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Helga avait ramené la voile et le Guacamole se balançait au gré des vagues. « Tu as besoin d’aide ? » me cria-t-elle.

— « Non, je peux nager, » lui répondis-je. De toute façon, je n’étais pas loin du quai.

Mes vêtements étaient légers ; seules mes manches me gênaient, mais pas trop. Je n’avais jamais nagé que dans une piscine, mais je m’aperçus que ce n’était pas vraiment difficile de rester au sommet des vagues. Il suffit de faire attention à ne pas avaler d’eau. Je n’ai jamais été une bonne nageuse, mais comme l’eau me portait bien, avec un peu de persévérance je pouvais arriver où je voulais, et comme ce n’était réellement pas loin, je sortis de l’eau en m’agrippant à l’échelle juste quand ils eurent fini d’attacher le Guacamole. Je montai jusque sur le quai ; arrivée en haut, je m’aperçus que j’étais épuisée et m’écroulai sur les planches, tas humide laissant ruisseler de l’eau de tous côtés. À dix mètres au-dessous de moi, je pouvais voir Ralph et Helga attacher la voile au mât et fixer le bout-dehors.

Quand ils eurent terminé, je me relevai et avançai péniblement vers le haut de l’échelle. La gravité m’avait pris toute mon énergie. Ralph commença à monter vers moi, en me souriant pour se faire pardonner. Lorsqu’il s’apprêta à prendre pied sur le quai, je saisis le haut de l’échelle des deux mains, plantai ma sandale sur son ventre et poussai de toutes mes forces.

Il se tenait fort, pourtant, mais je l’avais pris à un moment où il était en déséquilibre ; il lâcha prise, agita vainement les bras, puis tomba. Il se tortilla pour guider sa chute et, réussissant à la transformer en un vrai plongeon, fendit l’eau un peu en arrière du bateau. Je le regardai disparaître, puis émerger de l’eau. Ensuite, je me tournai vers Helga.

Elle secoua la tête, et me dit d’une voix qui tremblait légèrement : « Je n’ai rien fait ! »

Ralph s’agrippa à l’arrière du Guacamole et me regarda d’un air furieux. Il ne se tenait plus de rage.

— « On a passé des moments formidables ! » dis-je. « Il faudra vraiment que vous veniez sur le Vaisseau, comme ça je pourrai vous le faire visiter. »

Puis je m’en allai, laissant une traînée d’eau derrière moi. Je rejetai en arrière mes cheveux trempés, tordis mes manches pour ôter le plus d’eau possible et me secouai pour me sécher un peu. Puis je m’engageai dans la ville, sans regarder une seule fois en arrière. Ils n’avaient qu’à se débrouiller tout seuls.

Je pris la rue par laquelle nous étions arrivés. De temps en temps, un passant me regardait curieusement ; il faut dire que je devais présenter un étrange spectacle. Je ne savais pas exactement où j’étais, ni comment je ferais pour trouver la vedette, mais je dois dire que cela ne m’inquiétait nullement. Grainau avait perdu le pouvoir de me faire peur.

La suite prouva que cela n’avait d’ailleurs aucune importance. Je n’étais pas encore arrivée au sommet de la rue que je vis arriver sur moi ce monstre, ce dinosaure de Georges Fuhonin. Il me cherchait, bien sûr et, croyez-le ou pas, je fus heureuse de le voir.

— « Que vous est-il arrivé ? »

Je n’étais plus ruisselante d’eau, mais tout de même encore fort trempée. Je devais ressembler à un chaton à demi noyé que l’on avait retiré de l’eau.

— « Nous sommes allés nager, » répondis-je.

— « Ah ! Retournons vite à la vedette, vous pourrez vous y sécher un peu. »

Nous nous mîmes en marche. Je m’efforçai de me maintenir à son côté, malgré ses enjambées de géant. Après quelques minutes de silence, il me demanda : « Vous savez… Je n’avais réellement pas l’intention de vous embarrasser. Je ne l’avais pas fait exprès. »

— « N’en parlons plus. Mais, la prochaine fois, assurez-vous que les haut-parleurs ne sont pas branchés. »

— « D’accord, » promit-il.

Arrivée dans la vedette, j’allai aux toilettes et me mis sous l’air chaud du sèche-mains. Au bout d’une minute, j’étais présentable.

Puis je m’aperçus que, malgré toutes les mésaventures qu’il avait subies, mon estomac réclamait de la nourriture. Après avoir mangé de bon cœur, je me sentis nettement mieux. Rien de tel que d’avoir l’estomac bien rempli.

Dehors, la nuit tombait presque lorsque papa revint, alors que, d’après l’heure de la vedette, ce n’était encore que le milieu de l’après-midi. Avec la tombée de la nuit, la foule des curieux s’était dispersée – sans doute étaient-ils rentrés chez eux pour dîner. Cette fois, il n’y eut ni fanfare ni acclamations.

En entendant les chevaux, je sortis sur la rampe. Un des hommes d’équipage descendit rejoindre papa et M. Tubman. Après lui avoir tendu les rênes de leurs montures, ils se tournèrent vers M. Gennaro, qui était venu les accompagner. Ils ne m’avaient pas vue.

D’une voix fort anxieuse, M. Gennaro dit « Vous êtes certain que cette malheureuse affaire ne changera rien à ce que nous avions conclu ? »

— « Absolument rien, » dit papa en souriant. « Vous m’avez présenté des excuses, et je suis certain que ma fille a eu ample réparation en poussant votre fils dans l’eau. Considérons que c’est une affaire classée. Nous viendrons chercher le minerai la semaine prochaine, comme convenu…»

Je n’écoutai pas la suite. Je rentrai dans la vedette, sentant une agréable chaleur m’envahir. Papa n’était pas fâché.

« Pourquoi souriez-vous comme ça ? » me demanda Georges.

— « Oh ! ce n’est rien ! » dis-je.

DEUXIÈME PARTIE

Mon univers

7

Nous décollâmes peu après l’arrivée de papa. Il s’était installé avec M. Tubman dans les confortables fauteuils du salon circulaire. Les trois membres de l’équipage jouaient aux cartes un peu à l’écart, et Georges Fuhonin pilotait.

J’étais assez contente de moi. Vue sous un certain angle, mon équipée sur Grainau n’avait été qu’une succession d’erreurs, mais je ne voyais pas du tout les choses sous cet angle-là ; tout au plus me rendais-je vaguement compte que j’avais commis certaines fautes de tact et de bon sens. Cela ne m’importait pas. Même maintenant, je dirais que, objectivement, ce n’était pas important.

Je pense que ma joie était parfaitement justifiée. J’avais fait la découverte extraordinaire que j’étais capable de me mesurer aux bouseux – sans en sortir vainqueur, peut-être, mais en tout cas en faisant match nul.

Comme la fille qui inventa le feu, comme la fille qui inventa le principe du levier, comme la fille qui eut la première le courage de manger du fromage moisi et inventa le roquefort, j’avais découvert une chose absolument neuve. La confiance en soi, sans doute.

Mes erreurs faisaient partie du passé – ma confiance venait à peine de naître. Si papa m’avait fait remarquer ces erreurs, elles n’auraient pas été réparées pour autant, mais ma confiance toute neuve n’y aurait sans doute pas résisté. Mais papa ne me dit rien. Il se contenta de fumer en souriant.