Soudain, Best désigna l’Est. « Là-bas, Commandeur ! Je crois que voilà l’armée borgravienne. »
Entre le bataillon de chars et Gormond, Feric discerna des marbrures grises sur la grande plaine étique couleur vert-de-gris ; sans nul doute les troupes borgraviennes, rassemblées là pour opposer un semblant de résistance à l’avance helder.
Comme pour confirmer cette observation, quelques éclairs de feu fleurirent au sein de cette écume grise, et, quelques secondes plus tard, une demi-douzaine d’obus explosèrent piteusement à près de mille mètres des chars. Les pointeurs helders, quant à eux, se gardèrent de gaspiller leurs munitions en tirant à longue portée. Feric brancha le micro et contacta le chef des cuirassés aériens lancés à l’attaque de Gormond.
« Ici le Commandeur Suprême. Prenez une vingtaine de vos appareils et attaquez les troupes borgraviennes à l’est de la ville.
— Tout de suite, Commandeur ! Vive Jaggar ! »
Alors que les mouchetures grises se transformaient en un échantillonnage sordide de métis borgraviens en uniformes d’un gris terne disséminés sur la ligne de front, vingt cuirassés aériens noirs, rapides et élégants surgirent et se lancèrent l’un après l’autre en un carrousel de plongeons mortels, clouant au sol les créatures et les pulvérisant sous une grêle de balles de mitrailleuse. Les grands aigles de métal piquaient et remontaient, tuant à chaque fois des dizaines de misérables mutants qui couraient à l’aveuglette, fous de terreur, et écrasant également sous leurs bombes les quelques vieux blindés pesants que possédaient les Borgraviens ; en somme, une action magnifique et exaltante.
« Feu ! ordonna Feric aux commandants de blindés. Feu à volonté tant qu’il y a des cibles ! »
Le tonnerre secoua son char quand le canon tira, des obus sifflèrent au-dessus de sa tête, et une forêt d’explosions s’épanouit dans les rangs borgraviens. Sans répit, les chars lancèrent des salves d’obus explosifs dans la canaille en débandade – que les cuirassés aériens mitraillaient toujours. Enfin, les chars eux-mêmes atteignirent l’armée borgravienne, tout au moins ce qu’il en restait. Un vaste capharnaüm de tranchées et de trous d’hommes avait été creusé dans la plaine devant la capitale en flammes ; un labyrinthe de barbelés serpentait au hasard parmi ces fortifications grossières et ridicules. La zone entière était trouée de cratères de bombes et d’obus et le champ de bataille obscurci par l’âcre fumée de la poudre. Partout, des fragments épars de l’attirail militaire borgravien – débris d’obusiers, morceaux de cuirassés volatilisés, mitrailleuses brisées et tordues – et les lambeaux ensanglantés de toutes sortes de mutants répugnants en uniformes gris.
« Nous n’avons presque plus rien à nous mettre sous la dent, Commandeur », observa Best avec un certain désappointement.
C’était quelque peu excessif car, du fond des tranchées, trous d’hommes, cratères et épaves tordues, quelques Perroquets, Peaux-Bleues, Hommes-Crapauds, nains et autres créatures atteintes de tous les fléaux génétiques concevables tirèrent de bien inutiles salves de fusils sur les chars, leurs balles ricochant contre les blindages comme autant de petits cailloux.
Feric maintint enfoncée la gâchette de sa mitrailleuse, arrosant les monstres d’une pluie de plomb brûlant, tandis que les chenilles de son char écrasaient un rouleau de barbelés et broyaient un Perroquet, un nain bossu et un Peau-Bleue tapis derrière l’épave d’un blindé. « Utilisez les mitrailleuses ! ordonna-t-il aux commandants des chars. Obus incendiaires ! »
Les chars avancèrent rapidement derrière un véritable mur de balles de mitrailleuses, écrasant barbelés, tranchées, trous d’hommes et Borgraviens sous leurs lourdes chenilles d’acier. À bout portant, les canons lancèrent des obus au phosphore dans les rangs des mutants. Des centaines de créatures se traînèrent, coururent ou rampèrent affolées dans tous les azimuts, leurs uniformes en flammes. Les Borgraviens se trouvant sur la trajectoire des chars jaillissaient comme des diables de leurs positions, parcourant quelques mètres dans un état de terreur hystérique avant d’être fauchés par les mitrailleuses et laminés par les chenilles des chars en mouvement.
