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Marguerite aimait Octave d’une sainte et pure amitié; mais l’amitié d’une enfant naïve comme elle aboutit souvent à l’amour.

Depuis quelque temps surtout, la pauvre Marguerite éprouvait à l’approche d’Octave de singuliers symptômes qui jetaient bien souvent le trouble et l’effroi dans son esprit. Son cœur battait plus vite dans sa poitrine; le sang circulait plus ardent dans ses veines; tout son corps tressaillait d’une joie sans seconde quand, par hasard, sa main rencontrait la sienne. La nuit, Marguerite avait des insomnies étranges; aux pâles rayons de la lune, il lui semblait voir les anges, ses sœurs, s’asseoir à son chevet, et la contempler tristement; elle s’effrayait malgré elle, et, par une contradiction qu’elle ne pouvait comprendre, elle aimait ce trouble, cette frayeur, cette vague inquiétude dont son âme était pleine.

Qu’allait-elle devenir quand il lui faudrait s’éloigner? quand il lui faudrait quitter le bourg pour n’y plus revenir? quand il lui faudrait renoncer à revoir jamais Octave?

Marguerite ne se sentait pas la force de lutter contre la volonté de son père; elle n’en avait ni le courage ni la pensée; elle était décidée d’avance à faire le sacrifice de son amour, à mourir lentement, plutôt que d’attrister, par un refus, la vieillesse de son père; et cependant combien de larmes, combien de tristesses, de désespoirs!…

La vieille Jeanne, la servante de l’abbé Kersaint, n’avait pas quitté Marguerite; il se faisait tard cependant, et c était l’heure du repos. La vieille Jeanne se mit en devoir d’aider la fille de Tanneguy à se dépouiller de ses vêtements du jour.

Ces soins arrachèrent pour un moment Marguerite à ses tristes préoccupations. La femme redevenait enfant, pour admirer chaque parure qu’on lui ôtait, et elle ne se lassait de regarder sa petite glace, comme pour s’assurer qu’elle restait jolie.

Tantôt c’était son collier de perles blanches qu’on lui enlevait, et elle redressait avec fierté son beau col de cygne, aussi blanc que la neige. Une autre fois c’était son surtout de drap piqué que la vieille allait déposer dans un grand bahut sculpté, et son regard caressait avec amour les contours délicieux de sa taille; mais ce fut surtout lorsque Jeanne détacha le nœud qui retenait ses cheveux et qu’elle les sentit retomber en longues boucles sur ses épaules et son sein nus, qu’elle se prit à rougir, croisant ses deux bras sur sa gorge naissante par un geste plein de pudeur.

Elle était si belle ainsi! Il y avait dans sa pose tant de chasteté et de beauté; son regard à demi voilé étincelait de tant d’amour contenu et de tant de pudeur, que la vieille Jeanne s’arrêta un instant pour la contempler et l’admirer. Elle était belle, et sainte, et pure; le vent des passions terrestres n’avait point encore soufflé sur cette frêle enveloppe; son cœur était aussi pur que son âme, son âme était aussi blanche qu’au sortir des mains de Dieu!

Quand Marguerite vit que Jeanne restait debout devant elle, plongée dans une admiration muette, elle jeta un petit rire, vif et doux comme un cri d’oiseau, et alla elle-même prendre un long vêtement de toile blanche, puis, s’étant assurée que tout aide étrangère lui était désormais inutile, elle congédia Jeanne, et demeura seule.

Alors, elle se reprit encore à songer à son départ, essaya de mettre en ordre tous les objets qu’elle allait emporter, et comme l’horloge de Lanmeur sonnait onze heures, elle alla s’agenouiller près de son lit, et commença sa prière, les mains jointes, les yeux levés au ciel.

Mais à peine eut-elle commencé, qu’une émotion fébrile fit trembler ses mains, elle baissa les yeux, et s’étant détournée avec vivacité, elle aperçut un homme debout au milieu de la chambre.

Octave!… s’écria-t-elle en devenant pâle comme une morte, Octave!

