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La première fois, ce fut raté. Je croyais que tout était en place mais, lorsque je m’éloignai pour admirer mon œuvre, la selle glissa – pas de beaucoup, certes, mais elle glissa.

Je défis la sous-ventrière – c’est la courroie qui passe sous le ventre du cheval – et recommençai.

M. Maréchal allait et venait entre les chevaux, inspectant ce que nous avions fait. Arrivé au mien, il me vit resserrant la sous-ventrière.

« Je vais te montrer quelque chose, » me dit-il. S’approchant de Ninc, il leva le genou et lui en donna un bon coup dans le ventre. Le cheval rejeta bruyamment de l’air, et M. Maréchal resserra la sangle d’un coup sec. Le cheval le regarda d’un œil réprobateur.

« Si tu n’y prends pas garde, celui-là se gonflera à chaque fois, » me dit-il. « Il faut que tu lui montres que tu es plus maligne que lui. »

Nous passâmes une bonne heure à seller et à desseller nos montures, puis M. Maréchal nous dit que c’était tout pour la première leçon. Sur le chemin du retour, je demandai à Jimmy ce qu’il en pensait. Dans la navette, il y en avait cinq ou six autres de notre groupe.

« J’aime bien Maréchal, » dit-il. « Je crois qu’il est O.K. » Une fille se mêla à la conversation : « Il ne tolère pas le désordre ni les bêtises. Ça me plaît. Cela signifie que nous n’allons pas perdre notre temps. »

Farmer, celui qui savait déjà monter, était là aussi. « Moi, j’ai perdu mon temps ; je savais déjà tout ce qu’il nous a montré aujourd’hui. Je trouve ça stupide ! »

— « C’est peut-être stupide pour toi, » dit Jimmy, « mais tous les autres, ou presque, ont appris quelque chose. Si tu sais tout, ne viens pas ! Il t’a dit que tu étais libre ! »

Farmer haussa les épaules.

— « C’est peut-être bien ce que je ferai. »

Dans la navette horizontale qui nous ramenait à Géo, je confiai à Jimmy que j’étais un peu désappointée.

« À propos de Maréchal ? »

— « Non, dans l’ensemble. Je m’attendais à autre chose. »

— « À quoi, plus précisément ? »

— « Tu trouves toujours moyen de me mettre au pied du mur, hein ? »

Il haussa les épaules.

— « J’aimerais simplement que tu t’expliques. »

— « Eh bien, gros malin, j’ai tout simplement trouvé que c’était… bien ordinaire, bien plat. Il doit y avoir un meilleur mot. Oui, ce n’était pas bien dramatique, ou romantique. »

— « Tu sais, la sixième est ennuyeuse, tout le monde le dit. Dans trois mois, quand nous aurons dépassé le stade élémentaire, cela deviendra plus passionnant. »

Je réfléchis un bon moment avant de répondre : « Non, je ne crois pas. Je parie que ça sera pareil à tous les niveaux. Prosaïque et ennuyeux. »

— « Tu ne vas pas bien ? »

— « Mais si. Seulement, je ne crois plus à l’aventure. »

— « Quand as-tu découvert cela ? »

— « À l’instant. »

— « Et tout ça parce qu’aujourd’hui ce n’était pas passionnant. Non, « romantique ». Et ce n’était pas une aventure que tu as vécue sur Grainau, hein ? »

— « Si tu crois que se faire pousser dans une grande mare d’eau sale est une aventure !…»

Je commençais à m’échauffer. « Tu en as déjà vécu, toi, des aventures ? »

— « Non, mais ça ne signifie pas que ça n’existe pas ! »

— « Tu en es sûr ? »

Jimmy secoua la tête.

— « Je me demande ce que tu as pour être d’une humeur pareille ! Tu parlais de pari. Eh bien, moi, je parie que je réussirai à vivre une aventure, une vraie. »

— « Et comment ça ? »

Il prit un air obstiné.

— « Je n’en sais rien. Mais je parie que j’y arriverai. »

— « D’accord, » dis-je. « Je tiens le pari. »

Comme toutes les réunions de masse, celle de l’Assemblée exige une certaine organisation matérielle, et quelqu’un doit veiller à ce que tout soit en ordre, à ce qu’il y ait assez de chaises, de microphones, etc. En principe, n’importe qui peut faire ce travail, mais, en fin de compte, la responsabilité en incombe à celui qui préside l’Assemblée, en l’occurrence papa. Et, comme c’était la première fois qu’il présidait, je pense qu’il tenait à ce que tout se passe bien.

Le soir où l’Assemblée devait se réunir pour considérer le cas d’Alicia MacReady, nous avions mangé tôt pour ne pas retarder papa. Zena Andrus était là aussi. Au fond, elle était assez sympathique ; elle avait parfois tendance à pleurnicher, mais il y a de pires défauts. Et puis elle était courageuse.

Nous avions terminé le plat principal lorsqu’on sonna. C’était M. Tubman.

« Vous m’aviez dit de venir à six heures et demie, » s’excusa-t-il en voyant que le repas n’était pas terminé.

— « Mais non, Henry, » dit papa. « C’est très bien, Mia. Tu sais où se trouve le dessert. N’oublie pas de nettoyer la table et de ranger les assiettes lorsque vous aurez fini. »

— « Inutile de me le dire. »

— « Désolé, mais, comme il n’y a pas si longtemps encore c’était nécessaire, la remarque ne me paraissait pas superflue. »

Comme dessert, il y avait des parfaits. Pendant que nous les mangions après le départ de papa, Zena me dit : « Pourquoi est-ce que l’Assemblée se réunit, au juste ? M’man et p’pa y vont, mais ils ne me l’ont pas dit. »

— « Tout le monde en parle, pourtant. Tu devrais être au courant. »

— « Tu sais, je ne m’intéresse guère aux assemblées, ni aux choses de ce genre, et je parie que tu ne le faisais pas davantage avant que ton papa devienne président. »

C’était en partie exact, mais quand même pas tout à fait. Je lui expliquai donc ce que je savais.

« Je ne vois pas pourquoi ils en font une telle histoire ! » dit Zena. « Ils pourront toujours se débarrasser du bébé ; elle n’aurait pas pu ravoir en cachette, hein ? Tout ça, c’est beaucoup de bruit pour rien ! »

— « C’est une question de principe. »

Zena haussa les épaules et attaqua son second parfait. Pour elle, les choses semblaient toujours beaucoup plus simples que pour moi.

« Tu ne peux pas cesser de faire ce bruit ? » me demanda Zena.

Le repas fini, nous étions allées dans ma chambre, et elle démontait systématiquement une de mes poupées. Elle était faite pour cela à vrai dire, mais il fallait être soigneux car elle était vieille et craquelée. C’était une poupée russe qui faisait déjà partie de la famille quand nous étions encore sur Terre. Elle était en bois, et démontable. À l’intérieur se trouvait une poupée plus petite, que l’on pouvait également démonter. Il y avait, ainsi, contenues les unes dans les autres, douze poupées en tout. C’est très joli, et on ne se fatigue jamais de jouer avec.

J’étais assise les jambes croisées sur mon lit, et je jouais, de la flûte à bec, un air très simple ; je n’avais pas encore assez de dextérité pour aborder des morceaux plus compliqués. À mon avis, ce que je faisais n’était pas tellement mauvais.

« L’homme qui n’a pas de musique en lui, » commençai-je, « et que la douce harmonie n’émeut point…» J’essayai de me souvenir de la suite. «… est fait pour la traîtrise et les stratagèmes, et… je ne sais plus quoi. »

— « On peut savoir ce que cela veut dire ? »