Soudain, la tactique des Dominateurs changea. Les groupes de dominance entourant les cuirassés tinrent bon, troquèrent leurs massues contre des fusils et tirèrent des volées de balles à bout portant sur les troupes S.S. qui les assaillaient. Derrière Feric, un jeune et beau héros S.S. hurla de douleur avant de s’écrouler, un sang clair jaillissant de la profonde blessure de son cou. Tout autour de Feric, les balles fauchaient les S.S. ; des dizaines de magnifiques spécimens s’écroulèrent dans la poussière avec des hurlements d’agonie. Une balle ricocha sur le cadre de la moto de Best et manqua sa tête d’un cheveu.
« Mitrailleuses ! » cria Feric, rengainant le Commandeur d’Acier et sortant sa propre arme. Il lança le moteur de sa machine et fit exécuter à la colonne une courte manœuvre tournante vers le nord pour permettre au maximum de chars de se porter sur les cuirassés ennemis.
Puis il fit feu dans la plus proche formation de Guerriers, et en abattit deux. À ce signal, les canons des chars ouvrirent le feu. Une salve d’obus explosifs tomba dru sur les cuirassés ennemis, provoquant une épaisse colonne de flammes orange et de fumée noire, suivie d’une grêle de fragments de métal. Avant même que les flammes et que la fumée eussent commencé à se dissiper, une autre salve secoua les cuirassés de Zind, puis une autre, puis une autre encore.
À l’endroit des huit cuirassés de commandement de Zind, il n’y eut bientôt plus qu’un cratère fumant rempli d’éclats de métal brûlant et de fragments de protoplasme sanglant.
L’effet de cette destruction sur les formations de Guerriers qui avaient défendu les cuirassés fut foudroyant. Les troupes si bien synchronisées et disciplinées se désagrégèrent instantanément ; les Guerriers géants et stupides commencèrent à errer follement en tous sens. Quelques-uns déchargeaient leurs fusils vers le ciel, d’autres jetaient tout bonnement leurs armes. Nombre de ces paquets de muscles soudainement innervés se mirent à uriner sans retenue, éclaboussant leurs camarades. Un concert de grognements, de cris et de hurlements horribles emplit l’air. La masse des créatures entourant le cratère fumant, ainsi que des sections entières de la horde zind, dans les environs immédiats, se trouvaient à présent réduites à l’état de troupeau stupide et affolé ; les cuirassés détruits ayant de toute évidence abrité les Doms contrôlant ce secteur ainsi que le Haut-Commandement zind, ces combattants, privés de leurs chefs, n’étaient plus qu’une masse de muscles agitée de spasmes.
Les canons et les mitrailleuses S.S. fauchèrent par bancs entiers les esclaves des Doms maintenant décervelés, tandis que Feric menait sa troupe dans une course gigantesque au sein de la horde décapitée et pratiquement sans défense, traversant le fond de la vallée en direction de la ligne de crête sud, à l’écart du chaos qui régnait au-dessous. Des milliers et des milliers d’esclaves zind furent abattus ; des milliers d’autres l’auraient été si Feric n’avait opté pour une tactique de désorganisation éclair. Feric et ses troupes longèrent donc pendant quelques kilomètres la ligne de crête vers l’est, puis replongèrent dans la vallée, frappant la section de la horde zind proche de Lumb. Les forces helders concentrèrent leurs attaques sur les fourgons de guerre tirés par les remorqueurs géants ; en effet, chaque fois que l’une de ces plates-formes mobiles était réduite en miettes, des centaines de guerriers entraient en folie, jetant leurs armes, mitraillant le ciel, attaquant leurs camarades, urinant et déféquant les uns sur les autres comme un troupeau de porcs déments. Sans aucun doute, les Doms contrôleurs se trouvaient sur les fourgons ; chaque Dom abattu rendait mille Guerriers inutilisables.
Sans répit, ce mouvement fut renouvelé ; Feric conduisait ses hommes en profondes percées dans la horde zind, chaque incursion dans la vallée ouvrant une large voie de destruction et rapprochant les forces S.S. de Lumb et du pont sur le Roul.
