Saisissant fermement la poignée de la Grande Massue, Feric en assena un coup puissant sur le centre de l’ouverture. On entendit un fracas métallique, un bruit terrible de déchirement, et le manche de la noble arme s’enfonça de cinquante centimètres dans l’acier comme dans une motte de beurre. Le volant et le mécanisme de fermeture ferraillèrent dans les ténèbres de l’intérieur. Feric gratifia l’écoutille de deux autres coups ; cette fois, elle tomba lourdement dans un grand nuage de cendres, révélant une ouverture ronde béant sur une nuit d’encre.
Le Commandeur d’Acier toujours fermement serré dans sa main droite, Feric passa la tête à l’intérieur. En quelques instants ses yeux s’accoutumèrent à l’obscurité et il vit que le cube d’acier ne contenait rien de plus qu’une volée de marches de pierre s’enfonçant dans les entrailles de la terre.
Il se recula et s’adressa à ses camarades : « C’est l’entrée d’une installation souterraine. Il y a peut-être quelque chose de vivant là-dedans.
— Pourquoi ne pas jeter un coup d’œil nous-mêmes, Commandeur ? suggéra vivement Best. Peut-être, si nous avons de la chance, aurez-vous l’honneur d’abattre personnellement le dernier Dom vivant sur terre ! »
Instantanément, Remler s’enthousiasma. « Si nous avons vraiment de la chance, nous rencontrerons assez de Doms pour nous tous ! »
Feric approuva l’idée de l’expédition. N’y eût-il aucun Dom vivant, ce serait cependant une excellente occasion de prendre un peu d’exercice après le séjour prolongé dans la voiture de commandement. « Certainement ! » déclara-t-il.
Seul Bogel semblait un peu réticent. « Peut-être serait-il préférable d’amener la garde S.S. avec nous, suggéra-t-il.
— Vous n’avez tout de même pas peur d’un trou dans le sol, Bogel ! lâcha Waffing.
— Il est inutile de risquer la vie du Commandeur Suprême de Heldon sans nécessité, répondit Bogel. Quelle tragédie si quelque chose arrivait à Feric à ce moment de l’Histoire ! »
L’objection de Bogel fut favorablement accueillie. Tout désir personnel mis à part, Feric comprit qu’il devait au peuple de Heldon de prendre les mesures nécessaires à sa propre sécurité.
« Très bien, fit-il. Waffing, allez chercher dix S.S., et munissez-les de globes électriques portatifs. »
Quelques minutes plus tard, Feric précédait les généralissimes et dix grands S.S. blonds dans l’escalier de pierre à l’intérieur d’un boyau humide et frais, un globe électrique à la main gauche et le Commandeur d’Acier assuré dans sa main droite. Bien qu’il eût laissé sa mitraillette accrochée à l’épaule, les autres, quasiment avides d’action, tenaient leurs armes pointées, prêts à tirer.
Les marches s’enfonçaient dans le sol à plus de trente mètres, débouchant finalement sur un passage creusé dans le roc, dont les parois couvertes de moisi suintaient d’humidité.
« Cela ressemble fort à un abri à bombes, remarqua Waffing. Soyez sur vos gardes ! » lança-t-il – recommandation quelque peu superflue – aux S.S., tandis que Feric entraînait le groupe dans le couloir. Le passage courait dans les ténèbres sur trente mètres, puis butait sur une autre écoutille d’acier, à peu près semblable à celle qui fermait l’entrée du cube. Manifestement, s’il y avait encore une trace de vie dans cette grotte humide, ce devait être derrière cette épaisseur d’acier. En outre, la double fermeture de ce dernier réduit donnait à penser que si quelque chose avait atteint cet abri avant le bombardement il devait être encore vivant.
Feric ordonna par gestes aux autres de rester en arrière, puis leva le Commandeur d’Acier haut au-dessus de sa tête et frappa l’écoutille d’un coup prodigieux, se jetant en même temps de côté, hors de la ligne de tir d’éventuels occupants.
Avec un terrible bruit de ferraille qui se répercuta dans tout le passage, la Grande Massue de Held fendit l’écoutille d’acier en deux et les débris tombèrent sur le sol de pierre aux pieds de Feric.
