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C'est en réponse à cette question que des écrivains de tous les pays se sont groupés dans le sentiment très net d'un devoir urgent: oui la culture est menacée; mais le péril pour elle n'est nullement du côté des forces révolutionnaires et libératrices; il vient au contraire des partis qui tentent de subjuguer ces forces, de les briser, de mettre l'esprit même sous le boisseau. Ce qui menace la culture ce sont les fascismes, les nationalismes étroits et artificiels qui n'ont rien de commun avec le vrai patriotisme, l'amour profond de son pays. Ce qui menace la culture c'est la guerre à laquelle fatalement, nécessairement, ces nationalismes haineux conduisent.

Je devais présider la conférence internationale pour la défense de la culture qui se tient présentement à Londres. Les fâcheuses nouvelles de la santé de Maxime Gorki m'ont appelé précipitamment à Moscou. Sur cette Place Rouge qui déjà put voir tant d'événements glorieux et tragiques, devant ce mausolée de Lénine vers qui tant de regards sont fixés, je tiens à déclarer hautement, au nom des écrivains assemblés à Londres et en mon nom: c'est aux grandes forces internationales révolutionnaires qu'incombent le soin, le devoir de défendre, de protéger et d'illustrer à neuf la culture. Le sort de la culture est lié dans nos esprits au destin même de l'U.R.S.S.. Nous la défendrons.

De même que, par-dessus les intérêts particuliers de chaque peuple, un grand besoin commun fait communier entre elles les classes prolétariennes de tous les pays, par-dessus chaque littérature nationale s'épanouit une culture faite de ce qu'il y a de vraiment vivant et d'humain dans les littératures particulières de chaque pays: «Nationale dans la forme, socialiste dans le fond» ainsi que le disait Staline.

J'ai souvent écrit que c'est en étant le plus particulier qu'un écrivain atteint l'intérêt le plus général, parce que c'est en se montrant le plus personnel qu'il se révèle, par là même, le plus humain. Aucun écrivain russe n'a été plus russe que Maxime Gorki. Aucun écrivain russe n'a été plus universellement écouté.

J'ai assisté hier au défilé du peuple devant le catafalque de Gorki. Je ne pouvais me lasser de contempler cette quantité de femmes, d'enfants, de travailleurs de toute sorte, dont Maxime Gorki avait été le porte-parole et l'ami. Je songeais avec tristesse que ces mêmes gens, dans tout autre pays que l'U.R.S.S., étaient de ceux à qui l'on aurait interdit l'accès de cette salle; ceux qui précisément, devant les jardins de la culture, se heurtent à un terrible: «Défense d'entrer, propriété privée.» Et les larmes me montaient aux yeux en songeant que ce qui leur paraissait, à eux, si naturel déjà, me paraissait, à moi l'Occidental, encore si extraordinaire.

Et je pensais qu'il y avait là, en U.R.S.S., une nouveauté très surprenante: jusqu'à présent, dans tous les pays du monde, l'écrivain de valeur a presque toujours été, plus ou moins, un révolutionnaire, un combattant. D'une manière plus ou moins consciente et plus ou moins voilée, il pensait, il écrivait, à l'encontre de quelque chose. Il se refusait d'approuver. Il apportait dans les esprits et dans les coeurs un ferment d'insubordination, de révolte. Les gens assis, les pouvoirs, les autorités, la tradition, s'ils eussent été plus clairvoyants, n'auraient pas hésité à le désigner comme l'ennemi.

Aujourd'hui, en U.R.S.S., pour la première fois, la question se pose d'une façon très différente: en étant révolutionnaire l'écrivain n'est plus un opposant 24. Tout au contraire, il répond au voeu du grand nombre, du peuple entier, et, ce qui est le plus admirable: de ses dirigeants. De sorte qu'il y a comme un évanouissement de ce problème, ou plutôt une transposition si nouvelle que l'esprit en reste d'abord déconcerté. Et ce ne sera pas une des moindres gloires de l'U.R.S.S. et de ces journées prodigieuses qui continuent d'ébranler notre vieux monde—que d'avoir, dans un ciel neuf, fait lever, avec des étoiles nouvelles, de nouveaux problèmes, jusqu'à ce jour insoupçonnés.

