Au nord, les vagues de croiseurs aériens helders pilonnaient la horde en marche. Les pilotes avaient noté que cette armée gigantesque était dix fois plus nombreuse que l’immense armée helder. Bien que les avions helders eussent chassé jusqu’au dernier croiseur aérien zind et sillonné à loisir le ciel au-dessus des forces ennemies, de vastes formations d’oiseaux mutants planaient sur la horde comme des essaims d’énormes insectes venimeux. En plus des habituels Guerriers, fourgons de guerre et blindés, les avions de reconnaissance avaient aperçu plusieurs centaines de chars, de l’artillerie tirée par les Remorqueurs, et d’importantes troupes de Guerriers ne correspondant pas aux caractéristiques connues. Jamais les armées de Zind n’avaient mis tant de forces en mouvement ; de la bataille à venir dépendait l’avenir du monde.
Les premiers rayons de l’aube illuminèrent un paysage d’épouvante. Ici, rien ne poussait que des touffes décharnées et putrides de jungle irradiée. De très grands bassins avaient été creusés dans la terre dure et contaminée ; ils étaient remplis d’une vase gris-vert, probablement cultivée pour nourrir les esclaves. La puanteur de ces poches d’algues était accablante, et rappelait celle de fosses d’aisance à ciel ouvert. Au milieu de ces étangs étaient éparpillés des enclos de bois abritant un assortiment répugnant de bétail dégénéré : des porcs boursouflés sans pattes qui se trémoussaient dans les excréments comme des vers géants, des bêtes à cornes à six jambes pourvues de petites têtes vestigielles et couvertes de plaies d’où dégouttait une sanie brun-vert, des chèvres mauves sans poil qui traînaient d’ignobles pis bleus dans la boue, des poulets couverts d’un manteau vert et visqueux de mucus au lieu de plumes.
Les esclaves qui exploitaient ces obscènes caricatures de fermes faisaient mieux que se fondre dans leur environnement ; jamais Feric n’avait eu l’infortune de voir une collection plus répugnante de mutants. Ici, les habituels Perroquets, Hommes-Crapauds et autres nains prenaient une allure de parangons de vertu génétique ! Des créatures écorchées couvertes de sanie rouge où transparaissaient des veines bleues palpitantes étaient monnaie courante, de même que des bipèdes verts aux yeux d’insecte vides et aux bras grouillants de tentacules. Des mutants verruqueux à peau de grenouille et aux lèvres molles clapotantes faisaient concurrence à des tas ambulants de poils raides et noirs au travers desquels on ne distinguait que des yeux rouges enflammés et des bouches bavantes et sans lèvres.
Malgré l’importance du facteur temps, Feric ralentit l’avance helder pour bien s’assurer que toutes ces abominations fussent taillées en pièces, brûlées ou écrasées sous les chenilles des chars, et que chaque cloaque putride fût soufflé par des explosifs purificateurs.
Ce n’est que lorsque son char eut quitté cette horrible région pour entrer dans une plaine ondulée, grise, désolée et morte, que Feric se sentit à nouveau propre. « J’ai du mal à croire que de telles horreurs existent, même à Zind, murmura-t-il à l’adresse de Best. Comment les Dominateurs peuvent-ils le supporter ? »
Best montrait un visage blême et ses lèvres tremblaient.
« C’est incroyable, Commandeur, bafouilla-t-il. Mes propres cellules se soulèvent de nausée à cette vue.
— Oui, c’en est assez ! dit Feric. Il faut que nous mettions fin une fois pour toutes à de telles horreurs. Cap au Nord, Best ! Il est temps d’opposer à la pourriture de Zind la puissance de l’armée helder ! »
Bientôt, le nord parut s’éclairer d’une lueur orangée sur un large front, et un immense voile de poussière et de fumée noire et épaisse couvrit les collines grises et mortes comme un orage monstrueux, gonflé des éclairs vacillants de l’impact des bombes. La horde de Zind avait été alertée par le nuage de poussière de l’armée helder et se rapprochait : les deux forces allaient enfin s’affronter.
