Attaquer ces héros raciaux, c’était plonger dans les dents en mouvement d’une énorme scie circulaire.
L’un après l’autre, les monstres se ruèrent en hurlant sur Feric, aussitôt broyés par la Grande Massue de Held ; bientôt le manche du Commandeur d’Acier fut tout englué d’un épais sang rouge, et le luisant cuir noir de l’uniforme de Feric souligné d’une centaine de taches écarlates. Des jours entiers semblèrent s’écouler alors que ce corps à corps ne dura en réalité qu’une heure. Feric ne pouvait juger du sort de la bataille, encerclé dans un univers de géants poilus, puants et écumants, animés d’une soif inextinguible de pur sang humain. Chaque nouvelle vague de créatures ne se frayait un chemin dans le monceau de cadavres entourant la moto de Feric que pour connaître aussitôt la colère fracassante du Commandeur d’Acier. Et les créatures surgissaient inlassablement, comme animées d’un désir ardent et irrésistible de marcher à leur perte.
Après un certain temps, Feric remarqua cependant que le nombre des assaillants diminuait minute après minute. Une demi-douzaine de géants émergèrent d’entre les corps de leurs camarades, hurlant follement ; Feric les abattit comme en se jouant. Puis trois hommes tombèrent quelques instants plus tard. Un long moment s’écoula enfin sans que rien ne bougeât plus. Feric était seul au centre d’un vaste cratère dont les parois étaient des cadavres brisés et sanglants de centaines, voire de milliers d’ennemis.
À coups de volée du Commandeur d’Acier, Feric s’ouvrit un chemin dans le monceau de Guerriers morts et y fit passer sa moto.
Aussi loin qu’il pût voir s’élevait un amoncellement de corps inertes de Guerriers zind pour la plupart, mais aussi de très nombreux héros helders qui avaient fourni une ultime marque de dévouement au Svastika. Entre les tas de géants, des dizaines de milliers de motards helders achevaient les Guerriers blessés avec leurs mitraillettes.
Venant de plusieurs centaines de mètres, Ludolf Best fonça vers Feric, gesticulant éperdument et hurlant de joie à la vue de son Commandeur Suprême, vivant et triomphant. Ses cris et ses mouvements attirèrent l’attention de centaines de soldats sur la personne de Feric ; à leur tour, ils poussèrent de folles acclamations, agitant leurs massues ou tirant des coups de feu avec une joie exubérante. En quelques instants, la nouvelle se propagea sur tout le champ de bataille : le Commandeur Suprême était vivant !
Plus de cent mille héros triomphants brandirent vers le ciel leurs massues poisseuses de sang pour exécuter le salut du Parti et rugirent « Vive Jaggar ! » avec une férocité et une ardeur qui surpassaient tout ce que Feric avait connu jusque-là.
Adossé contre le flanc d’un char aux côtés de Ludolf Best, durant un bref répit, Feric songeait à la stratégie apparemment très claire des Dominateurs. Depuis deux jours, ceux-ci lançaient inlassablement des formations-suicide de leur nouvelle race de Guerriers contre les positions helders ; chaque vague était aussitôt annihilée par les forces de Feric, mais au prix de lourdes pertes en vies, en munitions et d’une énorme dépense d’essence.
« Ils ne peuvent espérer nous égaler en mobilité et en puissance de feu, murmura-t-il. Et pourtant ils persistent dans la même tactique.
— Je ne vois pas pourquoi ils ne tentent pas une manœuvre tournante, remarqua Best. Manifestement, leur but doit être de nous contourner et d’arrêter les troupes de Waffing avant qu’elles ne nous rejoignent avec de l’essence et des munitions, à présent que les gisements sont entre nos mains. »
Feric sourit de cette naïveté. « Non, Best, même les Doms savent que la vitesse supérieure de nos blindés et de nos forces aériennes serait capable de bloquer toute manœuvre sérieuse par le flanc avant même qu’elle puisse se dessiner. J’imagine qu’ils espèrent nous submerger avant l’arrivée des troupes de Waffing.
