Le dernier Dom mort, tous furent libérés de la masse de dominance et se mirent à clabauder frénétiquement de concert.
« C’est impossible !
— Le Feu !
— La fin de la race humaine !
— Ils n’ont pas…
— Silence ! rugit Feric, les yeux pleins de larmes, une rage sans nom lui dévorant le cœur. Cessez immédiatement ces piaillements ! Remontons à la surface, voir si l’ignoble créature a prononcé autre chose que des mots creux, avant de pleurer sur notre race ! »
Lorsqu’ils parvinrent au-dehors, rien n’avait changé : une perspective infinie de cendres grises et de débris fumants, que l’armée helder sillonnait sans rencontrer d’opposition et sans trouver la moindre trace de vie.
Le moral de Feric et de ses compagnons remonta d’un cran alors qu’ils se tenaient de nouveau à l’air libre. Il semblait que tout fût en ordre.
« Je n’aperçois pas le Feu des Anciens, Commandeur, fit Best.
— Bah ! le vieux monstre était simplement fou ! » dit Waffing. Feric semblait approuver cette hypothèse.
« Peut-être, dit Bogel, mal à l’aise, mais c’est cependant vous qui nous avez dit que les Doms tenteraient d’exhumer les armes nucléaires des Anciens. »
Cette remarque assombrit à nouveau l’atmosphère et Feric décida qu’il était inutile de s’attarder dans cet endroit sinistre à attendre une catastrophe tout à fait incertaine. Il mena la troupe à la voiture de commandement et poursuivit la tournée de la ville en ruine comme si de rien n’était.
Pendant plusieurs minutes, la voiture, suivie de son escorte de motos, parcourut les cendres, en projetant de grands nuages gris, sans rien apercevoir. Feric et ses compagnons s’étaient désaltérés au tonneau de bière, et le Dom fou dans sa chambre souterraine, proférant ses menaces de destruction nucléaire, semblait invraisemblable et irréel.
Soudain, le ciel parut exploser : un énorme éclair jaillit à l’est, plus éclatant que mille soleils, emplissant la moitié du ciel, effaçant toutes les autres couleurs.
Feric sentit son estomac révulser tandis qu’il frottait ses yeux quasiment aveugles. On ne pouvait se tromper, c’était là le Feu des Anciens. Quelques secondes plus tard, cet éclat terrible faiblit un peu pour laisser apparaître une énorme boule de lumière orange ayant dix fois le diamètre apparent du soleil qui s’élevait sinistrement sur l’horizon oriental.
Lentement, cette énorme bulle de feu s’éleva, aspirant un grand nuage noir bouillonnant de débris dans son sillage. Quelques instants plus tard, le nuage ardent se dessina parfaitement et personne, à cette vue, ne put manquer de reconnaître la vision d’épouvante de l’emblème légendaire et du phénomène tant redouté du Feu des Anciens, le Nuage Champignon.
Personne ne put émettre un seul mot devant cette effroyable amanite céleste. La puissance de l’explosion et la taille du champignon dépassaient la compréhension humaine. Il n’y avait plus aucune raison de mettre en doute la menace proférée par le dernier Dominateur. Puis l’atmosphère fut ébranlée par un coup de tonnerre à déchirer les cieux, devenant ensuite un grondement tellurique de la même intensité. Au même instant, Feric sentit l’air le frapper avec la violence d’un coup de poing ; les S.S. furent jetés à bas de leurs motos comme des fétus de paille et le robuste acier de la voiture de commandement se mit à geindre.
Le vent gémissant, sifflant, rugissant, chaud et empoisonné qui suivit parut à Feric être le dernier souffle de l’humanité pure. Il crut même sentir la pestilence radioactive s’infiltrer dans son germen.
Mais, alors que le champignon radioactif éructait son poison génétique dans l’atmosphère de la Terre, Feric Jaggar décida que le pur génotype humain survivrait parce qu’il le devait. L’échec ne serait pas toléré, de sa part ou de celle de quiconque. L’humanité serait sauvée par un acte de volonté. S’il fallait un miracle, chaque Helder survivant serait totalement voué à y contribuer ou à périr dans la tentative.