Le mur de l’armée helder fonçait à la rencontre de la horde zind, s’aidant des dernières coordonnées transmises par l’avion de surveillance, et la terre tremblait sous le grondement des canons envoyant salve après salve d’obus explosifs dans le ciel de plomb pour écraser l’ennemi. Des obus zind tombèrent au milieu de l’armée helder, faisant exploser les chars en geysers de flammes éclatantes et de fragments métalliques, remplissant les airs de fragments de motos pulvérisées. Les bombardiers helders, à présent nettement visibles au-dessus des coteaux, plongeaient presque à la verticale à une vitesse incroyable, lâchaient leurs charges mortelles, puis remontaient hors d’atteinte des explosions qui en résultaient. Des centaines de ces magnifiques croiseurs occupaient le ciel – plongeant, piquant, remontant, semant la mort dans les rangs ennemis, tels de grands aigles vengeurs.
« Nous y voilà, Best ! » cria Feric, apercevant pour la première fois l’ennemi. Du nord arrivait un immense vol de près de cent monstres volants zind, leurs ailes membraneuses luisant d’humidité, pourchassés par une douzaine d’avions helders toutes mitrailleuses en batterie. En quelques secondes, cette armada aérienne survola l’armée. L’acide gicla des sacs gonflés des créatures, faisant fuser des nuages de fumée jaune asphyxiante là où il entrait en contact avec le métal des chars. Les oiseaux se ratatinaient et explosaient dans les airs, déchiquetés par les balles des avions helders.
Mais Best et Feric n’eurent guère le loisir de contempler plus longuement la bataille aérienne, car la grande horde de Zind apparut, courant droit aux blindés helders ; Best poussa un cri inarticulé d’horreur où perçait un soupçon de panique.
L’armée de Zind s’étirait à perte de vue d’est en ouest, couvrant vers le nord un grand désert gris jusqu’à l’horizon. Une ligne de Guerriers géants et musclés déployés en tirailleurs et soutenus par d’innombrables bataillons de réserve marchait sur un front trop large pour qu’on pût en apercevoir les limites ; dans les interstices de cette première ligne de monstres de trois mètres avançaient des tanks vert-de-gris, guère différents de leurs équivalents helders. Derrière le front, des milliers de fourgons de guerre tirés par des Remorqueurs progressaient dans un océan solide de Guerriers à l’accablante synchronisation. À peine visibles, loin derrière l’artillerie manœuvrée par les Remorqueurs, les camions et les blindés à vapeur, d’immenses troupes de Guerriers avançaient dans un désordre précis et calculé, comme des fourmis-soldats. Le ciel, au-dessus de cette horde monstrueuse, était obscurci par une nuée d’avions helders et de volatiles zind évoluant au sein de tourbillons d’épaisse fumée noire. Des portions entières de la horde brûlaient comme autant d’énormes enfers ; d’innombrables Guerriers incontrôlés couraient et bondissaient stupidement à travers les derniers rangs ennemis. Des fourgons, chars, cuirassés et canons jaillissait un barrage continu d’obus qui, à cette courte distance, commencèrent à prélever leur dîme sur les chars helders.
Alors que les deux armées n’étaient plus distantes que de cent mètres, Feric vit le visage de Best figé en un masque guerrier. « Dispersion ! » ordonna-t-il aux commandants de chars ; ceux-ci s’écartèrent les uns des autres, et dans les intervalles s’amassèrent les immenses divisions de troupes motorisées. Feric écrasa la détente de sa mitrailleuse et rugit dans le micro « Feu à volonté ! » tandis que son arme crachait déjà rageusement la mort sur la horde en marche. Les chars abaissèrent leurs canons et lancèrent une dernière salve d’explosif dans le premier rang de la horde zind, provoquant une avalanche de terre, de chair et de fragments métalliques.