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» Écoutez ! » pouvait-on les entendre dire lorsqu’un cheval traversait le village au galop, « voilà que passe Prince Charmant Ned. » Ou bien : « Regardez ! Sous les frondaisons de ce chêne, voilà que Malin Sam est perdu dans ses pensées. »

» Honnêtement, ils méritaient bien leurs surnoms. Demandait-on à Sam de faire une addition, d’analyser une phrase ou de résoudre un rébus, il le faisait en un clin d’œil, alors que Ned n’était vraiment pas à son affaire dans ce genre de choses. En revanche, si l’on aime le charme et le courage, la courtoisie et la bonne humeur, Ned était un garçon formidable, qui faisait les délices de sa chère mère et était pour ses sujets comme un rayon de soleil, tandis que Sam, même à ses meilleurs moments, était toujours un peu taciturne.

» Puis, un jour, le vieux roi leur père mourut. Qui allait hériter de la couronne ? Le royaume était petit, le trésor était vide ; il n’y en avait vraiment pas assez pour deux.

» Le Grand Conseil du royaume s’assembla pour examiner le problème. Les conseillers se réunirent et examinèrent, examinèrent et votèrent, votèrent et durent recommencer, car il y avait un nombre égal de voix des deux côtés. Au début, l’on proposa que l’aîné hérite ; mais l’on s’aperçut que personne n’aurait su dire qui était l’aîné. Ensuite, un esprit fort proposa que le plus jeune hérite, et tous trouvèrent que ce serait une excellente solution, jusqu’au moment où ils s’aperçurent qu’il était tout aussi impossible de déterminer qui était le plus jeune. Ce fut alors qu’ils décidèrent un nouveau vote. Mais le résultat fut, de nouveau, un vote nul, car la moitié des conseillers avaient dit : « Un roi doit avoir l’esprit éveillé, car il doit gouverner avec intelligence et agir sagement avec les amis et les ennemis du royaume. Il n’est pas vraiment nécessaire qu’il se fasse aimer. » Et l’autre moitié avait dit : « Un roi doit être aimé de ses sujets, et apprécié par ses voisins et ses pairs. Peu importe qu’il soit intelligent : le Conseil est là pour ça. »

» Après bien des discussions, ils décidèrent qu’il n’y avait qu’une seule solution. Charmant Ned et Malin Sam devraient entreprendre une quête, et le vainqueur deviendrait roi du royaume et prendrait la place de son excellent vieux père. Si aucun des deux ne réussissait, on pourrait toujours faire appel à un cousin pauvre, qui attendait patiemment son tour. Les royaumes ont toujours des cousins pauvres qui attendent patiemment que l’on ait besoin d’eux.

» Voici quel était l’objet de cette quête : il semblait qu’à bien des milles de là – c’était du moins ce que l’on disait – il y avait une petite caverne dans laquelle vivait un ogre de taille modérée qui possédait un merveilleux trésor, lequel suffirait à renflouer les finances du royaume pendant bien des années. Il fut décidé que celui des jumeaux qui ramènerait le trésor aurait prouvé de façon certaine qu’il méritait de régner… »

À ce cornent précis de l’histoire, nous fûmes interrompus. L’un des trois membres de l’équipage émergeant de l’escalier en colimaçon et annonçant : « Tout est paré, Georges. Miles dit que nous pouvons partir. »

« Attache-toi bien » me recommanda Georges, et il appuya sur le bouton qui enclenchait les ceintures de sécurité. Tout en fredonnant un petit air, il bascula un levier d’un geste négligent et annonça : « Dix secondes. Attention à vos estomacs ! »

Dix secondes plus tard, nous commençâmes lentement à tomber dans le tube ; bientôt, nous sortîmes du Vaisseau. C’était la première fois que je le quittais. Même aux pires jours, Géo c’était quand même « chez nous » et pas « là-bas ». Avant que nous ne sortions du tube, le dôme était devenu opaque et des lumières s’étaient allumées. La transition entre la gravité artificielle du Vaisseau et celle non moins artificielle de la vedette se fit sans vertige ni nausée – la mise en garde de Georges avait donc été superflue. Il était évident que quels que pussent être ses défauts par ailleurs, cette créature était un pilote à peu près convenable.

