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– Mais je l’aime!

– C’est un aveu que vous m’avez déjà fait, jeune homme, et aujourd’hui comme il y a deux ans, cet aveu le repousse.

– Ah! c’est de la cruauté.

– Non, de l’humanité, monsieur.

– Comment?

– Et si vous n’avez pas su respecter naguère l’innocence de Marguerite, j’espère qu’aujourd’hui, du moins, vous saurez respecter sa folie.

– Marguerite folle!… s’écria Octave, qui fut obligé de se retenir au bras d’Horace pour ne pas tomber.

VI

Marguerite folle!…

Cette pensée ne sortait plus de l’esprit d’Octave, et depuis trois jours qu’il était au Conquet, il avait, vainement, cherché à calmer la douleur dont il avait été frappé en apprenant cette cruelle nouvelle.

Marguerite folle!

Toute la journée on le voyait errer sur la côte déserte, marchant de rocher en rocher, quelquefois sombre, muet, le regard fixe et le front penché; puis souvent, s’arrêtant sur la grève pour prendre sa tête dans ses mains et pleurer…

Il n’avait pas songé à raconter à Tanneguy sa vie, son amour, la mort de sa mère, qui le laissait libre; il avait laissé Horace reconduire le vieux Breton à sa demeure, et n’avait pas insisté pour y aller lui-même.

Qu’y eût-il été faire…?

Maintenant Marguerite était perdue pour lui, perdue à jamais, sans espoir… La vue de la pauvre enfant, dans sa pénible position, eût renouvelé toutes ses souffrances, sans y apporter le moindre remède; il valait mieux la quitter sans la revoir, il valait mieux partir sans lui parler.

D’ailleurs, il avait encore, dans son cœur, l’image ineffable de l’enfant heureuse qu’il avait connue et aimée; il ne voulait pas attrister sa vie, en apportant dans sa solitude le souvenir cruel de son malheur!

C’est ainsi qu’il avait raisonné dès les premiers moments; il espérait alors qu’Horace lui apporterait des nouvelles de Marguerite, que quelqu’un lui parlerait d’elle, qu’il saurait enfin d’une manière certaine que penser et que faire.

Mais Horace n’avait point encore rencontré Marguerite; pour complaire à Octave, il avait, à diverses reprises, demandé au père Tanneguy à la voir; sa qualité de médecin lui donnait le droit d’être indiscret, elle lui en imposait presque le devoir. Le père Tanneguy avait repoussé toute avance à ce sujet: la solitude, prétendait-il, convenait surtout à l’état de sa fille; elle vivait fort retirée, ne voyait que son père, et souriait seulement le soir quand la journée avait été belle.

Le père Tanneguy avait ajouté que sa santé propre était pour ainsi dire rétablie, qu’il n’oublierait jamais le service qu’Horace et Octave lui avaient rendu, mais qu’il désirait bien vivement ne pas les retenir dans le pays plus longtemps qu’il ne leur convenait à eux-mêmes.

C’était une manière indirecte de les congédier; mais Horace, par amitié pour Octave, n’y voulut point prendre garde.

– Ainsi, disait Octave après que son ami l’avait entretenu longuement de l’intérieur de la ferme du père Tanneguy, ainsi, vous n’avez pu voir Marguerite?

– Impossible!

– Et du moins vous a-t-il fait connaître le caractère particulier de sa folie?

– Nullement.

– Vous ne le lui avez peut-être pas demandé?

– Si fait.

– Et qu’a-t-il répondu?

– Il a éludé.

– C’est étrange! disait Octave.

– C’est étrange, si l’on veut, ajoutait Horace, car enfin cet homme ne veut pas vous voir; je comprends cela jusqu’à un certain point, et vous aussi. Le plus sage donc est de nous en tenir là, mon ami, de faire notre valise, et de prendre une autre direction.

– Partir sans la voir?

– Mais elle ne vous reconnaîtra pas!

– Mais moi, Horace, moi, je la verrai; je presserai sa main, j’entendrai encore une fois le son de sa voix; dans l’expression de son regard, je retrouverai peut-être quelques rayons de son beau regard d’autrefois… et que sait-on?… Dieu ne m’aurait-il pas envoyé ici pour la rendre à la raison et à l’amour?

– Les amoureux ont toujours d’excellentes raisons qui ne valent pas mieux que les vôtres, dit Horace en haussant les épaules.

– Mais n’êtes-vous pas de mon avis? Pensez-vous que sa folie doive être éternelle?

– C’est selon.

– N’avez-vous pas envie de le savoir?

– Peut-être.

– Vous êtes savant.

– Vous êtes bien bon!

– Et curieux.

– Je ne m’en cache pas.

– Eh bien! restez, mon ami. Allez encore chez le père Tanneguy… Pour moi, pour vous, pour elle aussi, ne parlons pas; tentez encore de les rencontrer; notre persévérance sera couronnée de succès; et si vous pouvez la voir seulement dix minutes, vous me l’avez dit, vous saurez si cette folie est incurable.

– Je vous le promets.

Et tous les jours c’étaient les mêmes instances de la part d’Octave et la même condescendance de celle d’Horace.

Il est vrai de dire que ce dernier n’était peut-être pas complètement désintéressé dans la question.

Le mystère dont on entourait Marguerite, les précautions inouïes que prenait le père pour n’en laisser approcher personne, pas même un médecin: tout cela avait éveillé sa curiosité au dernier point, et l’obligeance avec laquelle il semblait servir les intérêts d’Octave, était bien un peu mêlée d’entêtement pour son propre compte.

Mais jusqu’alors ses efforts avaient été vains, et rien ne pouvait faire supposer qu’il dût mener l’affaire à bonne fin.

Un jour, Octave était sorti du Conquet, et tout en se promenant, il avait insensiblement gagné la plaine, et son instinct, plus que sa volonté, l’avait dirigé vers la demeure de Marguerite.

C’était une petite habitation, placée sur une légère éminence, qui dominait conséquemment toute la côte, et devait jouir des beaux spectacles qu’offre la mer par les jours de grandes tempêtes.

On a beaucoup exploré la Bretagne, dans ces derniers temps surtout; les touristes s’y sont donné rendez-vous de tous les points de la France, et cette terre, éminemment pittoresque, a été pendant quelques années presque aussi fréquentée que la Suisse ou l’Italie.

Mais les touristes n’ont guère visité que les lieux dont les Guides du voyageur leur indiquaient le nom et la position topographique. Ils ont parcouru les plaines de Karnac, les rives enchantées de l’Ellé, les montagnes d’Arrès; ils se sont arrêtés à Penmarch, au Foll-Cout, à Saint-Paul-de-Léon, et bien peu ont osé pousser leur course, jusqu’aux bords de l’Océan. Les côtes de Bretagne ont rarement été foulées par le pied du voyageur, et les historiens du pays eux-mêmes ont complètement négligé d’en faire mention.

Que de ravissants paysages, que de puissantes fantaisies de la nature restent là, ignorées ou méconnues. Quel plus beau spectacle que celle longue suite d’énormes rochers que la mer, dans ses gigantesques caprices, a taillés avec un art qu’envierait le plus habile sculpteur! De Saint-Matthieu à Saint-Paul-de-Léon le regard se lasse à admirer; les glaciers de la Suisse n’ont pas de plus beaux aspects, les bords de la Baltique n’offrent pas de plus curieux sujets d’étude. Il y aurait tout un livre à écrire sur cette partie de la Bretagne, livre coloré, attrayant, saisissant et dramatique. Il sera fait tôt ou tard.