– Oui.
– Vous sortiez rarement, m’a-t-on dit?
– Mon père me le défendait.
– Pourquoi cela?
– Je l’ignore.
– Et l’idée ne vous est-elle jamais venue de lui demander la raison de cette claustration singulière?
– Jamais.
– Que faisiez-vous donc?
– J’attendais.
Octave se tut; il ne savait plus que penser: toutes ces réponses étaient faites d’un ton calme et parfaitement lucides; elles ébranlaient ses convictions, et rappelaient encore une fois le doute dans son esprit.
Une heure s’écoula dans cet entretien; la lune montait à l’horizon, et ses pâles rayons glissaient doucement sous les allées ombrageuses. Il régnait de tous côtés un silence plaintif que troublait seul le lointain murmure de l’Océan sur les falaises. Octave et Marguerite étaient profondément émus.
Enfin l’heure du départ sonna… Marguerite avait à craindre que son absence ne fût remarquée; son père était sévère; il avait gardé rancune à Octave: il fallait se séparer…
Elle, se leva.
Elle était belle et souriante; son regard éclatait d’amour et de pudeur contenus; elle tendit avec abandon ses deux mains à Octave.
– Octave, lui dit-elle d’une voix émue, voulez-vous que je sois bien heureuse, et que je vous aime comme aux beaux jours de notre passé?
– Oh! parlez! parlez! fit Octave en baisant les mains de Marguerite avec un fol élan.
– Eh bien! reprit la jeune fille, allez demain trouver mon père, et obtenez de lui votre pardon et le mien.
Et, en disant ces mots, elle lui fit un geste d’adieu, et disparut sous l’allée qui conduisait à la ferme.
Une heure après, Octave regagnait son logis, la tête bouleversée, l’esprit plus irrésolu que jamais, et racontait à Horace ce qui venait de lui arriver.
Horace sortait de chez Tanneguy; il paraissait fort soucieux quand Octave survint; il écouta d’un air profondément attentif tout ce que ce dernier lui dit, et finit par se renverser nonchalamment dans son fauteuil de cuir, les jambes croisées, le visage tourné vers le plafond.
– Ainsi, lui dit-il en lâchant une bouffée de tabac de la Havane, qui s’enfuit lentement en spirales bleues vers la fenêtre, ainsi, vous avez revu Marguerite?
– À l’instant, répondit Octave.
– Alors nous allons partir demain.
– Comment?
– N’était-ce point là votre intention?
– Eh quoi! vous voudriez que je l’abandonnasse au moment où je viens de la retrouver?
– Mais qu’espérez-vous donc?
– Je ne sais.
– On a vu peu de fous revenir à la raison.
– Pensez-vous qu’il n’y ait point de remède?
– Je le crains.
– Mais Marguerite m’aimait; si je la voyais souvent, peut-être réussirai-je…
Horace remua la tête d’un air d’incrédulité.
– Tenez, mon cher ami, lui dit-il, voulez-vous que je vous parle franchement?
– Parlez, fit Octave.
– Eh bien! je crains que vous n’éprouviez plus pour Marguerite que cette sympathique pitié que nous inspire naturellement tout être qui souffre: vous avez aimé cette jeune fille avec l’ardeur d’une passion de vingt ans, et aujourd’hui que vous la retrouvez après deux années d’une séparation cruelle, aujourd’hui qu’elle vous apparaît pâle et triste comme Ophélia, c’est plutôt votre imagination que votre cœur qui se frappe; votre générosité s’exalte, et vous vous laissez séduire par le côté chevaleresque de la mémoire que vous vous imposez. Croyez-moi, Octave, consultez-vous bien avant de vous engager plus avant dans cette voie; songez que Marguerite est folle, et qu’elle ne pourra peut-être jamais être rendue à la raison; songez que son père vous accuse de tous ses malheurs; songez enfin quelle existence serait la vôtre, si vous persistiez dans votre résolution. Ne vaut-il pas mieux, dites, rentrer dans la vie ordinaire, et faire ce que mille autres ont fait avant vous… oublier? Marguerite est perdue pour tous; Dieu seul peut faire ce miracle de vous la rendre telle que vous l’avez connue et que vous l’avez aimée. Laissez donc le père Tanneguy dans cette solitude où il est venu s’enfermer avec sa fille; reprenons notre bâton de voyage, et hâtons-nous de rentrer à Paris où l’on nous attend.
Octave avait écouté sans faire la moindre observation; quand Horace eut fini, il lui prit les mains et les serra avec affection.
– Merci, lui dit-il d’un ton sérieux et grave, merci, mon ami, de vos conseils; je les accepte comme je le dois, mais je ne puis les suivre. L’amour que j’ai voué à Marguerite est né le jour où, pour la première fois, j’ai senti battre et tressaillir mon cœur; cet amour ne finira qu’avec ma vie! Vous savez si je suis capable d’un attachement sérieux; j’ai eu le bonheur de vous en donner quelques preuves; eh bien! à cette heure, je vous le dis, Horace J’aime Marguerite comme je l’aimais il y a deux années; mon amour s’est augmenté même de cette sympathique pitié qui, comme vous le disiez, s’attache à toute femme qui souffre et qui pleure. Je ne pourrais aimer une autre femme; je sens que je n’aimerai jamais que Marguerite. Dans cette situation, voyez jusqu’à quel point vous m’aviez méconnu et comme vous vous trompiez… dans cette situation, il m’est venu une pensée, une pensée étrange peut-être, déraisonnable, folle, que le monde jugera diversement, mais à l’accomplissement de laquelle j’attacherai le bonheur de toute ma vie…
– Et cette pensée? interrompit Horace qui changea tout à coup de ton.
– C’est de demander la main de Marguerite à son père.
– Vous voulez l’épouser?
– Oui, mon ami.
– Une folle!
Octave sourit:
– Dieu ne fait plus de miracles, répondit-il; mais il est un sentiment qui peut encore en faire.
– Lequel?
– L’amour!
VIII
Le lendemain soir, Octave partit du Conquet, et s’achemina vers le manoir de Marguerite.
Une partie de la journée s’était passée en conversation avec Horace, et aucune observation n’avait pu ébranler ses résolutions.
Octave partit plein d’espoir.
Toutefois, et bien qu’il eût une entière confiance dans l’amitié et le dévouement d’Horace, quelques mots jetés par ce dernier au milieu de leurs longs entretiens lui avaient inspiré de singuliers doutes.
Octave parlait de Marguerite, et il expliquait, pour la centième fois, comment il avait passé plus d’une heure près d’elle, et avec quelle lucidité elle avait répondu à toutes ses questions.
– C’est le miracle de l’amour qui commence, avait dit Horace d’un ton ironique.
– Vous raillez? fit Octave.
– Je ne crois pas aux miracles.
– Avez-vous vu Marguerite?
– Une fois.
– Et que pensez-vous de son état?
Horace eut un singulier sourire à cette question; il haussa les épaules et remua la tête:
– La médecine rend positif en diable, répondit-il, et je vous avouerai que j’hésite à me prononcer sur cette jeune fille.