—Il y a quelques années encore l'Allemagne et les Etats-Unis pouvaient, sur quelques points, nous instruire. Mais à présent, nous n'avons plus rien à apprendre des étrangers. Donc à quoi bon parler leur langue 11?
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Du reste, s'ils s'inquiètent tout de même de ce qui se fait à l'étranger, ils se soucient bien davantage de ce que l'étranger pense d'eux. Ce qui leur importe c'est de savoir si nous les admirons assez. Ce qu'ils craignent, c'est que nous soyons insuffisamment renseignés sur leurs mérites. Ce qu'ils souhaitent de nous, ce n'est point tant qu'on les renseigne, mais qu'on les complimente.
Les petites filles charmantes qui se pressent autour de moi dans ce jardin d'enfants (où du reste tout est à louer, comme tout ce qu'on fait ici pour la jeunesse) me harcèlent de questions. Ce qu'elles voudraient savoir, ce n'est pas si nous avons des jardins d'enfants en France; mais bien si nous savons en France qu'ils ont en U.R.S.S. d'aussi beaux jardins d'enfants.
Les questions que l'on vous pose sont souvent si ahurissantes que j'hésite à les rapporter. On va croire que je les invente: —On sourit avec scepticisme lorsque je dis que Paris a, lui aussi, son métro. Avons-nous seulement des tramways? des omnibus?... L'un demande (et ce ne sont plus des enfants, mais bien des ouvriers instruits) si nous avons aussi des écoles, en France. Un autre, un peu mieux renseigné, hausse les épaules; des écoles, oui, les Français en ont; mais on y bat les enfants; il tient ce renseignement de source sûre. Que tous les ouvriers, chez nous, soient très malheureux, il va sans dire, puisque nous n'avons pas encore «fait la révolution». Pour eux, hors de l'U.R.S.S., c'est la nuit. A part quelques capitalistes éhontés, tout le reste du monde se débat dans les ténèbres.
Des jeunes filles instruites et fort «distinguées» (au camp d'Artek qui n'admet que les sujets hors ligne) s'étonnent beaucoup lorsque, parlant des films russes, je leur dis que Tchapaïev, et Nous de Cronstadt, ont eu à Paris grand succès. On leur avait pourtant bien affirmé que tous les films russes étaient interdits en France. Et, comme ceux qui leur ont dit cela, ce sont leurs maîtres, je vois bien que la parole que ces jeunes filles mettent en doute, c'est la mienne. Les Français sont tellement blagueurs!
Dans une société d'officiers de marine, à bord d'un cuirassé que l'on vient de me faire admirer («complètement fait en U.R.S.S., celui-là») je me risque à oser dire que je crains qu'on ne soit moins bien renseigné en U.R.S.S. sur ce qui se fait en France, qu'en France sur ce qui se fait en U.R.S.S., un murmure nettement désapprobateur s'élève: «La Pravda renseigne sur tout suffisamment.» Et, brusquement, quelqu'un, lyrique, se détachant du groupe, s'écrie: «Pour raconter tout ce qui se fait en U.R.S.S. de neuf et de beau et de grand, on ne trouverait pas assez de papier dans le monde.»
Dans ce même camp modèle d'Artek, paradis pour enfants modèles, petits prodiges, médaillés, diplômés—ce qui fait que je lui préfère de beaucoup d'autres camps de pionniers, plus modestes, moins aristocrates—un enfant de treize ans qui, si j'ai bien compris, vient d'Allemagne mais qu'a déjà façonné l'Union, me guide à travers le parc dont il fait valoir les beautés. Il récite:
—Voyez: ici, il n'y avait rien dernièrement encore... Et, tout à coup: cet escalier. Et c'est partout ainsi en U.R.S.S.: hier rien; demain tout. Regardez ces ouvriers, là-bas, comme ils travaillent! Et partout en U.R.S.S. des écoles et des camps semblables. Naturellement, pas tout à fait aussi beaux, parce que ce camp d'Artek n'a pas son pareil au monde. Staline s'y intéresse tout particulièrement. Tous les enfants qui viennent ici sont remarquables.
»Vous entendrez tout à l'heure, un enfant de treize ans, qui sera le meilleur violoniste du monde. Son talent a déjà été tellement apprécié chez nous qu'on lui a fait cadeau d'un violon historique, d'un violon d'un fabricant de violons d'autrefois très célèbre 12.