Je ne savais toujours pas que penser de lui. Je n’ai pas des contacts faciles, car il faut d’abord que je m’habitue aux gens. En attendant, conte pour bébé ou pas, j’aurais aimé qu’il continue son histoire, parce que cela détournait mon esprit de Grainau et de ce qui m’y attendait.

Il s’affaira un moment à son tableau de bord, puis annonça : « Bon ! Comme ça, on devait être tranquilles pour un moment ! Où en étais-je ? »

— « À l’ogre et au trésor. »

— « Ah oui ! » dit-il, et il continua :

« Eh bien, dès le lendemain matin, lorsque le soleil eut un peu réchauffé l’atmosphère, les deux jeunes hommes se mirent en route. Faisant comme toujours preuve d’intelligence, Sam avait rempli un sac à dos de vivres et de fournitures diverses et avait passé un grand sabre à sa ceinture. Ned n’emporta rien – trop lourd, vous comprenez. Coiffant sa casquette rouge, il partit en sifflotant, les mains dans les poches. Tous les habitants du royaume s’étaient réunis pour les regarder partir. Ils les encouragèrent de la voix et leur firent de grands gestes d’adieux jusqu’à ce qu’ils eussent disparu au premier tournant de la route, puis, étant gens de bon sens, rentrèrent tous chez eux pour prendre leur petit déjeuner.

» Sam était si lourdement chargé que son cher frère eut vite fait de le distancer ; il disparut au loin, et bientôt son sifflement devint inaudible. Cela n’ennuya pas outre mesure Malin Sam, parce qu’il savait que sa prévoyance et ses préparatifs finiraient par compenser largement la rapidité de son frère. Quand il commencerait à avoir faim, cela ralentirait certainement son allure.

» Mais Sam marcha longtemps, jour et nuit, sans jamais rencontrer son frère. Puis, au détour d’un chemin, il tomba nez à nez avec l’homme le plus maigre, le plus décharné qu’il eût jamais vu, assis à côté d’un tas d’ossements de bêtes.

« Bonjour, » lui dit Sam. « Je cherche un ogre qui vit dans une caverne et possède un trésor. Savez-vous où je pourrais le trouver ? »

» À cette question, l’homme se mit à pleurer. Sam lui demanda quelle était la raison de son chagrin, car, revêche ou pas, il détestait voir quelqu’un pleurer.

« Il y a un jour, ou peut-être deux, » commença l’homme, « un jeune garçon qui passait m’a posé exactement la même question. Ça ne m’a rien apporté d’autre que des ennuis. J’avais un troupeau de moutons – de belles bêtes, par ma foi – et j’en rôtissais juste un pour le dîner lorsqu’il arriva. C’était un garçon si gentil et si charmant que je l’invitai à partager mon dîner. Quand nous eûmes mangé la première bête, il avait encore faim, et j’en tuais une autre, puis encore une autre… Il était si amical, si poli, si reconnaissant, que je ne me rendis même pas compte qu’il avait mangé le troupeau entier, jusqu’à la dernière bête. Il ne me reste plus rien. Et maintenant, c’est à mon tour d’avoir faim. »

— « Si vous me dites où habite cet ogre, » dit Sam, « je vous donnerai une partie de mes vivres. »

— « Donnez-moi à manger, » répondit l’homme, « et je vous dirai exactement ce que j’ai dit à cet autre garçon. »

» Sam lui donna donc à manger. Lorsqu’il eut calmé sa faim, l’homme lui dit : « La réponse est que je n’en sais absolument rien. Je n’ai rien à voir avec les ogres. Je ne me mêle pas de ce qui ne me regarde pas ! »

» Sam se mit en route, allégé d’une partie de ce qu’il portait. Il marcha longtemps, jour et nuit, sans jamais rencontrer son frère. Puis il arriva à un petit château où vivait une princesse – enfin… ce n’était peut-être pas vraiment une princesse, mais, comme elle vivait seule dans le château, il n’y avait personne pour prétendre le contraire. C’est ainsi que l’on fonde les dynasties royales.