Feric s’arrêta à dix mètres du premier rang de pensionnaires du camp, et Remler l’imita en claquant les talons et en faisant silencieusement le salut du Parti. Immédiatement, une véritable forêt de bras jaillit et le cri de « Vive Jaggar ! » se répercuta dans tout le camp de sélection.
Feric rendit le salut et, comme à son habitude, prononça une brève allocution pour rendre hommage à l’abnégation des pensionnaires.
« Compagnons Helders, je vous félicite de votre esprit de dévouement et de patriotisme. Je sais que plus de la moitié d’entre vous sont des volontaires. Une telle ardeur idéaliste est un exemple non seulement pour moi mais pour chaque véritable humain vivant à l’ombre du Svastika : c’est aussi un message qui installera la peur au cœur des Dominateurs de Zind et de tous ceux qui les servent, ici et là-bas. Qu’aucun Dom ne soit découvert parmi vous ! Que vous soyez tous certifiés à nouveau ! Que nombreux parmi vous soient ceux jugés dignes de figurer dans les rangs S.S. ! Vive Heldon ! Vive la Victoire ! »
Les oreilles encore bourdonnantes du rugissant « Vive Jaggar ! » qui lui avait répondu, Feric précéda Remler jusqu’au centre de sélection, terme de son inspection du camp.
C’était un bâtiment bas et rectangulaire édifié en tôle galvanisée. Une foule surveillée par de grands S.S. blonds en cuir noir immaculé faisait les cent pas sur un côté de l’entrée principale. D’autres S.S. surveillaient quatre files impeccables de pensionnaires qui pénétraient dans le bâtiment. Ces lignes avançant fort rapidement, les S.S. sortaient sans relâche d’autres pensionnaires de la foule, tandis que des pelotons S.S. amenaient d’autres groupes sur l’aire d’attente. Cela faisait penser au mouvement continu d’une chaîne de montage. Feric remarqua que les gens qui tournaient sur l’aire d’attente parlaient entre eux avec animation, alors que ceux qui étaient déjà alignés adoptaient une attitude digne et solennelle pour marquer l’importance de l’instant.
« Je suis heureux de voir les files avancer si rapidement dit Feric à Remler, tant pour des raisons humanitaires que d’efficacité. »
Remler acquiesça vivement. « Certains de ces jeunes gens sont tellement persuadés de leur admission chez les S.S. qu’ils essaient de vendre leurs rations en échange d’une meilleure place dans la queue. »
Remler conduisit vers une porte dérobée un Feric rayonnant ; une telle ardeur ne pouvait manquer de le toucher. Cependant, il eût été fort dommage de voir les meilleurs candidats S.S. détériorer ainsi leur santé !
« Passez un avis aux termes duquel tout homme pris à céder ses rations sera rétrogradé de dix places, commanda-t-il. Nous ne pouvons laisser nos meilleurs pur-sang génétiques jeûner par enthousiasme mal placé.
— Oui, Commandeur ! » répondit Remler en pénétrant dans le hangar de tôle ondulée.
L’intérieur en était nu et résolument fonctionnel. Chacune des files passait devant un comptoir occupant en longueur la moitié du bâtiment ; derrière avaient pris place de longues rangées de généticiens S.S. en élégants cuirs noirs, armés de batteries de tests qu’ils faisaient subir à la chaîne aux pensionnaires. Les quatre files débouchaient ensuite sur un petit espace vide soigneusement gardé par une douzaine de S.S. armés de massues et de mitraillettes. Au-delà, le reste du hangar était masqué par une cloison en tôle dans laquelle s’ouvraient quatre portes sans signe distinctif. Chaque homme ayant subi tous les tests était dirigé vers l’une d’elles pour la suite des opérations. Feric remarqua que la plupart étaient dirigés sur la porte située à l’extrême droite.
