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Alicia MacReady était la femme qui avait conçu un bébé sans autorisation. Son cas avait été porté devant le Conseil, mais, avant qu’il n’ait pu prendre de décision, elle avait opté pour un jugement rendu par l’Assemblée, pensant qu’ainsi la sentence serait plus clémente.

L’Assemblée est composée de tous les adultes du Vaisseau ; ils se réunissent dans le grand amphithéâtre du Deuxième Niveau et votent.

« Un très bon exemple, » coupa M. Mbele. « Il serait intéressant de savoir si cela jouera en sa faveur. Comme vous ne pouvez y assister, je vous conseillerais de suivre les débats à la vidéo, et, peut-être, pourrons-nous discuter de leur décision à notre prochaine rencontre. Mais tout ceci n’est qu’une partie d’un problème bien plus vaste : en quoi consiste un comportement juste ? C’est ce qu’on appelle l’éthique. Un ordinologiste… (un coup d’œil vers Jimmy) ou une synthétiste… (un coup d’œil vers moi) devraient être parfaitement familiarisés avec ces problèmes. Je vais vous donner quelques titres d’ouvrages à consulter. Prenez votre temps et, quand vous les aurez lus et que vous voudrez en discuter, dites-le-moi. »

Il alla vers sa bibliothèque et nous donna un certain nombre de titres et d’auteurs : les épicuriens et les utilitariens, les stoïques, les philosophes de la puissance et les humanistes de tous bords, sans parler de divers systèmes éthiques religieux. Si j’avais su que tout cela allait sortir de ma simple remarque emplie d’un honnête préjugé, je n’aurais certainement jamais ouvert la bouche. Peut-être y a-t-il une leçon dans tout cela – si oui, je ne l’ai jamais apprise. Je n’ai jamais perdu l’habitude d’ouvrir la bouche quand il ne faut pas, ce qui m’attire un tas d’ennuis.

Je vis le docteur Jérôme le mercredi 1er juin. Aussi loin que je me souvienne, il m’a examinée une ou deux fois par an. Il est de taille moyenne, avec une certaine tendance à l’embonpoint, et, comme la plupart des docteurs, il porte la barbe. La sienne est noire. Quand j’étais petite, je lui avais demandé pourquoi il avait une barbe, et il m’avait répondu : « Pour me rassurer, ou bien pour rassurer mes patients. Je ne sais pas très bien. »

Tout en m’examinant, il parlait à mi-voix, très vite, comme il le fait toujours. Ses commentaires étaient destinés autant à lui-même qu’à moi. Que ce fût son intention ou non, l’effet était en tout cas de me mettre en confiance, comme on rassure une pouliche ombrageuse en l’encourageant de la voix. Cela faisait partie de l’attitude professionnelle du docteur Jérôme.

« Bien, bien ! Très bien ! En bonne forme ! Respire à fond. Expire. Bien ! Hmmm, hmmm ! Oui, c’est bien ! » Évidemment, il ne faut pas toujours croire ce qu’un docteur vous dit ; cacher certaines choses fait partie de l’éthique professionnelle, mais je n’avais aucune raison de ne pas le croire lorsqu’il m’affirmait que j’étais en parfaite santé. Aucun traitement à suivre avant la classe de survie. Tout allait bien.

« Cela fait toujours plaisir de te voir, Mia. Si tout le monde était en aussi bonne santé que toi, j’aurais un peu plus de temps libre ! »

Il m’apprit aussi un autre fait fort intéressant. Après m’avoir pesée et mesurée, il dit :

« Tu as grandi de sept centimètres depuis la dernière visite. C’est très bien ! »

Sept centimètres. Était-ce la nature ? Était-ce papa ? En tout cas, cela faisait plaisir à entendre.

8

Jimmy et moi descendîmes de la navette à la porte 5 du Troisième Niveau. C’était là que notre groupe devait se retrouver à deux heures. Nous étions dix minutes en avance. La navette repartit, répondant à un appel venu d’un autre niveau, comme le ferait un ascenseur. À la ligne de séparation des niveaux, à quelques mètres de nous, plusieurs voitures inoccupées attendaient un appel.

