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Quelques instants plus tard, l’avion de réglage helder envoyait les coordonnées demandées. Sur la ligne de crête d’une lointaine colline, Feric aperçut les éclairs d’explosions trouant le ciel et des colonnes de fumée : les bombardiers pilonnaient l’ennemi.

Soudain, l’univers lui-même, eût-on dit, fut secoué par le rugissement incroyable de sept cents canons helders tirant à l’unisson. Puis un essaim de météores d’acier déchira le ciel vers l’est, et l’horizon s’embrasa derrière les collines dans une immense aurore de flammes orange et d’épaisse fumée noire. Un puissant grondement se fit entendre encore, immédiatement étouffé par le fantastique hurlement de la salve suivante.

Tirant pratiquement un coup à la minute, les chars helders accélérèrent jusqu’à atteindre quatre-vingts kilomètres/heure, défonçant la jungle irradiée, écrasant la pâle herbe bleuâtre sous leurs chenilles, irrésistible jaggarnath de feu, de chair et d’acier, projetant devant lui ses messagers de mort et laissant derrière lui un sillage de dévastation. Bientôt Feric eut conduit sa puissante troupe de choc au-delà de la dernière crête : les Guerriers de Zind apparurent soudain à leurs yeux.

Ravages et destructions régnaient déjà en maîtres dans cette horde de Zind. Les coteaux éloignés n’étaient plus eux-mêmes que dépotoirs fumants de blindés et de fourgons emmêlés et brisés. Dans la vallée, dix mille Guerriers environ étaient disposés en longues rangées face à l’avance helder. La plupart d’entre eux avaient été transformés en petits monticules sanglants qui maculaient d’écarlate le paysage gris et lunaire fait de trous d’obus et de cratères fumants. Quant aux géants de trois mètres survivants, bon nombre couraient au hasard, tiraillaient frénétiquement en l’air, éclaboussaient leurs camarades d’urine jaune et acide, grognaient, se bourraient de coups et bredouillaient, car la vallée était jonchée de carcasses carbonisées de douzaines de fourgons surmontées des cadavres calcinés de leurs contrôleurs doms.

Un dernier quarteron de bombardiers plongea du ciel, déversa son chargement de bombes sur une formation de Guerriers nus et musclés, remonta au ras des explosions puis rejoignit les autres appareils qui regagnaient leurs bases. Une des dernières bombes tomba en plein sur l’un des fourgons encore intacts, le pulvérisant avec le Dom qui l’occupait. Immédiatement, les Guerriers en formation serrée qui l’entouraient rompirent les rangs et se mirent à courir en cercle, se heurtant de front à chaque tour, se fusillant aveuglément les uns les autres, déféquant, bavant et grognant.

La grande armada de chars noir et rouge descendit dans la vallée : les canons réglés pour un tir à bout portant lancèrent une salve massive d’obus explosifs, projetant dans les airs des milliers de Géants stupides qui retombèrent dans une pluie d’os et de sang. Deux autres salves dévastatrices furent tirées ; puis Feric entraîna ses troupes dans un nuage tourbillonnant de poudre, de poussière, de gravats et de chair. Ce fut au tour des mitrailleuses de faire entendre leur crépitement assourdissant, et les lance-flammes crachèrent des torrents de pétrole ardent et poisseux sur l’ennemi.

Feric enfonça la détente de sa mitrailleuse et la puissante arme tressauta en hurlant dans sa main comme une chose vivante. Inutile de viser dans cet affreux chaos. Le char émergeait par à-coups d’une mer d’énormes créatures nues, nanties de têtes minuscules sans face et de membres épais comme des troncs d’arbres. Ces monstres tiraillaient frénétiquement, donnaient de grands coups de massue à tout ce qui était à leur portée, s’agrippaient aveuglément à leurs camarades ou même aux plaques de blindage des chars, crachant et miaulant. On eût cru plonger dans un nid de serpents enragés.

