Et les deux armées se trouvèrent confrontées, dans un choc fracassant de chair et de métal. La tactique de Zind n’avait pas changé, si ce n’est que les immenses Guerriers qui avançaient de concert, vague après vague, à l’infini, brandissaient à présent des mitraillettes. Le rideau de balles qui submergea l’armée helder, s’il rebondissait sans dommage sur la coque des chars, causa des ravages parmi les motards qui se précipitaient pleins gaz dans la mêlée, avec un héroïque mépris de leur propre sécurité.
Les lance-flammes inondèrent la horde zind de pétrole enflammé ; des milliers de torches hurlantes n’en continuèrent pas moins leur avance, pour finir cisaillées par les mitrailleuses helders et écrasées sous les chenilles des chars, incurablement fidèles – même dans leurs ultimes spasmes – aux ordres psychiques des Dominateurs.
Les chars de Zind bondirent en avant, tirant à travers leurs propres troupes pour tenter de mettre en pièces les chars de Heldon. Sans cesser de faire cracher sa mitrailleuse sur l’étau de robots protoplasmiques qui entouraient son véhicule, Feric lança des ordres secs à ses commandants de char : « Tirez à bout portant ! Faites taire les chars ennemis à tout prix ! »
Les canons helders rugirent leur défi ; les obus ouvrirent une trouée dans le foisonnement de chair, pulvérisant les chars zind. Apparemment, ceux-ci abritaient les Dominateurs car, une fois qu’ils furent détruits, d’importantes formations de Guerriers, en première ligne, se transformèrent en troupeaux écumants et indisciplinés, courant comme fous sous le feu du combat et ajoutant à l’incroyable chaos.
Feric se retrouva isolé avec Best dans un univers intemporel de féroce bataille, un monde d’ignobles Guerriers qui déferlaient faisant cracher leurs mitrailleuses, se déchirant les doigts sur les blindages d’acier, explosant en flammes ou réduits en un épais brouet rouge sous les chenilles. Une odeur de chair grillée mêlée à l’âcre senteur de la poudre assaillait les narines de Feric, et ses oreilles étaient assourdies par le rugissement incessant des mitrailleuses, des canons, des moteurs, par des hurlements, des grognements, des gémissements et des piaillements. Les balles que tirait sa mitrailleuse semblaient sortir en un flot rageur des profondeurs mêmes de son être ; il les sentait véritablement déchirer la chair des Guerriers qui s’écroulaient devant lui. À travers les cahots du char, il devinait l’écrasement des corps sous les chenilles.
Il risqua un regard sur Best ; le jeune héros, rivé aux commandes du tank et à sa mitrailleuse, montrait un visage crispé par une farouche détermination ; ses yeux bleus exprimaient une extase sauvage et totale. Leurs regards se croisèrent une seconde, et ils furent unis dans une communion de combattants, transfigurés ensemble dans une brume rouge, hors du temps et de la fatigue. À travers le métal du char, l’arme qu’ils partageaient, leurs âmes parurent s’amalgamer, se confondre dans une plus grande communion encore : la volonté raciale. Tout cela en un éclair, sans que leur être physique fût jamais distrait de sa tâche sacrée.
Les actes d’héroïsme de milliers et de milliers de soldats helders composaient une épée raciale de fanatisme surhumain et de gloire transcendante. Les motards S.S. en cuir noir bondissaient droit à la gueule des fusils ennemis, brisant des jambes puantes et poilues, écrasant des Guerriers avec leurs engins, abattant des dizaines de monstres sous leurs massues, alors même que les balles ennemies déchiraient leur propre chair. Les chars helders éperonnaient leurs rivaux zind, les renversaient, puis les incendiaient au lance-flammes. Les bombardiers semaient la mort sur l’ennemi ; les appareils endommagés piquaient délibérément sur les chars et les fourgons de Zind, disparaissant dans une lumière de gloire. L’infanterie motorisée abandonna les camions et se précipita dans la mêlée, vague après vague ; beaucoup furent anéantis, mais entraînèrent des milliers de Guerriers dans la destruction finale.
