chute ne pouvait pas être dangereuse pour quelqu'un ayant supporté sans dommages un plongeon de plusieurs centaines de kilomètres. Les gôrs pouvaient arriver d'un instant à l'autre.

Il sauta, creva le fond du gouffre et s'engloutit sous vingt mètres d'éponge avec la sensation de se retrouver chez lui, couché dans un lit familier. Il s'accorda une douche de détergène pour chasser la sueur d'angoisse dont sa peau était huilée sous le scaphandre, prit deux pastilles et aspira goulûment par deux fois dans le tube à Drinil.

La bulle ovoïde dans laquelle il avait élu domicile était à demi-pleine du liquide sale de sa douche. Et quoique le fait n'eût aucune importance, en raison du scaphandre, Jâ en ressentit un malaire, une sensation d'étouffement. «Je vais vider mon bain, pensa-t-il». Il creva le fond de la bulle d'un coup de poing et le liquide s'écoula comme d'une baignoire. «Très pratique», sourit-il en s'allongeant dans zone position confortable. Il éteignit son phare et ferma les yeux.

Il entendit un lointain «gôr» qui lui donna le frisson: «cherchez, cherchez, mes agneaux», grogna-t-il en se tournant sur le côté pour dormir. Mais aussitôt un bruit de «ploc!» lui parvint, puis un autre, puis plusieurs à la fois, enfin une grêle de chocs frappa la surface et Jâ comprit que les gôrs sautaient à sa suite. Il alluma son phare, entendit aussitôt des hurlements et comprit trop tard qu'il avait commis une faute. La lueur du phare devait porter assez loin à travers les bulles translucides pour guider ses poursuivants. Ceux-ci, du haut de la route en corniche, avaient certainement remarqué au fond du ravin une vague lueur et avaient repris l'offensive. Ils devaient être résolus à ne plus perdre leur sang-froid.

Déjà, le jeune homme entendait des bruits de ballons crevés se rapprocher. Il n'attendit pas, fendit largement le fond de son alcôve et tomba trois bulles plus bas.

Les vides, à cet endroit, étaient très rapprochés, chaque cellule n'étant séparée de la précédente que par une mince membrane qui apparentait l'ensemble à une gigantesque mousse de savon. Il renouvela plusieurs fois son geste qui l'éloignait du danger par chutes successives, de cinq mètres en cinq mètres. Dans cette fuite, il avait sur les gôrs l'avantage du poids.

Il s'apprêtait à descendre encore, mais son bras armé d'une lame resta levé; quelque chose d'étrange avait lieu: une lueur diffuse l'environnait. Il entendit quelques cris de gôrs qui lui parurent tout proches mais sous lui, cette fois. Il attendit un peu et se décida à pratiquer une ouverture minuscule dans la paroi pour jeter un regard dans la bulle inférieure: celle-ci était vide. Il y descendit avec précaution et tailla encore une mince meurtrière un peu plus bas. Il s'aperçut alors qu'il surplombait une salle semblable à celle qu'il avait eu tant de mal à quitter. D'autres gôrs l'occupaient, assemblés autour de leur feu.

Mais ceux-ci n'avaient pas la même teinte que les autres. Ils étaient un peu plus gros et d'une blancheur de neige… Jâ frémit à l'idée qu'il aurait pu crever le plafond et refaire le même cauchemar. Une membrane fragile le séparait de ce nouveau danger. Il se mit lentement debout pour tenter une remontée, mais par mégarde, il posa sa lourde semelle sur la fente et toute sa jambe passa au travers; la matière résista un peu pendant qu'il se débattait, puis se déchira davantage. Les cris des gôrs blancs éclatèrent sous lui, tandis qu'il se retrouvait suspendu, tournoyant comme un pantin au-dessus de l'énorme feu.

Il serrait à pleins bras les lambeaux qui tenaient encore. Il regarda vers le bas et vit des centaines de gueules tendues vers lui. Jouant le tout pour le tout, il se laissa aller et chut au milieu des flammes. Il renouvela la méthode qui lui avait déjà réussi et dispersa des masses de braises aux quatre points de la salle. Les gôrs blancs s'enfuirent dans toutes les directions. Jâ sortit du feu et s'avança rapidement vers un tunnel, mais il s'immobilisa d'un seul coup. Des gôrs blancs obstruaient fermement toutes les issues et le fixaient dans les yeux tandis que quelques gôrs verts paraissaient leur dicter la conduite à suivre en, tapotant leurs pattes sur le sol, suivant un rythme compliqué.