La muraille de chars progressa dans cette masse de protoplasme sanieux et forcené, derrière une rivière de flammes et un roulement gigantesque de mitrailleuses. Les Guerriers flambaient comme des torches, hurlant, communiquant le feu à leurs camarades dans leurs spasmes d’agonie, emplissant l’air de l’odeur pénétrante de la chair rôtie. Comme du blé que l’on fauche, les putrides créatures tombaient sous les mitrailleuses des chars et étaient transformées ensuite en un mince brouet sanglant par les chenilles d’acier.

En cinq minutes, le char de Feric eut atteint la crête des coteaux qui bordait l’autre côté de la vallée, suivi de près par l’immense phalange des chars. Derrière eux, un vaste et profond sillon fumant gorgé des corps brisés, emmêlés et carbonisés de dix mille Guerriers, rien d’autre qu’une immense tache de sang et de chair dans le paysage dévasté. Pour les vagues ininterrompues de troupes à moto qui suivaient les chars, il n’était guère question de nettoyage. Les dix mille Guerriers zind gardant la frontière de Malax avaient été réduits en une bouillie d’os pulvérisés et de sang fumant par la force irrésistible des troupes aériennes et blindées de Heldon.

Best tourna vers Feric ses yeux bleus et étincelant. « Commandeur, c’est le plus grand moment de ma vie : avoir combattu à vos côtés dans cette magnifique et glorieuse bataille ! »

Feric frappa sur son épaule. « Cela n’est rien, comparé à ce qui nous attend », dit-il. Pourtant, son âme palpitait de joie, en pensant à l’irruption de l’armée du Svastika dans les territoires zind, portée par les ailes d’un triomphe absolu et glorieux.

La campagne de Zind était cauchemardesque. De grandes étendues putrescentes de jungle irradiée violacée s’étalaient, tels d’informes ulcères amiboïdes alternant avec de larges escarres de pierres affouillées et de terre déserte et empoisonnée où ne poussait pas même la plus ignoble imitation de végétation mutante. Ça et là, des champs d’herbe grise ou des rangées étiques de céréales mutées défiant toute identification tentaient désespérément de s’agripper au sol dans un environnement de terre desséchée et de jungle pestilentielle.

Quelques fermes pathétiques étaient exploitées par la même populace bigarrée qui avait constitué la défunte paysannerie borgravienne et wolakienne – Peaux-Bleues, Perroquets, nains contrefaits et variés, géants, demi-hommes aux épidermes totalement cancéreux, Hommes-Crapauds, l’habituel assortiment de mutants répugnants. Cependant, les esclaves de Zind, à l’inverse de la lie campagnarde des territoires conquis, tenaient tête stupidement, essayant d’arrêter le jaggarnath helder avec des faux, des bâtons, des pierres et quelques armes à feu. Sans doute chaque ferme était-elle sous l’emprise du Dom local ; les misérables mutants se jetaient sous les chenilles des chars par obéissance à des ordres psychiques, et non de volonté délibérée. Tout à fait inutilement d’ailleurs, car chaque pouce de terrain cultivé ou de jungle irradiée subissait le feu purificateur de l’immense armée, qui s’enfonçait toujours plus avant dans les campagnes occidentales de Zind, dessinant une tranchée de feu de quinze kilomètres de large et de dizaines de kilomètres de long qui flamboyait comme quelque immense flèche derrière sa pointe acérée.

Tout l’après-midi et toute la nuit l’armée helder roula à travers Zind sans rencontrer d’opposition sérieuse. La horde zind désignée pour défendre cette zone n’existait plus qu’à l’état de pulpe sanglante, loin derrière, dans une région dès à présent entièrement pacifiée par l’infanterie helder. En effet, la frontière de Heldon s’élargissait à mesure que la proue du char de Feric s’enfonçait dans le territoire de Zind à soixante-cinq kilomètres/heure.

Des avions de reconnaissance avaient rapporté qu’il n’y avait aucun obstacle à signaler entre l’armée helder et la grande horde zind, à cent cinquante kilomètres au nord, qui dès à présent avait modifié sa route et avançait vers le sud à la rencontre des conquérants. Feric estima que la grande bataille commencerait peu après l’aube, à six cent cinquante kilomètres à l’intérieur de Zind et à huit cents kilomètres de Bora ; au point du jour, il ferait pivoter son armée vers le nord pour faire face à la contre-attaque zind.