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Il y a une nouvelle classe tous les trois ou quatre mois ; comme la dernière avait été en mars, cette note ne m’avait pas surprise. Comme Jimmy était lui aussi né en novembre, il devait en principe faire partie de la même classe que moi. Pour parler franchement, je ne voulais pas arriver seule vendredi.

« Je n’étais pas au courant, » dit Jimmy. « J’aurais dû en recevoir une aussi. Quand est-elle arrivée ? »

— « Hier. Je pensais que tu m’appellerais ce matin. »

— « Attends-moi un moment, je vais aller vérifier. » Il partit à la recherche de la “mère” et revint au bout de quelques minutes en tenant sa convocation à la main. « Elle était là, mais je n’avais pas regardé dans mon casier, et on avait oublié de me prévenir. »

Cela m’irritait toujours chez Jimmy, mais il s’y mêlait une certaine admiration de ma part, à moins que ce ne fût de la stupéfaction. Deux fois, au moins, je lui avais laissé un message, et il ne l’avait jamais reçu parce qu’il ne regardait jamais s’il y en avait. Cela m’irrite, mais en même temps j’envie ce manque de curiosité, ou d’anxiété. Jimmy dit simplement qu’il a trop de choses à faire pour s’occuper de ce genre de détails.

Jimmy accepta volontiers de venir avec moi vendredi. À cette époque, nous n’étions pas encore de vrais amis, il y avait même un certain antagonisme entre nous. Mais nous nous connaissions et nous avions M. Mbele en commun. Il paraissait sensé de faire face à la nouvelle situation ensemble.

Pendant que nous allions chez M. Mbele, je lui dis : « Tu te souviens de ce garçon et de sa sœur, dont j’ai parlé chez M. Mbele à mon retour de Grainau ? »

— « Ceux qui avaient des idées bizarres sur notre façon de vivre ? »

— « Oui. L’un d’eux disait que nous vivions nus tout le temps. Je me demande ce qu’il aurait pensé s’il t’avait vu à la vidéo ? »

— « Sans doute aurait-il eu raison. »

— « Sans doute, mais il n’avait pas raison. »

— « Je me le demande. J’étais nu. »

— « Bien sûr, mais tu étais chez toi. Mais aussi je me mets nue à la maison. Il s’imaginait que nous ne portons jamais de vêtements. »

— « Je me demande d’ailleurs pourquoi nous le faisons, » dit Jimmy avec un large sourire en commençant à ôter sa chemise. « Je ne vois pas ce qu’il y a de mal. »

— « Ne sois pas pervers, » dis-je.

— « Depuis quand la nudité est-elle perverse ? »

— « Je parlais de ton esprit de contradiction. Vas-tu te mettre à manger de la saleté simplement parce qu’ils pensent que nous le faisons ? Je n’aurais pas dû en parler. Le rapprochement m’a paru cocasse, voilà tout. »

— « Cocasse, » rectifia-t-il, remettant l’accentuation syllabique à sa place. Voilà ce qui arrive quand on utilise des mots que l’on a lus mais que l’on n’a jamais entendu prononcer. De plus, il ne faut pas parler de n’importe quoi à n’importe qui. Juste après mon retour de Grainau, j’avais commis l’erreur de dire ce que je pensais réellement des “bouseux” devant Jimmy et M. Mbele.

« Ils puent réellement ? » m’avait demandé ce dernier.

Jimmy et moi étions installés sur le divan, dans l’appartement de M. Mbele. Sur mon carnet, j’avais pris des notes sur mes lectures, sur des questions que je désirais poser, ainsi que quelques titres de livres que M. Mbele m’avait suggérés. Me rendant compte que j’avais avancé une chose que je ne pouvais défendre, je fis marche arrière : « Je ne sais pas s’ils puent vraiment, mais tout le monde le dit. Je voulais simplement dire que ce que j’en avais vu ne m’avait pas particulièrement plu. »

— « Pourquoi ? » demanda Jimmy.

— « Est-ce une question sérieuse, ou bien est-ce simplement pour me faire parler ? »

« Cela m’intéresse aussi, » intervint M. Bbele.

Dans son cas, j’étais certaine que la question était sérieuse. Il ne prend jamais le parti de l’un de nous contre l’autre.

« Je ne sais pas très bien, » dis-je. « Nous ne nous entendions pas. Existe-t-il une meilleure raison ? »

— « Il en faudrait certainement une, » dit Jimmy.

— « Si tu crois cela, donne-moi donc une bonne raison pour expliquer ton antagonisme systématique. »

Jimmy, l’air gêné, haussa imperceptiblement les épaules.

« Tu n’en as pas, » poursuivis-je. « J’ai simplement fait une remarque qui ne te plaisait pas. Eh bien, moi, les bouseux ne m’ont pas plu, et si ça me plaît de dire qu’ils puent, j’en ai parfaitement le droit. »

— « Sans doute, » dit Jimmy.

— « Hum ! Et si cela n’était pas vrai ? Et si ce que vous disiez faisait du tort à ceux dont vous parlez, si ce n’était qu’une façon de vous grandir à leurs dépens ? » remarqua M. Mbele.

— « Je n’en sais rien. »

— « Ce ne serait en tout cas pas de bonne politique, vous êtes d’accord ? »

— « Sans doute pas. »

— « En tout cas, mon opinion personnelle est que le fait d’affirmer que les colons puent est simplement un mythe destiné à justifier nos actions et notre prétendue “supériorité” morale. Ce que vous avez dit risque de m’empêcher d’écouter vos autres arguments, même s’ils sont justifiés. »

« J’ai l’impression que l’on n’a pas besoin de justifier ce que l’on pense des gens, intervint Jimmy, mais seulement ce que l’on dit d’eux. Ne pas aimer quelqu’un, même si c’est pour de mauvaises raisons, c’est admis – mais pas de l’insulter. »

— « Cela me paraît exagérément simplifié, » dit M. Mbele.

Je profitai de la diversion : « Et les gens que l’on devrait aimer, mais que l’on n’aime pas ? Et ceux que l’on ne devrait pas aimer, mais que l’on aime quand même ? »

— « Oui, que signifie tout cela ? » demanda Jimmy.

— « Eh bien… suppose que toi et moi soyons d’accord sur tout : je te respecte, tu ne m’as jamais rien fait, et, pourtant, je ne peux pas te sentir. Ou bien le contraire : quelqu’un que je devrais détester, le salaud parfait, un type prêt à tout si ça l’avantage, et, pourtant, il me plaît. Peut-on séparer la sympathie ou l’antipathie de ce qu’une personne est ou fait ? »

M. Mbele sourit, comme si cette conversation l’amusait. « Eh bien les séparez-vous ? »

— « Je crois, oui, » dis-je.

— « Et toi, Jimmy ? »

Il ne répondit pas tout de suite, mais je savais ce qu’il allait dire, car j’avais trouvé la réponse avant lui. Nous les séparons tous, sans quoi il n’existerait pas de salauds si charmants que tout le monde les accepte.

— « Je crois que oui, moi aussi, » finit par dire Jimmy.

— « Mais… devrions-nous les séparer ? » dis-je.

— « La vraie question n’est-elle pas plutôt : est-ce que cela changerait quelque chose si nous ne le faisions pas ? »

— « Vous voulez dire que c’est plus fort que nous ? »

— « Non, » dit M. Mbele. « Mais nos émotions, nos sentiments, influent-ils sur notre jugement ? »

— « Comme pour Alicia MacReady ? » dit Jimmy. « Il paraît que tout le monde l’aime. Cela pèsera-t-il sur la décision de l’Assemblée ? »