Maxime Gorki aura eu cette destinée singulière et glorieuse de rattacher au passé ce nouveau monde et de le lier à l'avenir. Il a connu l'oppression d'avant-hier, la lutte tragique d'hier; il a puissamment aidé au triomphe calme et rayonnant d'aujourd'hui. Il a prêté sa voix à ceux qui n'avaient pas encore pu se faire entendre; à ceux qui, grâce à lui, seront désormais écoutés. Désormais Maxime Gorki appartient à l'histoire. Il prend sa place auprès des plus grands.

II

DISCOURS

AUX ÉTUDIANTS DE MOSCOU

(27 juin 1936)

Camarades, — représentants de la jeunesse soviétique je voudrais que vous compreniez pourquoi mon émotion est si vive de me trouver aujourd'hui parmi vous. Il est nécessaire pour cela, que je vous parle un peu de moi. La sympathie que vous me témoignez m'y engage. Cette sympathie, je crois que je la mérite un peu; et je crois qu'il n'est pas trop outrecuidant de le penser et de le dire. Mon mérite est d'avoir su vous attendre. J'ai attendu longtemps, mais avec confiance, avec cette certitude que vous viendriez un jour. A présent vous êtes là et votre accueil compense amplement le long silence, la solitude et l'incompréhension parmi laquelle j'ai vécu d'abord. Oui, vraiment, je considère votre sympathie comme la vraie récompense.

Lorsque, à Paris, prit naissance la Revue Commune sous la direction et grâce à l'initiative hardie du camarade Louis Aragon, celui-ci eut l'idée d'ouvrir une enquête. Il demandait à chaque écrivain de France: Pour qui écrivez-vous? Je n'ai pas répondu à cette enquête et j'ai expliqué à Aragon pourquoi je n'y répondais pas. C'est que je ne pouvais, sans quelque apparence de prétention, dire, ce qui pourtant était la vérité: j'ai toujours écrit pour ceux qui viendront.

Les applaudissements, je ne m'en souciais guère; ils n'eussent pu me venir que de cette classe bourgeoise dont j'étais sorti moi-même et dont, il est vrai, je faisais encore partie, mais que je tenais en grand mépris, précisément parce que je la connaissais bien, et contre laquelle tout ce que je sentais en moi de meilleur se soulevait. Comme j'étais de mauvaise santé et ne pouvais espérer vivre longtemps, j'acceptais de quitter cette terre sans avoir connu le succès. Je me considérais volontiers comme un auteur posthume, un de ceux dont j'enviais la pure gloire, qui sont morts à peu près ignorés, qui n'ont écrit que pour l'avenir, comme avaient fait Stendhal, Baudelaire, Keats, ou Rimbaud. J'allais me répétant: ceux à qui mes livres s'adressent ne sont pas encore nés, et j'avais cette impression douloureuse mais exaltante de parler dans le désert. On parle fort bien dans le désert, alors qu'aucun écho ne risque de déformer le son de la voix; alors qu'on n'a pas à se préoccuper du retentissement de ses paroles et que rien d'autre ne les incline qu'un souci de sincérité. Et il est à remarquer que, lorsque le goût du public est faussé, lorsque la convention a pris le pas sur la vérité, cette sincérité même passe pour de l'affectation. Oui, je passais pour un auteur affecté. On me le faisait sentir en ne me lisant pas.

L'exemple des grands écrivains que j'ai cités, que j'admirais entre tous, me rassurait. J'acceptais de n'avoir de mon vivant aucun succès, fermement convaincu que l'avenir me réservait une revanche. J'ai conservé, comme d'autres gardent un palmarès, la feuille de vente de mes Nourritures Terrestres. En vingt ans, (1897-1917), il y avait eu exactement cinq cents acheteurs. Le livre avait passé inaperçu du public et de la critique. On n'avait écrit sur lui aucun article; ou, plus exactement, il n'avait paru rien que deux articles d'amis. Ce que j'en dis n'a du reste de l'intérêt qu'en raison de l'extraordinaire succès que devait connaître ce livre plus tard et de l'influence qu'il exerce sur la jeune génération d'aujourd'hui.