La fusion mystique entre Feric, ses troupes héroïques et l’énergie raciale de Heldon était complète : l’armée helder combattait comme un seul être dont le cœur était la volonté de Feric. Aucun homme n’attachait d’importance à sa propre vie ou à sa sécurité personnelle ; la peur et la fatigue n’existaient pas.
Lentement, pied à pied, l’armée helder avança, repoussant devant elle tout le poids de la gigantesque armée zind. Les premiers rangs de la horde n’étaient plus qu’un énorme troupeau de monstres aux yeux rouges, vomissant, bredouillant, crachant, déféquant, jetant au hasard leurs énormes masses nues sur les chars d’acier, s’empalant sur les fusils helders, massacrant avec le même entrain les Helders et leurs propres camarades. Partout s’élevaient des flammes et de grands nuages de fumée pestilentielle. Chaque char helder, chaque héros humain était couvert d’une épaisse couche de sang ennemi. Feric sentait l’énergie raciale frémir dans son corps, dans ses muscles et jusque sur la gueule rougie de sa mitrailleuse grondante. Lui-même n’était plus qu’une arme actionnée par quelque chose qui le dominait. Les centaines de chars et de milliers d’hommes hachant l’ennemi en débris sanglants prolongeaient son propre être de doigts, de bras, de pseudopodes, réalisant en lui et avec lui la plus haute expression de l’énergie raciale de son peuple. Ensemble, ce vaste organisme était Heldon, l’espoir du monde, la race maîtresse de la destinée, pétrissant son chemin dans les forces vives de l’exécrable ennemi racial.
Toute la nuit et le jour suivant l’incroyable carnage se poursuivit. Uni à cet organe unique qu’était son armée, Feric sentait dans sa chair que les troupes helders avançaient vers le nord et vers l’est, vers Bora. Semblables à des vrilles sensitives de son propre corps, les avions de reconnaissance rapportaient que les flancs est et ouest de la grande horde zind se refermaient sur les flancs de la ligne helder comme les pseudopodes enveloppants d’une gigantesque amibe.
« Il est difficile de dire si nous sommes cernés ou si nous coupons la horde en deux, remarqua Feric en s’adressant à Best.
— Commandeur, j’ai Waffing à la radio !
— Passez-le-moi sur le circuit du tank. »
La voix chaleureuse de Waffing gronda dans le char, se détachant sur ce que Feric reconnut comme des bruits de bataille. « Commandeur, nous avons atteint les champs pétrolifères et engageons le combat avec l’ennemi. J’espère pouvoir vous annoncer la conquête de notre objectif ce soir au plus tard.
— Beau travail, Waffing ! dit Feric. Je dois maintenant couper ; comme vous pouvez l’entendre, nous ne chômons pas non plus ici ! »
L’appel de Waffing fit réfléchir Feric. Les manœuvres latérales de Zind pouvaient être une tentative pour contourner l’obstacle de l’année helder afin d’aller renforcer les troupes trop peu nombreuses qui tenaient les champs pétrolifères, position clef. En ce cas, cette manœuvre devait être contrecarrée à tout prix !
N’écoutant que ses instincts guerriers, Feric sauta sur le micro et ordonna le déploiement de ses forces en position défensive : il fallait établir une ligne au sud de la horde zind, ligne assez solide et étendue pour n’être ni contournée ni brisée. La horde devait être immobilisée jusqu’à ce que Waffing ait accompli sa mission et opéré la jonction avec le gros de l’armée.
Aussi, derrière un écran de chars et de motos, l’infanterie helder recula, déployée sur un large front, à deux kilomètres au sud, installant des mitrailleuses, des canons, des obusiers, creusant des tranchées et des trous de défense individuels et ancrant chaque extrémité de cette ligne sur une division de S.S. parmi les plus fanatiques. Cela accompli, les motards de première ligne dégagèrent et se mirent à l’abri dans les fortifications, protégés par les tanks, qui furent les derniers à se retirer derrière le mur de feu de leurs propres canons et mitrailleuses.