Bien plus, ces divers éléments d’attraction viscérale tendent à se renforcer les uns les autres. Les fantasmes phalliques submergent le lecteur ingénu d’un sentiment de force et de puissance illimitées, qui rendent l’anéantissement fantasmagorique de Zind d’autant plus plausible, augmentant par là même le plaisir pris à cette fable politique. L’assimilation de Zind à la Grande Union Soviétique permet au lecteur innocent de se griser de violence effrénée sans ressentir de culpabilité. Ensuite, l’intensité quasi psychotique de la violence lui offre la catharsis, l’évacuation momentanée de ses sentiments de peur et de haine devant la menace communiste mondiale.
Enfin, le roman est bâti sur une conviction absolue. Feric Jaggar est un chef, sans l’ombre d’un doute. Il sait ce qu’il faut faire et comment le faire, et il agit en conséquence sans la moindre trace d’erreur, d’hésitation ou de remords. Zind et les Dominateurs sont les ennemis de l’humanité pure, aussi ne méritent-ils aucune pitié, et toute l’action entreprise contre eux est moralement irréprochable. Dans les ténèbres où nous vivons, qui ne prie pas dans le secret de son cœur pour que se dresse un tel chef ? Non seulement Jaggar ne connaît pas le doute, mais Hitler lui-même s’exprime d’une façon qui donne à penser qu’il est lui aussi convaincu de tout ce qu’il dit, et que toute vue contraire est dénuée de fondement. Pour lui, les vertus militaires, avec leurs puissantes connotations d’obsession phallique, de fétichisme et d’homophilie, sont simples, éternelles, absolues et inattaquables par l’auteur ou le lecteur.
En un temps où nous sommes déchirés entre nos problèmes et nos doutes de civilisés et la nécessité de faire face à un ennemi qui ne s’encombre guère d’un excès de scrupules moraux, une telle manière de voir, même venant d’une personnalité aussi altérée que Adolf Hitler, est franchement, quoiqu’un peu perversement, revigorante.
La Grande Union Soviétique occupe l’Eurasie comme un soudard ivre. La plus grande partie de l’Afrique est sous sa coupe et les républiques d’Amérique latine commencent à craquer. Le grand lac nippo-américain qu’est le Pacifique apparaît comme le dernier bastion de la liberté dans un monde destiné, semble-t-il, à être englouti par la marée rouge. Notre grand allié japonais dispose des vénérables traditions du Bushido pour raidir sa volonté et pour instiller dans son peuple le sens de sa mission et de son destin, mais nous, Américains, semblons irrémédiablement plongés dans l’apathie et le désespoir.
Assurément, de nombreux lecteurs de Hitler doivent se laisser aller à imaginer ce que représenterait pour l’Amérique l’apparition d’un chef comme Feric Jaggar. Nos immenses ressources industrielles seraient entièrement consacrées à la création d’une force armée sans équivalent sur Terre, notre peuple serait enflammé de résolution patriotique, nos scrupules moraux seraient mis, en veilleuse pour la durée de notre lutte à mort avec la Grande Union Soviétique.
Bien évidemment, un tel homme ne pourrait pas prendre le pouvoir ailleurs que dans les fantasmagories d’un roman de science-fiction pathologique. Car Feric est avant tout un monstre : un psychopathe narcissique à tendances obsessionnelles paranoïdes. Son assurance et sa conviction absolues sont basées sur un manque total de connaissance de soi. En un sens, un tel être humain n’aurait qu’une surface et pas d’épaisseur. Il serait susceptible de transformer la surface de la réalité sociale en y projetant ses propres pathologies, mais il ne pourrait jamais connaître la communion intime des relations interpersonnelles.
Cet individu pourrait donner à une nation la poigne de fer et la conviction morale qui lui manquent face à une crise mortelle, mais à quel prix ? Dirigés par un Feric Jaggar, nous gagnerions le monde au prix de nos âmes.
Non. Bien que le spectre de la domination communiste mondiale puisse inspirer au lecteur simple le désir d’un chef modelé sur le héros du Seigneur du Svastika, à tout prendre nous avons de la chance qu’un monstre comme Feric Jaggar demeure à jamais enfermé dans les pages de la science-fiction, rêve enfiévré d’un écrivain névrosé nommé Adolf Hitler.
Homer Whipple, New York, N.Y., 1959.