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— « Tu veux venir visiter la vedette avant le départ ? » me demanda-t-il. « Comme je suis le pilote, et de plus le chauffeur attitré de ton père, je te montrerai absolument tout. »

J’allais répondre par un “non” catégorique lorsque papa me poussa en avant : « Allez, amuse-toi bien, Mia. J’ai encore deux ou trois choses à régler avant le départ. »

Là-dessus, il alla rejoindre le groupe.

Ainsi donc, ce monstre, ce Georges je-ne-sais-plus-quoi et moi montâmes la rampe menant à la vedette. Je me sentais trahie. Il m’arrive de croire que les parents prennent plaisir à mettre leurs enfants dans des situations désagréables ; peut-être est-ce une façon détournée de se venger d’eux. Je ne dis pas que c’est ce que papa faisait, mais je l’ai certainement pensé sur le moment.

C’est tout juste si ma tête arrivait au bas de la cage thoracique de Georges ; il était si grand qu’un de ses pas valait deux et demi des miens ; même quand il marchait lentement, j’étais toujours en avance ou en retard d’un demi-pas sur lui. Si j’avais été de meilleure humeur, cela m’aurait amusée de jouer à cache-cache autour de ce dinosaure. Mais tout ce que je désirais pour le moment, c’était un trou pour me cacher. Un trou bien noir et bien profond.

La partie principale de la vedette était au niveau où nous arrivions. Au centre, un escalier en spirale montait et descendait. Autour, protégés par une cloison circulaire d’environ un mètre de haut, étaient disposés des lits de repos dont les côtés étaient surélevés, comme dans les lits pour bébés. Il y avait également de confortables fauteuils, des chaises magnétiques que l’on pouvait changer de place et deux tables. Sur le côté extérieur, il y avait des entrepôts pour les marchandises, une cuisine, des toilettes et quelques écuries avec de la paille sur le sol. Au moment où nous arrivions, on y faisait entrer deux chevaux.

« Ce sont ceux qui serviront à ton père et à son assistant, après l’atterrissage, » m’expliqua le monstre.

Je ne daignai pas répondre, me contentant de regarder ce qui m’entourait d’un air glacial.

Lors de la colonisation, on s’était servi de chevaux comme moyen de locomotion et pour divers travaux, de préférence aux machines, car les tracteurs et les héli-paks se fabriquaient trop lentement. Il n’avait pas été jugé opportun d’implanter des industries dans les colonies, car on avait tout juste le temps de déposer les colons et d’aller en chercher une nouvelle cargaison. On leur laissait juste le minimum indispensable en matériel et en ravitaillement pour qu’ils aient une bonne chance de survivre. Ces fournitures comportaient très peu de machines, qui s’usent en quelques années. En revanche, elles comprenaient des chevaux. Et, même de nos jours, lorsque nous allons sur une planète qui n’a pas évolué depuis cent soixante-dix ans, nous nous déplaçons à dos de cheval.

À cette époque, bien sûr, les chevaux me faisaient plutôt peur et je n’avais pas encore appris à les monter. Lorsque l’un d’eux s’ébroua, en passant devant nous, je fis un brusque saut en arrière.

Je remarquai alors que nous n’étions qu’à deux pas des toilettes.

« Excusez-moi un instant, » dis-je au géant.

Avant qu’il ait pu répondre, j’étais à l’intérieur et j’avais refermé la porte. Pour le moment, en tout cas, j’étais sauvée.

Je n’avais pas du tout envie d’aller aux toilettes. Je voulais simplement me retrouver seule.

Je regardai les murs nus qui m’entouraient, je fis couler l’eau, me lavai les mains… Je réussis à tenir cinq bonnes minutes avant que ma nervosité ne reprenne le dessus ; je m’imaginai que papa était monté à bord, et je crus même entendre sa voix. N’y tenant plus, je ressortis.

Lorsque j’ouvris la porte, le géant était exactement à l’endroit où je l’avais laissé. Visiblement, il m’attendait. Les chevaux étaient attachés dans leurs écuries, des gens montaient des caisses à bord, et papa n’était toujours pas là.

