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J’allai vers le coin où mes amis étaient assemblés. Mary Carpentier était assise à une table avec Venie Morlock et deux ou trois autres.

« Hé ! Mia ! » dit Mary en m’apercevant. « Viens t’asseoir avec nous. Que fais-tu ici ? »

— « J’avais envie de voir ce que vous deveniez, » dis-je en prenant une chaise. Je n’allai certainement pas leur raconter combien j’étais malheureuse à Géo, et surtout pas devant Venie, cela lui aurait fait trop plaisir.

« Bonjour, » dis-je à la ronde, et tous me répondirent : « Bonjour, Mia. »

« Dis donc, Mia, » me dit Mary, « je ne m’attendais pas à te voir ici. Pourquoi ne m’as-tu pas appelée pour dire que tu venais ? »

— « C’est une envie qui m’a prise comme ça, et je suis venue immédiatement. »

— « En tout cas, ça fait plaisir de te voir. Comment ça te plaît là où tu es maintenant ? »

— « Bah ! ça va… Il faut que je m’habitue. Je ne connais pas encore tout le monde. »

— « Tu te promènes toujours dans les conduites ? » demanda une des autres filles.

— « Pas pour le moment. Mais je pense y revenir plus tard. »

— « Dans quel quartier vis-tu maintenant ? »

— « À Géo, » répondit Mary à ma place.

— « C’est au Cinquième Niveau, non ? » demanda un des autres.

— « Oui, » dis-je.

— « Ah oui ! » intervint Venie. « J’en ai entendu parler. Il y a de drôles de numéros qui habitent là-bas ! »

— « Tu sais bien que ce n’est pas vrai, » rétorquai-je avec mon sourire le plus charmeur. « Pourquoi ne viens-tu pas y vivre ? Tu devrais, tu sais. Il y a une bonne place qui t’attend dans notre équipe de foot. »

— « Je ne suis peut-être pas très forte, » riposta Venie, piquée au vif, « mais je vous vaincrais n’importe quand, les yeux bandés ! »

« Comment va ta famille, Mary ? » dis-je, pour changer de conversation.

Elle prit un air malheureux et me répondit : « Ça va, ça va. »

« Moi, au moins, mes parents ne m’ont pas fichue dans un dortoir pour se débarrasser de moi pendant qu’ils étaient encore mariés, » intervint Venie.

Sans même me tourner vers elle, je lui répliquai :

« Venie, si tu tiens à recevoir un autre coup de poing sur le nez, continue à parler comme ça ! Dis, Mary, si on allait chez toi ? On ne serait pas embêtées tout le temps ! »

« Oh ! ne partez pas pour moi ! » dit Venie. « Je m’en vais de toute façon. On commence à étouffer, ici. Vous venez, les filles ? »

Elle se leva, et les trois autres filles la suivirent, se faufilant entre les tables rouges, vertes et bleues.

« Alors, Mary, on va chez toi ? »

Elle détourna les yeux. « J’aimerais bien, Mia, mais c’est impossible. Nous allions justement faire une partie de foot. »

— « Mais c’est merveilleux ! » dis-je en me levant. « Allons jouer ! »

— « Je ne pense pas que ça plairait à Venie…»

— « Hein ? Depuis quand t’occupes-tu de ce que pense Venie ? »

Mary resta un moment à me regarder, puis se décida :

« Mia, je t’aime beaucoup, tu sais, mais mets-toi bien dans la tête que tu n’habites plus ici. Moi, si. Tu comprends ? Il faut que j’y aille, maintenant. Tu m’appelleras ? »

— « Oui, » dis-je, en la regardant se hâter pour rattraper Venie Morlock. « Je t’appellerai…» Mais je savais que je ne le ferais pas. Je savais aussi qu’un doigt de plus venait de lâcher prise.