Quand apparurent les faubourgs est de Lumb, l’arrière-garde tout entière de la horde zind n’était plus que chaos. Des dizaines de milliers de Guerriers avaient été massacrés, et des dizaines de milliers d’autres, privés de leurs maîtres doms, avaient été mués, de rouages efficaces qu’ils étaient dans la grande machine à tuer protoplasmique, en une masse de muscles stupides et répugnants se détruisant elle-même. Comme un grand reptile décapité se tordant en spasmes interminables, ces immenses troupeaux de géants musculeux et littéralement sans cervelle se tordaient et s’agitaient en tous sens, frappant du poing et du pied au hasard, urinant, mordant, déféquant, massacrant des centaines de leurs camarades, et empêchant, pour comble, toute manœuvre des formations encore sous le contrôle des Dominateurs.
Feric et ses hommes, descendant sur leurs motos la large avenue qui traversait les ruines de l’est de Lumb, découvrirent un spectacle de cauchemar.
La horde zind avait pénétré dans la ville sur un large front. Les bâtiments de torchis avaient été littéralement émiettés et pulvérisés ; il ne restait plus debout aucune création humaine, et dans les gravats qui engorgeaient les rues bourbeuses il était même difficile de reconnaître des maisons en ruine. Les Guerriers avaient tout écrasé sur leur passage et chaque pouce de la ville était recouvert de toutes sortes de cadavres en décomposition, de métis et de mutants, qui puaient comme mille enfers.
Apparemment, la présence de tant de Guerriers errants rendait impossible tout contrôle des Doms encore vivants sur leurs créatures, car des dizaines de milliers de ces géants répugnants couraient et bondissaient au milieu de cet abominable charnier, se cognant les uns aux autres dans leur panique aveugle, tirant en l’air, piaillant ou grondant, assenant des coups de massue sur leurs camarades ou sur les morceaux de cadavres, des litres de bave dégouttant de leurs petites bouches sans lèvres.
Ce spectacle fit monter une nausée dans la gorge de Feric et battre le sang de ses veines. « Voilà le futur réservé au monde par les Dominateurs ! cria-t-il à Best. Un égout planétaire peuplé de légions de monstres stupides et écumants, contrôlé par les Doms et par eux seuls ! Je jure par ma Grande Massue et par le Svastika de ne plus jamais prendre de repos tant que ce fléau ne sera pas extirpé à jamais de la surface de la terre ! »
Feric et la colonne poursuivirent rapidement leur avance dans la large avenue, jaggarnath irrésistible de canons, de mitrailleuses et de massues, chaque Helder survivant poussé à un héroïsme transcendé par sa révulsion raciale devant l’horreur d’un protoplasme jadis humain qui se battait, bavait et urinait d’ignoble façon. Anéantissant tout sur leur chemin, les troupes helders se ruèrent en direction de l’énorme voile de feu et de fumée suspendu au-dessus de l’ouest de Lumb. Même à cette distance, le grondement du canon et l’immense crépitement de milliers de mitrailleuses provenant de la grande bataille qui se jouait sur l’autre rive de la rivière étaient assourdissants.
Un seul ponton enjambait le Roul, gorgé de cadavres, et, quand Feric arriva en vue de cette construction primitive, le spectacle qu’il découvrit fut un invraisemblable pandémonium. Mais une formation de Guerriers entourant un fourgon de guerre allait sur le pont, parfaitement en cadence. Sans doute ces Guerriers, confinés sur le territoire étroit de ce pont, n’avaient-ils pas été affectés par la panique et la désintégration totale que Feric et ses troupes S.S. avaient déclenchées parmi leurs camarades. Cependant, la berge orientale tout entière du Roul débordait d’une masse incontrôlée de géants de trois mètres, hurlants et meurtriers. Des mêlées de Guerriers enragés tentaient de se forcer un passage sur le pont au milieu de la troupe disciplinée, mue peut-être par une loyauté récurrente à l’égard d’ordres psychiques oubliés, ou obéissant tout simplement aux lois mathématiques de l’errance. Quoi qu’il en fût, les Guerriers forcenés tournoyaient autour du pont, jetant la pagaille dans les sections encore sous contrôle dominateur qui tentaient de rejoindre le champ de bataille sur la rive occidentale.