– Marguerite!… répondit le jeune homme, d’un ton suppliant.

– Vous, ici! poursuivit Marguerite, vous! oh! mon Dieu… mais quelle a été votre pensée, dites? qui vous y a conduit? comment y êtes-vous venu?… dites! dites!… mais répondez…

Et comme elle ne se sentit pas la force d’en dire davantage, elle laissa retomber sa tête dans ses mains, et se prit à sangloter.

Le jeune homme s’élança alors vers elle, et, avant qu’elle eût eu le temps de s’éloigner, il lui prit les deux mains dans les siennes.

– Marguerite!… lui dit-il, d’une voix pleine de larmes; ma jolie Marguerite… ne pleurez pas ainsi; écoutez-moi, vous allez partir!

– Partir! fit Marguerite en relevant la tôle.

– Demain, m’a-t-on dit… demain, il faudra me séparer de vous, pour toujours…

Oh! je n’ai pu accepter cette pensée cruelle; j’ai voulu vous revoir encore une fois, vous dire un dernier adieu… et je suis venu… Marguerite, auriez-vous la cruauté de me dire que j’ai mal fait?

– Eh bien! répondit Marguerite, vous êtes venu, Octave, vous m’avez vue… et maintenant, vous pouvez partir.

Et comme elle se dirigeait vers la porte de la chambre qu’elle se disposait à ouvrir, Octave l’arrêta:

– Y pensez-vous, lui dit-il, je ne puis sortir par cette porte, je rencontrerais quelqu’un en ce moment, et vous seriez perdue.

Marguerite courut alors vers la fenêtre qu’elle ouvrit. La campagne était calme, le ciel chargé de nuages; personne ne veillait alentour; mais il y avait quinze pieds d’élévation, et l’on pouvait se tuer en tombant…

Elle revint s’asseoir triste et rêveuse auprès de son lit.

Pendant quelques secondes un silence embarrassant régna dans la chambre.

Octave restait debout et regardait Marguerite accablée, les yeux fixés vers le parquet. Dans un moment même, il vit des larmes couler silencieusement le long de ses joues.

Un profond sentiment de pitié s’empara de lui: il comprit que sa position devenait odieuse. C’était la première fois qu’il faisait trembler cette enfant, et il se reprocha sa lâcheté.

Il alla donc se mettre à genoux à deux pas d’elle, et joignant les mains a son tour:

– Marguerite!… dit-il, je vous aime!… je vous aime de tout ce que Dieu a mis en moi d’amour et de passion; je vous aime comme un insensé; voilà ma faute!… ne me pardonnerez-vous pas?… Oh! ne pleurez pas ainsi… je puis sortir!… cette fenêtre n’est pas si élevée qu’on ne puisse s’échapper par cette issue… je partirai!… et qu’importe après tout que je meure si vous êtes sauvée… vous, vous, Marguerite, ma Marguerite, bien-aimée…

Marguerite le regarda à travers ses larmes avec une mélancolie profonde.

– Octave, répondit-elle, vous m’aimez, dites-vous; j’ai bien besoin de vous croire, dans ce moment surtout.

Et elle prit un ton grave et une pose sérieuse et réfléchie.

– Octave, poursuivit-elle, vous ne pouvez vous retirer par cette porte, car, ainsi que vous le disiez, on vous rencontrerait, et je serais perdue. Cette fenêtre ne vous offrirait pas un moyen meilleur de retraite, et quoique vous me le proposiez, je serai aussi généreuse que vous, je n’accepterai pas. Il faut donc que vous restiez ici jusqu’au jour.

Mais, ajouta-t-elle en lui désignant un des coins de la chambre, j’attends de votre loyauté, de ne point franchir la distance que vous allez mettre entre nous!…

C’étaient deux enfants, l’un âgé de vingt ans, l’antre de seize… âge heureux où l’on se souvient encore de sa première pureté, où l’âme n’a pas perdu toute sa naïveté et sa candeur; âge terrible aussi, où les premières passions, les plus doux sentiments, les plus irrésistibles penchants s’éveillent au cœur de l’homme.