XIV
Durant les mornes journées qui suivirent l’explosion de la dernière arme monstrueuse de Zind, seule la volonté fanatique de Feric et la discipline de fer du peuple helder empêchèrent l’humanité de s’abîmer dans le désespoir et l’apathie. Alors que le nuage fétide irradiait son poison dans l’atmosphère de la Terre, les plantes commencèrent à se dessécher et à mourir ; jeunes, vieux et infirmes, périrent, rongés de pustules et d’ulcères horribles, et près de deux millions de purs humains expirèrent dans les pires souffrances. Plutôt que de traiter les symptômes du mal radioactif, Feric dévolut toutes les ressources du nouvel Empire Mondial de Heldon à la préservation du pur génotype humain. Au bout de deux mois, les généticiens S.S. avaient confirmé l’horrible vérité : il n’y avait plus à la surface de la Terre un seul humain pur dont le germen pût faire souche. Feric lui-même était infecté. La dernière génération de l’humanité était déjà née – le substrat génétique helder ne pouvait plus produire dorénavant que d’ignobles mutants et des monstres obscènes.
Moins de trois jours après que Remler, le teint terreux et la voix tremblante, lui eut transmis cet arrêt de mort raciale, Feric, ayant pris la décision la plus pénible de sa vie, affrontait les caméras de télévision en compagnie de Waffing, Remler, Bogel et Best pour faire connaître au peuple accablé la voie qu’allait désormais emprunter Heldon.
Pour la circonstance, Feric avait revêtu son uniforme noir brillant et fait polir pendant des heures ses médailles et la Grande Massue de Held, afin que chaque pouce de métal sur sa personne brillât comme du diamant. Il se tenait debout sur une estrade basse, adossé à une grande bannière à croix gammée écarlate. Au pied de l’estrade, ses généralissimes, eux aussi, en brillant uniforme ; il était essentiel de stimuler l’héroïsme du peuple helder. Feric n’avait communiqué son plan à personne ; il escomptait que ses généralissimes lui témoigneraient spontanément leur soutien aux yeux de tout Heldon, car ce qu’il allait ordonner constituait le plus grand test de loyauté du peuple helder envers le Svastika.
« Amis Helders, commença-t-il simplement, mon discours aujourd’hui sera bref et sans ménagement. Comme il a déjà été annoncé, le fonds génétique de Heldon se trouve totalement et irréversiblement contaminé par l’ultime perfidie des Dominateurs, qui ont payé de leur extinction totale leur malignité et leur ignominie. Cela signifie que le germen de chacun de nous est impropre à produire autre chose que d’ignobles mutants dégénérés. Il est clair qu’une telle postérité jette un anathème absolument inacceptable sur tout ce que représente le Svastika. »
Il s’interrompit un long moment pour permettre à ses paroles de bien pénétrer les esprits, afin qu’aucun Helder ne pût se leurrer sur la gravité de la situation. Puis, à son peuple plongé dans d’intolérables ténèbres, il redonna l’espérance.
« Depuis quelque temps, les savants raciaux S.S. travaillent sur la technique du clonage. Si l’on parvient à utiliser un fragment de chair pour créer artificiellement un être humain, le génotype exact de nos plus beaux fleurons – les purs surhommes S.S. – pourra être reproduit à la prochaine génération sans dégradation aucune. Ainsi, en l’espace d’une génération, nous serons à même de faire progresser l’évolution humaine d’un millier d’années et de produire une race de géants blonds de deux mètres dix de haut, au physique de dieu et à l’intelligence moyenne égale à celle des plus grands génies actuels. Partis de la tragédie de la contamination génétique, nous pouvons créer le triomphe final de la pureté raciale. Puisque les radiations qui ont à tout jamais mutilé notre germen n’ont pas contaminé nos tissus somatiques, des cellules des pur-sang S.S. naîtra la nouvelle race des Maîtres ! La prochaine génération se composera uniquement de clones dont la dotation génétique sera celle des meilleurs pur-sang S.S. vivant aujourd’hui ! »