Nous nous rassemblâmes autour de lui et il fit bruire son papier. L’autre homme semblait beaucoup plus calme ; il était également de taille moyenne, mais plus mince, plus âgé, nettement plus ridé et habillé avec moins de recherche.
« Répondez à l’appel de votre nom, » dit le plus jeune.
Il commença par Allen, Anderrson, Briney, Robert (le garçon qui n’aimait pas les enfants), puis termina par Wilson, You et Yung. Il y avait environ trente noms en tout sur sa liste.
« Il en manque deux, » dit-il à son compagnon lorsqu’il eut tout coché. « Envoyez-leur une seconde convocation. »
Puis il se tourna vers nous :
« Mon nom est Fosnight. Je coordonne tous les programmes de l’Épreuve et de la pré-Épreuve, ce qui inclut les classes de survie. Il y a actuellement six classes en cours, celle-ci comprise, qui se rencontrent en divers points du Troisième Niveau. Votre classe se réunira régulièrement ici-même, porte 5, tous les lundis, mercredis et vendredis à 12 h 30. Si ces heures ne coïncident pas avec votre programme scolaire ou vos cours particuliers, c’est à vous de trouver une solution, soit, peut-être, en changeant vos autres horaires afin que vous soyez libres pour ceux-ci, ou bien rater l’un ou l’autre. C’est à vous de décider, mais je vous garantis que vos chances de revenir vivants de l’Épreuve seront infiniment meilleures si vous assistez régulièrement à votre classe de survie. Votre groupe est relativement peu nombreux, et vous devriez obtenir de bons résultats. Vous avez la chance d’avoir M. Maréchal pour vous guider, c’est l’un de nos six meilleurs instructeurs. » Il sourit de sa petite plaisanterie.
M. Fosnight était sec et méthodique, exactement comme s’il cochait chaque point d’une liste mentale. Il se tourna vers M. Maréchal et lui tendit le sifflet. « Sifflet, » dit-il. Puis il lui tendit la liste, disant : « Liste. » Ensuite, il se tourna vers nous : « Vous avez des questions ? »
Tout cela avait été si imprévu que nous en avions le souffle coupé. Personne n’ouvrit la bouche.
« Parfait ! » dit-il. « Au revoir ! »
Et, apparemment satisfait d’être parvenu au terme de sa liste, il s’en alla d’un pas martial.
M. Maréchal regarda le sifflet, puis M. Fosnight, qui marchait vers la station, puis de nouveau le sifflet, qui ne lui plaisait visiblement pas. Il finit par le mettre dans sa poche. Ensuite, il plia la liste et la mit également dans sa poche. Cela fait, il nous regarda un à un, lentement, comme pour nous jauger. Nous le regardâmes également, mais pas pour le jauger. Ce n’est généralement pas admis dans les relations entre enfants et adultes. On suppose, à priori, que l’adulte connaît son affaire ; si, par la suite, on s’aperçoit qu’il n’est pas compétent, cela risque de mal tourner. Mais, au début, on lui accorde le bénéfice du doute. Il faut quand même dire que, apparemment, M. Maréchal n’en imposait guère.
« M. Fosnight a omis d’ajouter une chose qu’il dit habituellement, » commença-t-il. « Je m’en souviens à peu près et je vais vous la dire à sa place. L’Épreuve a également un nom anthropologique ; on l’appelle parfois “Rite de passage”. C’est une façon cérémonielle de passer d’un stade de la vie à un autre. Toutes les sociétés en ont. Il ne faut pas oublier que cela donne une importance particulière au fait de devenir adulte ; quand vous revenez de l’Épreuve, vous avez gagné le droit de devenir un adulte. Croyez-moi, l’Épreuve mérite tous vos efforts. »
Il s’arrêta et regarda vers sa droite. Nous suivîmes tous son regard. M. Fosnight revenait. M. Maréchal lui lança un regard interrogateur : « Rite de passage ? »
M. Fosnight inclina la tête. « Ne vous inquiétez pas, je viens de le dire pour vous. »
— « Oh ! » fit M. Fosnight. « Merci ! »
Sur ce, il retourna vers la station.