Sur un ton parfaitement naturel, comme si je ne m’étais jamais absentée, le géant me dit de sa voix profonde : « Viens en haut. Je vais te montrer mes boutons. J’en ai toute une collection. »

Résignée, je m’engageai devant lui dans les escaliers métalliques qui montaient en spirale autour d’un axe en métal exactement comme les cannelures d’une vis. Il était évident qu’il était déterminé à remplir son rôle de guide et de protecteur jusqu’au bout. Même si je l’avais osé, je n’aurais pas eu le cœur de discuter. – Nous débouchâmes dans un dôme en forme de bulle, dans lequel étaient disposés deux sièges pivotants, devant un panneau – très bas, pour ne pas gêner la vision – rempli d’écrans, de voyants et de cadrans. À part cela, il y avait tout juste la place de se retourner deux fois.

De sa grosse patte, le géant désigna un tiroir disposé sous le panneau. « Ma collection de boutons, » dit-il avec un large sourire. « Je parie que tu n’y croyais pas. »

Ils étaient là, en tout cas. Suffisamment de boutons pour occuper un bébé de deux ans, ou même un pilote, pendant des heures. Il était évident qu’à sa façon Georges essayait d’être gentil. Mais je n’étais pas d’humeur à être gentille avec un étranger aussi énorme que laid. Après avoir jeté un bref coup d’œil sur le panneau et dans le tiroir, je regardais à l’extérieur.

À travers le dôme, je pus voir la voûte de pierre répandre une douce lueur au-dessus de nous. Vers le bas, la vision était bloquée par la masse de la vedette elle-même. Je ne pus donc voir papa ni les personnes avec lesquelles il était. Cela fait un sale effet de se sentir abandonné. Je déteste ça.

« Ton père en a encore pour bon moment, » me dit Georges.

Furieuse d’avoir été devinée, je tournai résolument le dos à l’extérieur.

« Assieds-toi, » me dit le géant.

Non sans méfiance, je fis ce qu’il me disait. Le siège à pivot était curieusement élastique ; je me sentis plusieurs fois balancée de haut en bas avant qu’il ne s’immobilise.

S’accoudant négligemment sur le panneau, il parut réfléchir un moment, puis me dit : « Puisque tu ne sembles pas être d’humeur à parler, et que nous avons encore un bon moment à passer ensemble ici, je vais te raconter une histoire. Je la tiens de ma mère, qui me la raconta la veille du jour où je devais commencer l’Épreuve. »

Là-dessus, ne se rendant sans doute pas compte que j’étais trop grande pour ces contes-là, il se lança dans son histoire.

« Il était une fois (commença-t-il) un roi qui avait deux fils ; c’étaient des jumeaux, les tout premiers qui fussent jamais nés dans ce pays. L’un d’eux s’appelait Enegan, et l’autre Britoval, et, bien entendu, comme tous les jumeaux, l’un des deux était plus âgé que l’autre ; je ne me souviens plus lequel c’était, d’ailleurs, et je doute que quiconque s’en souvienne. Ils se ressemblaient tellement que même le cœur de leur chère mère ne pouvait les distinguer ; ils n’avaient pas encore un mois que personne n’aurait su dire lequel s’appelait Britoval et lequel Enegan. Pour finir, ils cessèrent de se creuser la tête pour ça : ils leur mirent des étiquettes autour du cou ; ils les nommèrent Ned et Sam.

» Ils devinrent grands et forts, et restèrent aussi semblables que deux verrues du même crapaud. Si l’un avait deux centimètres de plus, ou pesait une livre de plus au début d’un mois, ils se retrouvaient à égalité à la fin de ce même mois. Ils étaient de force égale en tout : lutte, course, nage, équitation, et même pour cracher. Quand ils eurent atteint l’âge adulte, il n’y avait qu’un seul moyen pour les distinguer l’un de l’autre. De l’avis général, Sam était intelligent et Ned était charmant. Dans les campagnes, on les avait même surnommés Malin Sam et Charmant Ned.