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Octave était retombé dans sa mélancolie ordinaire. Horace, désespérant de l’en arracher, se contentait de le suivre sans rien dire.

Le silence s’était donc rétabli, et un incident seul pouvait désormais le rompre.

Cependant Octave s’arrêta tout à coup et se tourna vers son compagnon avec une certaine vivacité qui ne lui était pas habituelle.

– On se distrait, on travaille, avez-vous dit, s’écria-t-il brusquement. Vous croyez donc, vous, Horace, que l’on puisse oublier…

– Je le crois, répondit Horace un peu surpris de cette boutade inattendue.

– Ah! c’est que vous n’avez jamais aimé!

– Jamais!

– Eh bien! moi, Horace, moi j’avais vingt ans alors, c’est-à-dire que je n’avais pas encore souffert: la vie ouvrait devant moi ses deux portes dorées, et mon cœur, que rien n’avait blasé, acceptait sans défiance les premières promesses de bonheur… Avoir vingt ans et se croire aimé d’une femme que l’on aime, Horace, le ciel n’a pas de plus douces ni de plus pures joies… Ce que j’avais fait de rêves insensés, Dieu seul le sait… et un seul jour, une heure a brisé tout cet avenir de bonheur. Voilà de ces malheurs que l’on ne peut oublier, mon ami!

– Pauvre Octave!

– Ah! vous qui êtes médecin, Horace, vous qui, grâce à un travail surhumain, êtes parvenu à conquérir à vingt-huit ans une des places les plus illustres parmi les célébrités européennes, dites-moi donc pourquoi l’on ne meurt pas de douleur, ou plutôt, ce que c’est que cette douleur qui vous tue peu à peu, lentement, longuement. Dites-moi ce que c’est que la vie, l’amour, ce que c’est que la mort.

– Ceci ne rentre pas clans la chirurgie, mon ami, objecta Horace.

– Ah! tenez, poursuivit Octave avec un geste de découragement, l’amour est un sentiment triste… J’ai songé bien souvent à me tuer, depuis que j’ai perdu Marguerite. Où est-elle?… qu’est-elle devenue?… est-elle morte, elle, morte de honte et de désespoir? dois-je la rencontrer un jour, ou faut-il que j’use ma vie, ainsi, heure par heure, dans cet isolement qui m’épuise, m’absorbe, et m’enlève à chaque instant un peu de ma force et de mon courage?…

Horace ne répondit pas… Depuis quelques minutes, un bruit de pas s’était fait entendre derrière eux, et cet incident mit fin momentanément à la conversation.

D’ailleurs ni Octave ni Horace n’étaient bien certains du chemin qu’ils suivaient en ce moment, et ils n’étaient pas fâchés l’un et l’autre d’avoir, à ce sujet, quelques renseignements positifs.

Horace arrêta son cheval.

Par imitation, Octave en fit autant.

Quelques secondes s’étaient à peine écoulées, qu’ils virent poindre, derrière eux, au bout du sentier, la silhouette d’un homme, qui portait le costume du pays.

Cet homme marchait d’un bon pas, et s’appuyait sur un bâton ferré.

La lune était cachée derrière les nuages noirs que le vent chassait de la côte; mais les pâles rayons qu’elle laissait glisser de temps à autre suffisaient à détailler les parties importantes de son costume.

Il portait le chapeau aux larges bords, l’habit de drap brun des hommes du canton de Saint-Thégonnec, et des guêtres de cuir qui lui montaient à mi-jambes. Cet homme paraissait être encore dans toute la force de l’âge.

Comme les deux cavaliers s’étaient arrêtés au milieu du sentier, il les eut bientôt rejoints, et passa près d’eux, sans ralentir le pas.

Seulement, et selon l’antique et solennelle coutume du pays breton, en passant près d’eux, il porta la main à son chapeau, et salua.

Les deux jeunes gens lui rendirent respectueusement, son salut, et Horace se mit aussitôt en devoir de l’interpeller.

– Pardon, monsieur, lui dit il, pardon de vous arrêter, mais mon ami et moi, nous nous sommes engagés dans ce sentier, un peu imprudemment, et nous ne savons vraiment pas s’il nous conduira où nous désirons aller.

– Et où désirez-vous aller?… demanda le Breton, en s’appuyant sur son peu-bas, au milieu du sentier.

– Au Conquet…

– Ce chemin y mène tout droit, messieurs…

– Et combien avons-nous encore de lieues, pour y arriver?

– Trois, au plus, répondit le Breton, qui, sans attendre nue autre question, salua de nouveau les deux cavaliers, et reprit sa route du même pas rapide et pressé.

– C’est égal!… murmura Horace dès que le Breton eut pris une certaine avance, les habitants de ce pays, sont d’étranges gens… N’avez-vous pas remarqué, Octave, l’énorme ceinture de cuir que celui-ci portait autour des reins?…

– En effet! fit Octave.

– Diable d’idée de rentrer chez soi, à une pareille heure de la nuit, quand on porte de pareilles sommes…

– La côte est sûre.

– Que sait-on?…

– Les Bretons ne volent pas…

– Non, mais les forçats?…

Il y eut un silence.

Silence plein d’angoisses, car tous les deux avaient cru entendre les arbustes du sentier tressaillir sous une pression, qui n’était pas celle du vent.

– N’avez-vous pas entendu?… demanda presque aussitôt Horace.

– Si fait!… répondit Octave.

– Il y avait quelqu’un dans le champ voisin…

– Peut-être bien…

– Je vous avoue que je ne serais pas très-rassuré à la place de notre Breton.

– Vous ne rêvez qu’aventures, mon ami…

– Vous avez raison, sans doute, Octave, mais si vous m’en croyez, nous presserons le pas…

– Pour fuir! fit Octave en riant.

– Pour escorter ce brave homme… répondit Horace… et tenez, ajouta-t-il presque immédiatement, voyez si mes pressentiments me trompaient!…

Les deux cavaliers étaient arrivés à ce moment, dans un endroit élevé, d’où le voyageur domine les lieux environnants.

Octave avait arrêté une seconde fois son cheval, et il tourna les regards vers l’endroit que lui désignait son compagnon.

À une distance d’environ deux cents pas, trois hommes traversaient un champ de blé noir, en courant, et se dirigeaient en toute hâte, vers le sentier dans lequel le Breton venait de s’engager.

– Vous avez raison, dit Octave.

– En avant donc, répondit Horace, et Dieu veuille que nous arrivions à temps.

Les deux jeunes gens lancèrent aussitôt leur cheval, mais à peine eurent-ils franchi une certaine distance, que le bruit d’une lutte, suivi peu après d’un cri épouvantable s’éleva du milieu de la nuit, et vint les glacer d’effroi…

– Un crime! s’écria Octave.

– Un assassinat! ajouta Horace.

Et ils reprirent leur course plus rapide, enfonçant leurs éperons sanglants, dans le ventre de leur bête.

En dix minutes, ils furent sur le lieu de la scène.

Mais les assassins avertis par le bruit de leur course, avaient eu le temps de prendre la fuite, et il ne restait plus sur le revers de la route que le cadavre inanimé du Breton.