Son attitude avait été tellement irrationnelle que, dès qu’il fut hors de vue, nous éclatâmes tous de rire. M. Maréchal ne réagit pas pendant un moment, puis dit : « Ça suffit, maintenant ! J’ai aussi deux ou trois choses à vous dire. Les moniteurs et moi-même ferons de notre mieux pour vous permettre de réussir l’Épreuve. Si vous faites quelques efforts, vous ne devriez pas avoir d’ennuis. D’accord ? Bien ! Pour commencer, je vais affecter à chacun de vous un cheval et vous apprendre les rudiments de l’équitation. »
M. Maréchal parlait lentement, et s’exprimait sans aucune affectation, mais il avait cette autorité qui retient l’attention. Sans consulter la liste, il appela nos noms en nous donnant au fur et à mesure le nom du cheval qui nous était affecté. Le mien s’appelait Nincompoop, ce qui fit rire les autres. Jimmy eut droit à Pet, un drôle de nom qui vient du français, et Venitia Morlock à Tuile. Lorsque Rachel Yung, qui était la dernière sur la liste, eut eu le sien, nous nous dirigeâmes vers le corral. M. Maréchal se percha sur la palissade.
« Maintenant, ces chevaux sont à vous. Ne faites pas de sentiment avec eux. Ils sont juste un moyen de se déplacer d’un lieu à un autre, exactement comme un hélipak, et vous vous entraînerez avec les deux. Mais il faudra prendre soin d’eux – surtout des chevaux. Un cheval est un animal, et il tombe facilement en panne si on ne s’occupe pas de lui. Un bon conseil : soignez-les. »
Un des gosses leva la main.
« Oui, Herskovitz ? »
Herskovitz était quelque peu surpris d’avoir été si vite reconnu.
« Si les chevaux sont embêtants, je voudrais bien savoir pourquoi on se donne la peine de nous apprendre à les monter ? »
Parlant plus lentement que jamais, M. Maréchal répondit :
« Eh bien, je pense que je pourrais te donner de bonnes raisons, mais, en fin de compte, ça se ramène à ce qu’on vous fait subir une épreuve. Cette épreuve suit certaines règles, et l’une d’elles est que vous devez savoir monter à cheval. Mais ne te fais pas de bile pour ça, fiston. Tu finiras peut-être même par aimer les chevaux. »
De son perchoir sur la palissade, M. Maréchal se laissa choir dans le corral.
« Bon. La première chose que je vais vous apprendre, c’est à mettre une selle sur votre monture. »
Un des garçons demanda : « Excusez-moi, mais je sais déjà monter à cheval. Est-ce qu’il faut que j’assiste à tout ça ? »
— « Tu n’y es pas obligé, Farmer. Tu peux t’en aller chaque fois que tu le voudras. Mais, je te préviens, ne pars que si tu es diantrement certain que tu sais tout ce que je vais vous montrer. De plus, si tu as raté un cours volontairement, que je sois damné si je le répéterai exprès pour toi. Si tu n’as vraiment pas pu venir, je me montrerai peut-être généreux, cela dépend de mon humeur. Mais si tu prends du retard par ta faute, il faudra que tu te débrouilles pour rattraper ce que tu as séché. »
Farmer répondit que, dans ce cas, il préférait rester.
M. Maréchal alla vers un des chevaux – la jument rouanne – et lui mit la bride, lentement, en nous montrant bien ce qu’il faisait. Puis, il mit une couverture et une selle à deux sous-ventrières.
Il retira le tout et recommença depuis le début.
« Bien, » dit-il. « À vous d’essayer, maintenant. Allez prendre votre équipement, puis revenez chercher vos montures. »
Il y eut une ruée vers le bâtiment, puis une nouvelle ruée vers les chevaux. Chacun s’efforçait de trouver le sien et de repérer un endroit propice pour le seller. Ninc, comme je décidai de l’appeler, n’était pas particulièrement grand, et marron – bai, comme ils disent. En fait, c’était plutôt un poney qu’un cheval. Il paraît que si un cheval a moins d’un mètre quarante à l’épaule c’est un poney. Cela semble arbitraire, mais c’est comme ça. Cela me plut ; un plus grand animal m’aurait effrayée. Je n’en aurais d’ailleurs guère eu le temps, car je me mis immédiatement au travail avec les autres. M. Maréchal, de nouveau perché sur la palissade, nous indiquait ce qu’il fallait faire.