On sortait de la station par une double porte au-dessus de laquelle on pouvait lire : ENTRÉE PORTE 5 – TROISIÈME NIVEAU – PARC. De l’autre côté, je pouvais voir de la lumière, de l’herbe, de la terre, et un certain nombre d’enfants de mon âge.

« Ils sont là-bas » » dit Jimmy.

Le Troisième Niveau est divisé en trois zones bien distinctes. Il y a d’abord la zone mise en culture, produisant des végétaux comestibles, de l’oxygène et du fourrage pour le bétail. Le bœuf est notre seule viande sur pied ; les autres proviennent de cultures en cuves, qui se trouvent également au Troisième Niveau. La deuxième zone constitue le parc. Il y a des arbres, un lac, des fleurs, des prairies, des endroits réservés pour pique-niquer et des allées pour marcher ou faire du cheval. C’est en quelque sorte une planète idéalisée. La dernière zone est une région sauvage qui ressemble beaucoup aux parcs mais est plus dangereuse. À en croire la carte, on y trouve des animaux sauvages. Le relief y est plus accentué et la végétation n’y est pas disciplinée. Elle sert à la chasse, à l’aventure et à l’entraînement des futurs adultes avant l’Épreuve. Je n’y étais encore jamais allée. Je ne connais que le parc et l’agro.

« Allons-y ! » dis-je à Jimmy.

Nous franchîmes les portes, puis nous passâmes par une sorte de petit tunnel de trois à quatre mètres de long. Une cloison transparente se dilata et nous admit dans le parc. Il y avait des arbres et des écuries, un corral aménagé entre les arbres et un bâtiment à cloisons ajourées, surmonté d’une toiture soutenue par des piliers, agencé en douches et en placards de rangement.

Ce n’est qu’au Troisième Niveau que l’on se rend compte des dimensions du Vaisseau. Partout ailleurs, des murs bouchent la vue. Ici, on voit à des kilomètres, littéralement jusqu’au point où la courbure du Vaisseau rencontre le sol. Le “toit” domine à une bonne centaine de mètres, et il faut une vue perçante pour distinguer les orifices d’arrosage et autres détails.

Derrière nous, le tube noir de la navette montait vers le plafond, où il disparaissait. Le tube horizontal n’était pas visible, car il passait sous le sol.

Il n’était toujours pas l’heure, et les gosses en profitaient pour regarder les chevaux qui se trouvaient dans le corral. Je reconnus Venie Morlock parmi eux, ce qui ne me surprit pas, car elle était tout juste mon aînée d’un mois, et il y avait longtemps que je pensais que nous ferions partie du même groupe.

D’autres continuaient d’arriver par la navette. Jimmy et moi allâmes nous joindre à ceux qui regardaient les chevaux. J’aurais sans doute pu apprendre à monter à cheval quand j’étais petite, de même que j’avais appris à nager, mais, je ne sais trop pourquoi, je ne l’avais pas fait. Sans avoir vraiment peur des chevaux, je me méfiais d’eux. Ce n’était apparemment pas le cas de tout le monde ; à côté de moi, une fille passa le bras à travers la clôture et caressa une jument rouanne.

Un grand garçon aux épaules carrées la regarda en disant : « Dire que je déteste les enfants ! »

Un moment plus tard, un coup de sifflet strident retentit. Je regardai ma montre et je vis qu’il était deux heures précises. Deux hommes s’étaient avancés sur le perron du bâtiment des douches. L’un d’eux avait un sifflet. Il était jeune, dans les quarante-cinq ans, et sa peau était lisse. Il paraissait assez autoritaire.

« Venez, » dit-il avec un geste impatient. « Rassemblez-vous par ici. »

Il était de taille moyenne, avait des cheveux noirs et tenait une liste à la main. Je ne sais pourquoi, mais cela lui allait comme un gant d’avoir une liste à la main. Il y a des gens qui ne sont heureux que lorsqu’ils ont prévu toute leur vie à l’avance et n’ont plus qu’à cocher leurs actions sur une liste.