— Quels idiots de croire qu’ils peuvent submerger l’armée helder ! » s’exclama Best.
Feric hocha la tête ; il était inutile de l’inquiéter en lui révélant la vérité. Les Dominateurs disposaient de réserves illimitées de protoplasme dégénéré. Mais, après deux jours d’un terrible carnage, les pertes helders se faisaient lourdes. Vingt mille motards et quarante mille fantassins avaient fait le sacrifice suprême. Parmi les héros fanatiques S.S., les pertes étaient particulièrement élevées, préjudice irréparable pour le patrimoine génétique, et que Feric déplorait amèrement. Mais le pire était que l’importance inattendue et la férocité du combat avaient usé de grandes quantités de munitions et quasiment tari les réserves d’essence. Une ou deux autres attaques, et l’armée helder en serait réduite à combattre avec les seules massues. Waffing devait arriver rapidement !
Cependant, le moral de l’armée n’avait pas fléchi un instant. Plus grandes étaient les pertes, plus grande la férocité avec laquelle les purs humains taillaient les Guerriers en pièces. Après deux jours de dure bataille, on pouvait encore dire qu’aucun monstre zind n’avait réussi à se frayer un chemin jusqu’aux tranchées helders, et que pas une de ces créatures n’avait survécu à l’attaque suicidaire sur les positions helders. En outre les troupes de Waffing n’étaient guère qu’à quelques heures avec de grandes quantités de munitions et des réserves illimitées de pétrole. La situation, après tout, était loin d’être désespérée !
Feric remarqua soudain que Best le dévisageait avec inquiétude pendant qu’il réfléchissait. « Quelque chose ne va pas, Commandeur ?
— Non, Best, tout va bien ! Allons inspecter les troupes ! »
Ayant conduit sa moto au sommet d’un petit tertre, après avoir reçu les saluts fervents d’un bataillon de motards S.S. épuisés mais inspirés, Feric remarqua une grande agitation au sein de la horde zind, à deux kilomètres au nord. Best fit halte à ses côtés et les deux hommes observèrent, par-delà le n0 man’s land désolé, l’océan de chair nue et mutante qui semblait soudainement agité par un frénétique mouvement de masse, comme un gigantesque nid de fourmis-soldats.
« La horde tout entière est en marche ! s’écria Feric. C’est une attaque décisive sur nos positions ! »
Le visage de Best s’éclaira d’un large sourire ; ses yeux brillaient comme des saphirs et son corps irradiait une force presque mystique. Feric comprit parfaitement ce que ressentait le jeune homme car les derniers vestiges de sa propre fatigue venaient de s’évanouir sous la poussée d’une joie ineffable. Enfin l’ultime moment approchait – le peuple de Heldon allait engager contre les forces de Zind une bataille à mort pour la possession de la Terre. Personne ne connaîtrait de gloire plus grande que celle de diriger les forces de l’humanité pure dans cette ultime Armageddon !
Les soldats helders, à leur tour, prirent conscience du mouvement de cette vaste horde et une énorme ovation s’éleva spontanément. Sans qu’il fût besoin d’un ordre, les moteurs des motos démarrèrent, les chars se préparèrent à la charge, et chaque fantassin de cette troupe de héros se dressa, l’œil brillant, l’arme prête. Un chœur de « Vive Jaggar ! » s’éleva ; tout d’abord désordonné, il devint la voix raciale de Heldon hurlant sa haine et son défi à l’ennemi. Il ne fallait pas songer à garder un seul homme en réserve, car on ne pouvait obliger aucun vrai Helder à accepter un tel déshonneur.
Feric dégaina la Grande Massue de Held, foyer de l’énergie raciale, éleva l’arme mystique aussi haut qu’il put, sentant que la puissance de son énorme fût luisant ne faisait qu’un avec la puissance de sa volonté et la conscience raciale qui, en cet instant fatidique, l’unissait à ses troupes.
Puis il fit vrombir sa moto, échangea un dernier regard avec Best et, pointant sa grande arme d’un air de défi en direction de l’ennemi en marche, il lança les armées de Heldon dans la bataille avec un grand cri de guerre.