»Et ici:—Regardez cette muraille! Dirait-on qu'elle a été construite en dix jours?»
L'enthousiasme de cet enfant paraît si sincère que je me garde de lui faire remarquer que ce mur de soutènement, trop hâtivement dressé, déjà se fissure. Il ne consent à voir, ne peut voir que ce qui flatte son orgueil, et ajoute dans un transport:
—Les enfants même s'en étonnent 13!
Ces propos enfants (propos dictés, appris peut-être) m'ont paru si topiques que je les ai transcrits le soir même et que je les rapporte ici tout au long.
Je ne voudrais pourtant pas laisser croire que je n'ai pas remporté d'Artek d'autres souvenirs. Il est vrai: ce camp d'enfants est merveilleux. Dans un site admirable fort ingénieusement aménagé, il s'étage en terrasses et s'achève à la mer. Tout ce que l'on a pu imaginer pour le bien-être des enfants, pour leur hygiène, leur entraînement sportif, leur amusement, leur plaisir, est groupé et ordonné sur ces paliers et le long de ces pentes. Tous les enfants respirent la santé, le bonheur. Ils s'étaient montrés fort déçus lorsque nous leur avons dit que nous ne pourrions rester jusqu'à la nuit: ils avaient préparé le feu de camp traditionnel, orné les arbres du jardin d'en bas de banderoles en notre honneur. Les réjouissances diverses: chants et danses qui devaient avoir lieu le soir, je demandai que tout fût reporté avant cinq heures. La route du retour était longue; j'insistai pour rentrer à Sébastopol avant le soir. Et bien m'en prit, car c'est ce même soir qu'Eugène Dabit, qui m'avait accompagné là-bas, tomba malade. Rien n'annonçait cela pourtant et il put se réjouir pleinement du spectacle que nous offrirent ces enfants; de la danse surtout de l'exquise petite Tadjikstane, qui s'appelle Tamar, je crois: celle même que l'on voyait embrassée par Staline sur toutes les affiches énormes qui couvraient les murs de Moscou. Rien ne dira le charme de cette danse et la grâce de cette enfant. «Un des plus exquis souvenirs de l'U.R.S.S.», me disait Dabit; et je le pensais avec lui. Ce fut sa dernière journée de bonheur.
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L'hôtel de Sotchi est des plus plaisants; ses jardins sont fort beaux; sa plage est des plus agréables, mais aussitôt les baigneurs voudraient nous faire avouer que nous n'avons rien de comparable en France. Par décence nous nous retenons de leur dire qu'en France nous avons mieux, beaucoup mieux.
Non: l'admirable ici, c'est que ce demi-luxe, ce confort, soient mis à l'usage du peuple—si tant est pourtant que ceux qui viennent habiter ici ne soient pas trop, de nouveau, des privilégiés. En général, sont favorisés les plus méritants, mais à condition toutefois qu'ils soient conformes, bien «dans la ligne»; et ne bénéficient des avantages que ceux-ci.
L'admirable, à Sotchi, c'est cette quantité de sanatoriums, de maisons de repos, autour de la ville, tous merveilleusement installés. Et que tout cela soit construit pour les travailleurs, c'est parfait. Mais, tout auprès, l'on souffre d'autant plus de voir les ouvriers employés à la construction du nouveau théâtre, si peu payés et parqués dans les campements sordides.
L'admirable, à Sotchi, c'est Ostrovski. (V. appendice.)
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Si déjà je louangeais l'hôtel de Sotchi, que dirai-je de celui de Sinop, près de Soukhoum, bien supérieur et tel qu'il supporte la comparaison des meilleurs, des plus beaux, des plus confortables hôtels balnéaires étrangers. Son admirable jardin date de l'ancien régime, mais le bâtiment même de l'hôtel est tout récemment construit; très intelligemment aménagé; de l'aspect extérieur et intérieur le plus heureux; chaque chambre a sa salle de bains, sa terrasse particulière. Les ameublements sont d'un goût parfait; la cuisine y est excellente, une des meilleures que nous ayons goûtée en U.R.S.S.. L'hôtel Sinop paraît un des lieux de ce monde où l'homme se trouve le plus près du bonheur.