Instantanément, les dix S.S. furent à ses côtés, leurs mitraillettes braquées, tous leurs sens en hyper-alerte. Mais rien ne vint de l’intérieur ; seule une lueur orange vacillante projeta une clarté timide dans le couloir de pierre. Brandissant la Grande Massue, Feric précéda sa troupe à travers l’écoutille, pénétrant dans une petite pièce creusée dans le roc et éclairée par un cercle de torches en fusion.
Dans cette pièce, rien d’autre qu’une petite console derrière laquelle se tenait un vieux Dom, ratatiné et bossu, avec d’immenses yeux enfoncés dans leurs orbites et l’ignoble sourire torve d’un furet. Ce monstre était vêtu d’une robe zind grise, ornée d’une profusion de galons, de pierres précieuses et de soutaches dorées qui lui donnaient l’apparence d’un rongeur fétide engoncé dans un uniforme royal, victime d’une blague d’écolier particulièrement ignoble.
Malgré cela, le champ de dominance irradié par la cervelle infecte de ce grand-père de tous les Dominateurs était le plus puissant que Feric eût jamais rencontré. Il ne réussit, faute de mieux, qu’à se soustraire à l’ordre de l’impulsion puissante qui lui fouillait l’esprit de jeter la Grande Massue. Derrière lui, il entendit un tintement de métal sur la pierre : les généralissimes et les S.S., pris dans le champ de la créature, se débarrassaient de leurs armes. Seule la volonté de Feric était assez forte pour résister à ce Dominateur incroyablement puissant, et même ses muscles étaient tétanisés, paralysés par conflit des volontés.
« Bienvenue, ordure humaine, croassa le Dominateur dans une macabre parodie de voix humaine. Il va sans dire que j’attendais votre visite. Cependant, la présence de Feric Jaggar en personne est plus que je n’osais espérer. Je vais jouir du spectacle de votre visage, Jaggar, quand le génotype humain sera balayé de la surface de la Terre à tout jamais ! »
La créature était certainement folle de confondre ainsi la destruction finale de sa propre race avec celle de l’humanité pure ! Feric usa de chaque particule de sa volonté pour tenter de briser le filet de dominance, afin d’écraser la cervelle du misérable avec le Commandeur d’Acier, mais il ne réussit qu’à faire de légers mouvements.
Le Dominateur actionna une manette sur la console, devant lui, puis se mit à rire comme une hyène, une bave claire jaillissant de ses lèvres racornies.
« Voilà qui va sceller le destin de votre misérable espèce, Jaggar ! crachota le vieux Dom. Le signal d’activation vient d’être lancé à une installation des Anciens, très loin à l’est, que nos créatures ont remise en état. Dans quelques minutes, une énorme explosion nucléaire éclatera dans les déserts, projetant des millions de tonnes de poussière radioactive dans l’atmosphère. Les Anciens avaient mis au point ce dispositif afin qu’aucun ennemi ne pût survivre à leur défaite. Nous n’avons pas été capables de le restaurer complètement mais, tel quel, son action sera cependant suffisante. Dans quelques semaines, l’atmosphère de la Terre tout entière sera tellement contaminée que l’homme ne pourra plus se perpétuer. Les matrices de vos pur-sang les plus précieux ne donneront naissance qu’à des nains bossus, à des Perroquets, à des Peaux-Bleues, et à des dizaines de nouvelles mutations, peut-être même de notre espèce. Vous avez détruit l’empire des Dominateurs, et maintenant nous détruisons à tout jamais l’humanité ! Meurs, ordure humaine ! »
Une énorme flambée de rage embrasa le corps et l’âme de Feric, brisant instantanément la carapace dominatrice comme si elle n’eût jamais existé. Il se jeta en avant en brandissant la Grande Massue de Held et, l’assenant sur le crâne du Dom écumant et caquetant, l’écrasa comme un melon, faisant gicler la cervelle grise et huileuse, pénétrant dans le torse, l’ouvrant en deux et répandant des organes translucides et palpitants sur le sol humide. D’une autre volée, Feric pulvérisa la console, et la force de son coup furieux enterra la pomme de son arme dans le sol à une profondeur de trente centimètres.