« Nous avons récemment mis au point quatre tests additionnels, fit brièvement Remler. Chaque Helder doit répondre à vingt-trois critères génétiques et, bien entendu, les modalités d’admission chez les S.S. sont infiniment plus rigoureuses. Comme nous avons déjà découvert près de soixante-dix mille recrues S.S. dans les camps, nous avons pu relever le niveau des critères S.S. Les camps de femmes ont produit près de quarante mille femelles dignes d’être appariées avec les S.S. Pouvez-vous imaginer les incroyables spécimens que produira la prochaine génération, Commandeur ?
— Aucun doute là-dessus, Remler. Vous avez accompli des miracles. »
Rayonnant d’une légitime fierté, Remler entraîna Feric vers la porte la plus à gauche, qui s’ouvrait sur une petite pièce occupée par deux S.S. armés de mitraillettes et de massues ; à la vue du Commandeur Suprême, ils se mirent instantanément au garde-à-vous et saluèrent. Dans le plancher de la cabine s’ouvrait une bouche d’égout ; un tuyau était relié à un robinet sortant du mur. Le sol de béton n’en était pas moins teinté d’une légère couleur brun-rouge.
« Nous n’avons jusqu’à présent découvert que quelques milliers de Doms, dit Remler. Mais les savants S.S. sont bien près de mettre au point un test spécifique pour le génotype des Dominateurs. À l’heure actuelle, j’ai bien peur que certains Doms ne nous échappent en se dissimulant parmi les métis et les mutants les plus communs. »
Feric rendit leur salut aux exterminateurs S.S. et hocha la tête à l’adresse de Remler. « Dès qu’un test indiscutable sera mis au point, il sera relativement facile de le faire repasser aux stérilisés et d’extirper ainsi le dernier gène dominateur de la face de Heldon.
— Quoi qu’il en soit, le problème sera résolu d’une façon ou d’une autre à la prochaine génération », remarqua Remler.
Suivi de Feric, il franchit la porte du fond de la chambre d’extermination, longea un couloir et pénétra dans une grande pièce peuplée de Helders souriants et excités qui faisaient la queue devant un mur de coffres pour recevoir leur nouveau certificat de pureté génétique et leurs vêtements civils.
Avant même que le commandant S.S. eût pu faire un mouvement pour réclamer l’hommage, Feric fut aperçu et un chœur légèrement désordonné de « Vive Jaggar ! », accompagné de saluts quelque peu fantaisistes, éclata au milieu de ces gens exubérants. Suivit plus d’une minute d’acclamations spontanées.
Feric ne put s’empêcher de sourire en rendant le salut. Ces Helders avaient de bonnes raisons de se réjouir : ils avaient passé les nouveaux et rigoureux tests génétiques et ils étaient admis à nouveau dans la communauté de l’humanité pure. Feric fut profondément ému de cette joie communicative ; elle raffermit sa résolution de veiller à ce que les hommes purs et eux seuls héritent du monde à venir.
Puis Remler lui fit parcourir le couloir en sens inverse et l’introduisit dans une longue pièce rectangulaire, objet visible de sa fierté et de sa joie. Un comptoir d’expérimentation ; derrière se tenaient cinq généticiens S.S., tous de grands spécimens blonds. Outre cette brochette d’experts généticiens, un docteur S.S., équipé de toutes sortes d’instruments de précision. Le fond de la salle était occupé par une rangée de tables où de grands jeunes gens blonds s’activaient à remplir des carnets de tests, sous la supervision d’un capitaine S.S. L’ardeur patriotique et l’excitation étaient ici à leur comble car, dans cette pièce, les pensionnaires ayant satisfait aux tests généraux avaient la possibilité de passer les tests génétiques, somatiques, mentaux et patriotiques incroyablement rigoureux de l’examen d’entrée S.S.
À la vue de Feric, chacun dans la pièce se figea au garde-à-vous, salua et rugit « Vive Jaggar ! » Feric salua brièvement et signifia d’un geste de la main que l’examen solennel devait se poursuivre sans qu’il fût tenu compte de sa présence. Il entraîna lui-même Remler hors de la pièce par une porte latérale ; ces garçons avaient bien besoin de toute leur attention à un moment pareil, et la présence de leur Commandeur Suprême n’eût pas manqué de faire diversion !