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– Comment cela?

– Ah! comment cela! Mon ami, je n’en sais rien. On m’accorde généralement quelque mérite à la Faculté; j’ai sauvé des malheureux que l’on avait déclarés incurables, et j’ai fait, dit-on, des miracles, moi, qui ne crois pas à ceux des autres; eh bien! à franchement parler, les quelques minutes que j’ai passées près de Marguerite m’ont amené à douter de moi-même et de la science.

– Expliquez-vous… dit Octave qui écoutait avec anxiété.

Horace parut se recueillir un moment, puis il reprit bientôt après:

– Voici, dit-il à voix lente et en pesant chacune de ses paroles; la folie se manifeste d’ordinaire par des indices connus, que la médecine a classés, et que vous avez pu observer par vous-même; tous les fous ont le sourire contracté, le regard vague et fixe, le geste heurté; leur voix emprunte un accent guttural; ils marchent d’une façon particulière; ils écoutent sans entendre, ou ils entendent sans écouter; tout le monde sait cela, et ces observations sont élémentaires. Eh bien! chez Marguerite, je n’ai constaté aucun de ces indices.

– C’est vrai, interrompt Octave.

– Et cependant, poursuivit Horace, je la considérais bien plus en médecin curieux et indiscret, qu’en amoureux aveugle; Marguerite regarde avec deux yeux clairs d’une transparence virginale; son geste est gracieux et arrondi, sa voix douce et caressante; elle écoute fort bien ce qu’on lui dit, et, chose surprenante par-dessus tout, je l’ai vue rougir quand je me suis approché d’elle!…

– Mais que concluez-vous de ces observations? demanda Octave.

– Rougir! continua Horace; avez-vous jamais vu un fou rougir, vous? Cela ne peut pas être, et si Marguerite est bien réellement folle, elle échappe à toutes les observations faites jusqu’à ce jour, et sa folie doit être incurable.

Tout en s’avançant vers la demeure de Marguerite, Octave repassait dans sa mémoire les moindres détails de cette conversation, et y puisait à chaque instant de nouveaux motifs d’espérer:

«Si Marguerite est bien réellement folle,» avait dit Horace; il était donc possible qu’elle ne le fut pas.

Et là-dessus, son esprit partait, pour ne s’arrêter qu’aux pieds de Marguerite rendue à la raison, à l’amour, au bonheur!

Quand il parvint à la demeure du père Tanneguy, la nuit était venue. Une vieille servante le reçut sur le seuil de la porte, et l’introduisit dans une salle basse donnant sur la cour d’entrée.

Marguerite ne tarda pas à paraître. Elle était seule au logis, et le père Tanneguy ne devait rentrer que fort tard.

Marguerite accourut souriante et joyeuse:

– C’est donc bien vous, Octave? dit-elle au jeune homme en lui tendant les mains avec abandon; ce n’était donc pas un rêve? Oh! je craignais déjà de ne plus vous revoir!

– Voilà bientôt deux années que je vous cherche, répondit Octave.

– Deux années?

– Nul ne savait ce que vous étiez devenue.

– Mon père l’a voulu ainsi. Il était fort irrité contre vous, et j’ai pleuré souvent en secret.

– Bonne Marguerite!

Octave considérait la jeune fille avec une attention profonde pour découvrir sur son visage quelques traces d’une folie récente; mais ses investigations restèrent sans résultat. Rien ne troublait en ce moment la radieuse sérénité de Marguerite, et son limpide et beau regard ne s’abaissait pas même devant l’ardent regard de son amant.

Octave lui prit la main, et bien que la confiance commençât à renaître dans son cœur, il craignait à chaque instant que quelque révélation inattendue et terrible ne vînt la lui enlever. Ses tempes battirent, un nuage passa devant ses yeux.

– Marguerite, dit-il d’une voix émue, j’ai résolu hier d’aller trouver votre père; je lui dirai que je vous aime, que je suis libre désormais du ma fortune et de mon nom, et que ma seule ambition au monde est de vous voir partager l’une et l’autre… Croyez-vous que Tanneguy me refuse?

– Peut-être! répondit Marguerite.

– Qu’a-t-il à craindre cependant?

– Oh! rien pour vous, Octave, mais pour moi.

– Comment!

– Le passé est un triste enseignement.

– Ne l’ai-je pas assez expié?

– Sans doute.

– Et ces deux années qui viennent de s’écouler n’ont-elles pas été une assez longue épreuve?

– C’est vrai!

– Vous me l’avez dit vous-même; cette séparation vous a été douloureuse.

– Dites cruelle, Octave. Nous étions seuls, loin du monde, avec l’Océan et la grève déserte pour tout horizon… Ah! je pourrais raconter jour par jour les tristesses de ces deux années.

– Est-ce possible?

– Mon père ne voulait pas me laisser sortir; il prenait mille précautions pour que je ne fusse vue de personne. Il redoutait votre présence… J’ai dépassé bien rarement les limites de notre verger.

Octave ne répondit pas de suite; les dernières paroles de la jeune fille avaient éveillé de singuliers doutes dans son esprit; il pressentait vaguement la vérité, mais il frémissait en songeant qu’il pouvait encore se tromper.

Il reprit:

– Ainsi, dit-il avec anxiété, personne n’a passé le seuil de votre demeure pendant ces deux années?

– Personne.

– Et vous vous rappelez, jour par jour, et vos tristesses et vos ennuis?

– Parfaitement.

– Il n’y a dans votre souvenir aucune lacune?

– Aucune.

– C’est étrange!

– Qu’avez-vous?

– On m’avait dit…

– Quoi donc?

– Tenez, Marguerite, pardonnez-moi toutes ces questions; mais je vous aime, voyez-vous, je vous aime comme au premier jour, et tant que je vivrai, cet amour restera pur et inaltérable dans mon cœur… Eh bien!…

– Parlez.

– On m’avait dit qu’en quittant Saint-Jean-du-Doigt une cruelle maladie… que sais-je? le délire…

Octave n’osa pas achever, il trembla de réveiller par une parole imprudente toutes les souffrances passées de la jeune fille, et leva vers elle un regard craintif et troublé.

Marguerite souriait.

– Ce que vous me dites, Octave, répondit-elle, n’a pas lieu de m’étonner, et vous n’êtes pas la première personne qui me teniez un pareil langage.

– Dites-vous vrai?

– À plusieurs reprises déjà ce propos m’est revenu, et l’on a même été jusqu’à prétendre que j’étais folle.

Octave frémit, et un frisson glacé passa sous ses cheveux.

– Folle! répéta-t-il en serrant les mains de Marguerite dans les siennes.

L’attitude de Marguerite était douce, calme et reposée; un beau sourire éclairait son visage, et ses deux yeux éclataient d’intelligence et de candeur.

– J’ignore, reprit-elle, dans quel intérêt ce bruit a été répandu; l’espèce d’isolement dans lequel je vivais a pu jusqu’à un certain point l’autoriser, et je n’ai rien fait pour l’empêcher.