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« Mince ! » s’exclama l’ogre. « Je l’avais sur le bout de la langue ! »

« Il y a également une moralité, » dit Georges. « Ma mère me l’a dite et je vais t’en faire part : Si tu es malin et que tu te sers de ta cervelle, tu t’en tireras toujours. N’oublie pas cela, et tout ira bien. »

Peu après, nous entrâmes dans l’atmosphère de Grainau. Georges était occupé avec ses boutons. Comme il avait apparemment de bonnes intentions, j’étais encline à être un peu plus amicale à son égard.

J’avais entendu dire que l’entrée dans l’atmosphère d’une planète était une manœuvre délicate, mais Georges ne semblait pas particulièrement inquiet. Le problème principal était le même qu’au départ : trouver l’équilibre entre les deux champs de gravité pour que les passagers ne se trouvent pas soudain plaqués contre le sol ou flottants en apesanteur. De plus, il devait nous déposer en un point précis de cette planète. Je me demande comment il s’y prenait. Apparemment, ses instruments lui indiquaient notre position. Les cadrans et les clignotants m’étaient absolument incompréhensibles, mais, faisant preuve d’un mystérieux don des langues, il comprenait ce qu’ils lui disaient. Il alluma les écrans, mais on n’y voyait qu’une masse grisâtre et mouvementée. Soudain, sans que Georges eût fait quoi que ce soit, le dôme devint progressivement translucide, puis transparent, et, tout aussi progressivement, les lampes s’éteignirent.

Pendant que nous descendions, je commençai à sentir la curiosité me gagner et, peu à peu, mon appréhension me quitta. Je me dépêtrai de ma ceinture de sécurité et regardai au-dehors. Ce que je vis n’était guère réconfortant : de tous côtés s’étendait une mouvante masse d’un gris blanchâtre, d’aspect doux et élastique, uniformément éclairée par un soleil orange vif qui était très bas devant nous et s’élevait progressivement. C’était la première fois que je voyais un soleil de près, et je dois dire que je n’aimais pas particulièrement la vive lumière qu’il répandait. La polarisation automatique du dôme réduisait certes la férocité de ses rayons, de sorte qu’il était tolérable de regarder le disque orange, mais néanmoins sa lumière ne me disait rien de bon. Les écrans montraient la même blancheur amorphe et mouvante.

« Mais…» dis-je, « ce n’est pas comme ça, une planète ! » Georges éclata de rire. « Ce sont les nuages. La planète est cachée en dessous. C’est comme la couche de sucre qui recouvre un gâteau. »

Il avança la main vers le levier qu’il avait basculé juste avant le départ et fronça les sourcils en voyant qu’il était resté branché. D’une voix calme, il annonça aux passagers : « Nous nous posons dans dix minutes environ, » puis, d’une pichenette, il fit basculer l’interrupteur.

« Je descends, » dis-je en me levant.

— « D’accord, » dit Georges. « À tout à l’heure. »

Il retourna à ses instruments ; soudain, nous pénétrâmes dans les nuages, et la masse grise et informe nous entoura de tous côtés ; on avait l’impression d’étouffer. Les lampes se rallumèrent, cela faisait plus gai que cette froide grisaille. Brrr ! être perdu là-dedans !… cela m’en donnait des frissons dans le dos. J’en avais assez vu. Je descendis l’escalier ; arrivé dans la cabine chaude et accueillante, je cherchai papa. Il était assis à l’écart, dans un confortable fauteuil de la section centrale. M. Tubman, son assistant, regardait un employé seller les chevaux. Des hommes s’affairaient de tous côtés, à toutes ces petites tâches que l’on fait toujours à la dernière minute, juste avant qu’il ne soit trop tard. Papa, lui, lisait calmement un livre. C’était typique : papa ne s’affole jamais.

Je m’assis à côté de lui dans un profond fauteuil marron, et j’attendis qu’il leva la tête :

« Tiens, Mia ? Nous allons arriver très bientôt. Ça va ? »

— « À peu près. » En fait, j’avais le trac.

— « Bien, bien. Et comment t’entends-tu avec Georges ? »

— « À peu près, » dis-je, en haussant les épaules.

— « Je lui ai demandé de s’occuper un peu de toi pendant que je serai en conférence. Il te fera visiter la ville. Il est déjà venu ici. »

— « Tu seras occupé toute la journée ? »

— « C’est probable. Si j’ai fini avant la nuit, je vous rejoindrai. »

Il fallut bien que je me contente de cela. Quelques instants plus tard, nous nous posâmes en douceur. La gravité de Grainau est plus forte que celle du Vaisseau. En me levant, je sentis immédiatement l’effort supplémentaire imposé à mes pieds et à mes cuisses. Encore une chose à laquelle j’allais devoir m’habituer.

Georges descendit de son dôme et vint vers nous. Papa se leva : « Alors, Georges, prêt à prendre la relève ? » Il parlait de moi, bien sûr.

Du haut de ses deux mètres, Georges acquiesça du chef.

« C’était une très jolie histoire, Georges, » continua papa. « Je ne vous connaissais pas ce talent. »

— « Quelle histoire ? » demandai-je.

— « Celle que Georges t’a racontée pendant le vol. Les haut-parleurs étaient restés branchés. »

Georges sourit.

— « En effet, je m’en suis aperçu il y a quelques minutes. »

— « Une très belle histoire, » dit papa.

— « Oh ! pas tellement ! » dis-je en rougissant, vivement embarrassée.

Écouter un conte de fées à mon âge, passe encore, mais que tout le monde soit au courant… c’était on ne peut plus gênant.

Je lançai un regard accusateur à Georges, puis me précipitai vers les toilettes pour me cacher. Mais papa m’avait poursuivie, et il me rattrapa juste avant la porte. Me prenant par le bras, il me força à m’immobiliser.

« Allons, Mia…»

Je me débattis pour me libérer.

— « Laisse-moi ! »

— « Tu ne vas pas me faire une scène ! »

— « Laisse-moi ! Je ne veux pas rester ici ! »

— « Calme-toi ! » Son ton était devenu autoritaire. « Je suis désolé d’avoir commis l’erreur de te le dire. Georges n’avait pas fait exprès de laisser les haut-parleurs branchés. De toute façon, j’ai pris beaucoup de plaisir à écouter son histoire, et je suis au moins six fois plus âgé que toi. »

— « Ce n’est pas la même chose, » dis-je.

— « Peut-être, peut-être. Mais, pour le moment, cela n’a aucune importance. Il est temps de sortir. Je veux que tu te maîtrises et que tu sortes avec moi. Lorsque nous serons face à ces colons, je veux pouvoir être fier de toi. Tu ne voudrais quand même pas leur faire mauvaise impression, Mia ? »

Je secouai la tête.

« Bien, » dit-il en me lâchant. « Reprends-toi en main. »

Le dos tourné, je fis de mon mieux pour me maîtriser. Lorsque je fus prête, je lissai mon corsage, remontai mon short, et leur fis face.

Du côté opposé à celui où nous nous trouvions, la rampe avait été abaissée, et j’entendais des bruits venir du dehors. Des gens qui criaient.

« Allons, viens, » me dit papa.

Nous traversâmes la cabine circulaire ; en passant devant Georges, qui n’avait pas bougé depuis tout à l’heure, je lui lançai un regard hostile ; mais il ne parut même pas s’en apercevoir, et il nous emboîta le pas.

Nous nous arrêtâmes un moment en haut de la rampe. Comme s’ils n’avaient attendu que ce signal, une fanfare se mit à jouer, et les cris redoublèrent.