Poussant devant elle les restes meurtris de l’armée borgravienne, la foudre helder roulait à travers la plaine en direction de Gormond : formation serrée de blindés noirs, bannières rouges au vent, qui pulvérisait tout sur sa route, ne laissant derrière elle que des flammes, des cendres et les cadavres mutilés de l’ennemi.
« Quel magnifique spectacle, Best ! s’écria Feric. Imaginez-vous la réaction qu’il va déclencher en Vétonie et en Husak ?
— Peut-être se rendront-ils sans résister, Commandeur.
— La reddition ne sera pas admise dans cette guerre ! répliqua Feric. Nous devons faire un exemple de tous ces États de mutants ! »
Un moment plus tard, le char de Feric pénétrait dans les faubourgs de Gormond, ou plutôt de ce qui restait de la capitale borgravienne : des tas de gravats fumants violemment illuminés par les bâtiments en flammes. Les cadavres de mutants et de métis tapissaient le sol, la plupart complètement calcinés, interdisant toute identification, mais nombre d’entre eux portant encore les traces de la plus ignoble dégénérescence génétique – petites têtes, longs membres inarticulés, peau marbrée de bleu, de vert, de marron ou même de violet, ignobles bosses poilues, becs chitineux et même carapaces, grappes de tentacules vermiculaires – dans l’ensemble une exhibition révulsante de protoplasme déjeté et dégénéré.
Tandis que les chars s’engouffraient dans cette décharge génétique en flammes, abattant de temps à autre d’un coup de canon une construction par miracle intacte ou transperçant avec leurs mitrailleuses un groupe de grotesques survivants, l’esprit de Feric revint au temps horrible de son exil, où ces souilles abjectes grouillaient de répugnante vermine, offensant à chaque seconde sa propre humanité.
Un Peau-Bleue zigzagua d’un tas de gravats à l’autre, et Feric le mit en pièces d’une rafale de mitrailleuse. « Encore un sac de chromosomes pourris qui ne contaminera plus le génotype ! s’écria-t-il. Best, vous ne pouvez pas concevoir la satisfaction que je ressens à balayer ce cloaque puant de la surface de la Terre ! »
En une heure, les forces d’artillerie lourde s’étaient frayé un passage à travers les ruines de Gormond, prenant bien soin de ne laisser aucun bâtiment debout, pas un seul monstre ignoble vivant et aucune chance à cette engeance de se reproduire. Feric n’avait pas le moindre doute que Remler et les S.S. seraient parfaitement capables de purger l’ancien territoire de Borgravie de ses derniers agents de contamination et de le rendre apte à l’intégration dans le Domaine de Heldon. Mais il y allait de son honneur personnel que ses propres troupes assurent elles-mêmes la purification de Gormond, en détruisant jusqu’à la dernière construction fétide, jusqu’au dernier gène malsain. Le cloaque où l’avait reclus le traité de Karmak durant tant d’années devait être anéanti par le feu, comme s’il n’avait jamais existé.
Et, lorsque les chars foncèrent vers l’ouest à travers les plaines, loin de ce qui avait été Gormond, poussant devant eux une horde de réfugiés, tel un troupeau de porcs, Feric mit son œil au périscope arrière et ne vit qu’une grande colonne de fumée et de feu tournoyant dans le ciel.
« Je me demande si vous pouvez comprendre mon soulagement d’avoir enfin effacé cette tache de l’honneur de ma généalogie, Best, fit-il doucement.
— Mais, Commandeur, votre pouvoir de soulever la Grande Massue de Held prouve bien que votre généalogie est la plus pure qui soit ! »