4

N’ayant plus rien à faire au Quatrième Niveau, je sortis de la Salle commune et retournai à Géo. Apparemment, j’étais calme et normale – je le crois, du moins, mais, intérieurement, c’était le chaos. Une fois, quand j’avais dix ans, on nous avait emmenés en excursion au Troisième Niveau, et je m’étais égarée dans un champ d’orties, et j’étais déjà au beau milieu quand je m’étais rendu compte de ce que c’était. Je n’avais donc plus qu’à continuer. Lorsque je ressortis enfin de l’autre côté, mes bras et mes jambes me démangeaient furieusement, et je dansais d’un pied sur l’autre tellement ces piqûres me rendaient folle. Ce que j’éprouvais maintenant sur le plan mental était assez semblable. Cela me démangeait, mais je ne savais pas exactement où, et je ne pouvais rien faire pour me soulager. J’étais agitée, malheureuse, et très déprimée.

Je voulais m’en aller, je voulais me cacher dans un coin sombre, je voulais occuper mon esprit avec quelque chose. Je rentrai dans notre appartement – les meubles y étaient, mais pas l’atmosphère – et trouvai un morceau de craie ainsi qu’une petite lampe comme les “mères” en utilisent dans les dortoirs, la nuit, pour voir si tout le monde est là. Munie de ces deux objets, je ressortis. Il était environ deux heures de l’après-midi ; il y avait longtemps que je n’avais pas mangé, mais j’étais bien trop agitée pour y penser.

Je ne choisis pas la première grille venue, mais m’éloignai un peu pour trouver un couloir calme et désert ne menant nulle part. Je n’étais pas d’humeur à fournir des explications à un adulte indiscret. Je finis par trouver une grille idéalement placée pour accéder aux conduites d’air.

Je m’agenouillai et commençai à l’ouvrir. Elle était maintenue des deux côtés par des attaches oxydées, ce qui me fit penser qu’elle n’avait pas été utilisée depuis longtemps, et j’avais du mal. Lorsque je l’aurais ouverte une ou deux fois encore, cela deviendrait plus facile, mais, pour l’instant, d’autant que j’étais maladroite, ces attaches étaient rebelles à mes efforts. Il me fallut cinq bonnes minutes pour ouvrir la première, celle de gauche. J’allais attaquer la seconde lorsqu’une voix me demanda : « Que fais-tu ici ? »

Je sursautai, me sentant coupable, et pris le temps de me calmer avant de me retourner. C’était Zena Andrus.

— « Et toi, que fais-tu ici ? » répliquai-je.

— « J’habite là-bas. » Elle me montrait une porte située un peu plus loin dans le passage. « Que faisais-tu ? »

— « Je vais entrer là-dedans, » lui dis-je en passant un doigt à travers le grillage.

— « Dans les conduites ? »

— « Oui. Pourquoi pas ? L’idée te fait peur ? »

Elle se rebiffa.

— « Je n’ai jamais peur. Je suis capable de faire tout ce que tu fais. »

— « Viens avec moi, alors, » l’encourageai-je, non sans malice.

Elle avala sa salive, puis vint s’agenouiller à côté de moi et essaya de regarder à travers la grille ; elle devait entendre le bruit lointain des ventilateurs et sentir contre son visage l’air aspiré.

« Qu’est-ce qu’il fait sombre, là-dedans ! » dit-elle.

— « J’ai une lampe. Mais nous ne nous en servirons pas souvent. C’est bien plus amusant de courir dans le noir. »

— « De courir ? »

— « De marcher si tu préfères. »

Elle essaya de nouveau de percer les ténèbres.

On dit que le malheur aime la compagnie ; eh bien, j’étais malheureuse, et j’avais besoin de rendre quelqu’un d’autre malheureux.

— « Bon, bon, » dis-je. « Si tu as peur de venir…»

Zena se dressa. « Je n’ai pas peur ! »

— « Bien, dans ce cas, écarte-toi un peu pour que je puisse ôter la grille. »

La seconde attache céda plus facilement. Je posai la grille par terre et, montrant à Zena le trou noir, je lui dis : « Après vous. »

— « Tu ne vas pas m’enfermer là-dedans ? »