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Horace sauta aussitôt à bas de son cheval, détacha sa trousse de la selle, et s’avança rapidement vers la victime.

Son chapeau gisait loin de lui; sa ceinture de cuir avait disparu, une large blessure ouvrait sa poitrine.

Octave était descendu de son cheval, comme son compagnon, avait attaché les deux bêtes à la haie du chemin, et plein d’anxiété, il s’était rapproché d’Horace qui déjà tenait la main du blessé…

– Il n’est pas mort, au moins? demanda-t-il vivement, à voix basse.

– Heureusement, répondit Horace.

– La blessure est-elle mortelle?…

– Non.

– Je respire…

– Ah! ne nous flattons pas trop cependant, mon ami, poursuivit le jeune médecin, ceci n’est point seulement un vol ordinaire, croyez-moi; il y a là quelque atroce et épouvantable vengeance.

– Qui peut vous faire supposer…

– La nature de la blessure même.

– Comment…

– Regardez vous-même.

En ce moment, la lune venait de se dégager des quelques nuages qui interceptaient les rayons, et grâce à sa clarté douteuse, Octave put examiner l’état de la victime.

– Par un hasard providentiel, poursuivit Horace, en découvrant la poitrine du Breton avec le même sang froid que s’il se fût cru encore, professant l’anatomie dans l’un des hôpitaux de Paris; par un hasard providentiel, le couteau a porté sur une côte, et s’y est arrêté; mais il est facile de voir avec quelle vigueur, disons avec quelle haine le coup a été porté. Dans une attaque ordinaire, l’assassin se fût contenté de mettre son adversaire hors de combat; ici, il a choisi sa place… et je dirai plus, je gagerais que la victime a été frappée après le vol…

– Je vous avoue que je ne comprends pas… objecta Octave.

– Vous allez comprendre,… repartit Horace, il y a eu lutte d’abord, c’est évident… Voici les vêtements déchirés, le linge froissé, le chapeau lancé au loin, tous indices certains d’un combat acharné, lequel a dû se terminer par la chute de notre Breton… il avait affaire à trois adversaires, nous les avons vus; il a dû succomber… et remarquez ceci, Octave, c’est que cet homme n’a pas reçu durant le combat la moindre égratignure; qu’il était d’ailleurs désarmé, puisque nous ne retrouvons plus son bâton;… qu’enfin, lorsqu’il est tombé, les trois voleurs étaient maîtres de lui, et qu’il n’avait aucun intérêt à commettre un meurtre désormais inutile.

– À moins cependant que l’un des assassins ne fût connu de la victime, dit Octave.

– Voilà la vérité, ajouta vivement Horace, vous l’avez trouvée… Oui, pendant la lutte, le malheureux aura prononcé un mot, un nom peut-être… Ce nom était celui de l’un des assassins, et cela a suffi… Quand il est tombé, il était déjà condamné… On l’a assassiné à froid.

– Voilà une terrible histoire.

– Bah! fit Horace, il en sera quitte pour quelques milliers de francs de moins.

Et, sans ajouter une parole de plus, le jeune médecin se mit en devoir de panser la blessure du Breton, qui déjà, d’ailleurs, commençait à revenir de son évanouissement.

C’était, il faut le dire, une scène profondément, saisissante, surtout à l’heure et dans le lieu où elle se passait.

Le paysage qui les entourait avait un aspect particulièrement triste.

Quelques champs sablonneux où poussait une végétation sans force; çà et là, de frêles bouquets de bouleaux brûlés par les vents d’ouest; partout une campagne nue et sans charme; enfin, une certaine harmonie monotone et désolée, qui se composait du bruit des vagues sur les falaises prochaines, ou des plaintes du vent de mer dans les genêts.

Les deux jeunes gens s’étaient tus, en proie à mille sentiments contraires, et penchés avidement sur le patient, ils épiaient, chacun de ses mouvements, attendant avec une anxiété mortelle qu’il revint à lui!

Le Breton ne se fit pas longtemps attendre; il agita d’abord ses deux bras, comme au sortir d’un long sommeil, passa à plusieurs reprises sa main sur son front et dans ses cheveux, et promena enfin son regard effaré autour de lui:

– Où suis-je?… demanda-t-il d’une voix faible.

– Près de deux amis, répondit Horace, et surtout près d’un médecin que Dieu avait envoyé là pour vous sauver.

– Mais… que s’est-il donc passé? ajouta encore le vieux Breton, qui ne se rappelait pas.

Puis, passant de nouveau sa main sur ses tempes glacées, il chercha à fixer ses esprits; son regard examina une à une les touffes de genêts qui ornaient les revers de la route, les chevaux attachés à la haie, Octave, Horace, tout ce qui l’entourait; et quand il le reporta sur lui-même, il s’arrêta et laissa échapper un mouvement d’effroi, en apercevant sa propre blessure:

– Du sang!… s’écria-t-il; mais cette fois d’une voix ferme et qui ne tremblait plus… Du sang…! oh! je me rappelle… tout à l’heure… ici… Éric. Éric le mendiant… le misérable… C’est lui, messieurs, c’est lui, il voulait m’assassiner!

– Que vous disais-je? fit Horace à l’oreille d’Octave.

– Silence! interrompit ce dernier.

Depuis quelques secondes, en effet, Octave semblait s’être transformé.

La voix du Breton, ce nom d’Éric qu’il avait jeté au milieu de sa phrase, cet éclair sauvage qui jaillissait de ses yeux, toutes ces particularités, insignifiantes ou naturelles en apparence, l’avaient profondément agité; et maintenant, pâle, ému, respirant à peine, il attendait, suspendu aux lèvres du patient, qu’un mot vint encore qui fixât ses irrésolutions.

Mais le Breton paraissait s’être calmé; il avait saisi la main d’Horace, et la serrait dans les siennes avec effusion.

– Vous l’avez dit, monsieur, poursuivit-il d’une voix pleine de larmes, c’est Dieu qui vous a envoyé à mon secours… car ma mort eût été un grand malheur, savez-vous bien?… non pour moi, qui n’ai plus grand temps à vivre sans doute, mais pour une pauvre enfant qui se serait trouvée seule au monde, et qui serait morte dans l’isolement et le désespoir.

– Vous avez une fille?

– Un ange, monsieur, et c’est une grande bonté de Dieu d’avoir détourné le couteau de ce misérable, car, à l’heure qu’il est, Marguerite serait perdue.

– Marguerite? s’écria Octave qui ne pouvait plus se contenir, et se précipita vers Tanneguy dont il prit les mains.

– Vous la connaissez? fit ce dernier en retirant ses mains par un mouvement de défiance.

– Mais je suis Octave!… Tanneguy, Octave Kerhor; ne me reconnaissez-vous pas?

Le vieux Tanneguy se tut, regarda un moment Octave, qui se tenait debout devant, lui, haletant, éperdu, attendant, une réponse, et remua tristement la tête:

– Oui, vous êtes Octave, dit-il après un moment de silence, je vous reconnais bien maintenant. Sans le vouloir sans doute, monsieur, c’est vous qui avez attiré sur nous tous les malheurs que nous déplorons… Marguerite est maintenant perdue pour vous, comme elle est perdue pour le monde.

– Que dites-vous?

– Je dis, Monsieur Octave, que vous êtes un gentilhomme, et que j’attends de votre honneur que vous n’irez pas plus loin sur cette route, quand je vous aurai appris que Marguerite est à deux pas d’ici.