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— « Non, pas réellement, » répondit-il. « Beaucoup d’habitants du Vaisseau partagent le point de vue de ton père. C’est bien pourquoi il a été élu président. »

9

C’est sans doute un anachronisme de parler de saisons sur le Vaisseau, mais nous l’avons toujours fait. Par exemple, juillet, août et septembre constituent l’« été ». Cela ne me parut bizarre que lorsque, à quinze ou seize ans, j’étudiai les facteurs responsables du temps planétaire : un jour, je réfléchis réellement à la signification des termes dont nous nous servions quotidiennement. Il était évident qu’ils avaient perdu leurs connotations climatiques et ne désignaient plus que les divisions d’une année copiée sur l’année terrestre, ce qui est également un anachronisme, mais passons.

À l’époque, j’en parlai à un ami (comme il apparaîtra plusieurs fois dans ces pages, je ne mentionnerai pas son nom ; il a assez d’ennuis comme ça pour que je ne lui fasse pas une réputation de stupidité) : « Te rends-tu compte que le fait que nous nommions le mois d’octobre “automne” signifie que la majorité des habitants du Vaisseau sont originaires de la zone tempérée nord de la Terre ? »

— « Si tu veux t’en assurer, tu n’as qu’à consulter les listes des “passagers” primitifs à la bibliothèque. »

— « Mais tu ne trouves pas cela intéressant ? »

— « Non. »

Stupidité n’est peut-être pas le mot qui convient ; c’est peut-être simplement de l’esprit de contradiction.

En tout état de cause, l’été passa. Une période si fertile en événements que je ne sais plus dans quel ordre les présenter.

Pendant cet été, par exemple, j’eus mes premières règles. C’était important dans la mesure où cela prouvait que je grandissais, mais rien de plus. Et puis, il y avait les leçons de danse. Aussi curieux que cela puisse paraître, elles faisaient partie de nos cours de survie.

M. Maréchal nous dit : « Il ne s’agit pas d’une partie de plaisir, ne vous y trompez pas. C’est terriblement sérieux. Vous trébuchez sur vos propres pieds. Vous ne savez pas où mettre vos mains. Lorsqu’une situation exige que vous fassiez instantanément le geste précis, la souplesse et la rapidité des réflexes sont primordiales. Votre corps doit travailler pour vous, non contre vous. Crénom ! non seulement je vous donnerai des leçons de danse, mais je vous apprendrai à faire de la broderie au petit point ! »

M. Maréchal nous apprit effectivement la danse, la broderie, le combat à main nue et nous initia à l’emploi des armes. Il nous passa aussi des films où des gens sortaient des pistolets, les lâchaient soudain, ou bien tombaient de cheval (cela, je l’avais fait plusieurs fois), avaient une peur bleue. D’autres films étaient tournés sur un circuit d’obstacles où, par exemple, si l’on ne faisait pas attention, le sol se dérobait soudain sous vos pieds ; il fallait alors se rattraper à une corde ou, simplement, atterrir sans rien se casser. À la fin de l’été, lorsque nous passâmes de sixième en cinquième, nous abordâmes les trajets à obstacles eux-mêmes. Leur but principal n’était pas de nous enseigner une technique précise, mais de réagir positivement à des situations imprévues et difficiles.

En résumé, je m’étais trompée en pensant que la classe de survie serait ennuyeuse d’un bout à l’autre. C’était sérieux, parfois monotone, mais également intelligent et intéressant. Ce n’était pas, certes, une aventure – mais j’avais eu assez d’aventures récemment pour le regretter.

Je me fis également un tas de nouveaux amis, ce qui fait que je voyais de moins en moins des filles comme Zena Andrus. Je revis également une fois Mary Carpentier, mais nous n’avions pas grand-chose à nous dire.

Le plus important était que, parmi les trente et un membres de la classe, se formât un groupe central, un noyau de six garçons et filles. Ce n’était pas simplement de l’amitié, puisque certains de mes meilleurs amis n’en faisaient pas partie, alors que Venie Morlock, elle, y était. C’était simplement… le groupe. Ce qui nous rapprocha à l’origine fut une “non-aventure”. Sur l’incitation de Jimmy, j’emmenai quelques gosses au Sixième Niveau, et nous passâmes une journée à l’explorer. En dehors de moi, il y avait Venie et Jimmy, Helen Pak, Riggy Allen et Attilla Szabody. Attilla, Helen et, je pense Jimmy étaient vraiment mes amis. Riggy était un ami d’Attilla ; Helen et Riggy étaient attirés par Venie. Cela donnait une certaine cohésion au groupe et notre excursion au Sixième Niveau – une aventure pour certains d’entre nous et des heures amusantes pour moi – nous unit encore davantage. Nous restions généralement ensemble une ou deux heures après chaque classe, et nous nous rencontrions pendant le week-end. Quelques autres se joignaient parfois au groupe, mais pas de façon régulière.

Un jour, après la classe de survie, nous étions cinq au snack de la Maison Commune du quartier Lev, au Cinquième Niveau. Par la navette, c’était tout près de la porte 5, et cela constituait un lieu de rendez-vous idéal. Nous ne connaissions personne à Lev, mais nous nous y étions fait notre place et nous ne nous y sentions plus comme des intrus.

Celui qui manquait était Jimmy. Depuis une semaine, il disparaissait après la classe, marmonnant et ricanant dans sa barbe comme s’il avait je ne sais quels projets secrets, dont il ne soufflait mot mais qui le réjouissaient apparemment fort.

Nous étions assis à une table, devant quelques consommations – mais, avant tout, nous parlions. C’était notre table habituelle, une table rouge, dans le coin gauche de la zone des moins de quatorze ans.

Nous parlions d’un match de football qui devait avoir lieu le samedi matin dans le quartier Roth, où habitait Attilla, au Quatrième Niveau. Il fallait réunir un nombre de joueurs suffisant. Dans le temps, il m’aurait suffi de quelques appels à la vidéo pour en réunir autant que je le voulais ; les choses avaient bien changé. Tout en discutant, je griffonnai sur une feuille de papier, essayant de mettre au clair une petite idée que j’avais.

« Jimmy jouera ? » s’enquit Attilla.

C’était le plus grand et le plus fort d’entre nous, mais, en fait, un garçon très calme. Il parlait peu, mais écoutait attentivement, et, de temps en temps, nous étonnait par l’à-propos de ses commentaires. C’était d’autant plus surprenant qu’à le voir on ne l’aurait pas cru particulièrement intelligent ni cultivé.

« Mia pourra le lui demander, » suggéra Helen.

— « D’accord, » dis-je. « Je lui dirai de vous appeler. À moins qu’il ne soit occupé à je ne sais trop quoi, je pense qu’il aimerait jouer. C’est un bon demi. » Je me replongeai dans mon griffonnage.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Riggy en m’arrachant le papier.

Riggy est un garçon que je n’aime pas particulièrement ; je le trouve raseur et sans-gêne. Il fait toujours ce qui lui passe par la tête, que ce soit stupide ou non, même s’il doit le regretter après. Il lui manque ce que j’appelle une boussole intérieure. Il n’est pas maladroit, ni stupide, mais il n’a aucun sens des proportions.

« On peut savoir ce que c’est ? » demanda-t-il de nouveau en regardant la feuille de papier.

J’y avais dessiné de mon mieux, et non sans difficulté, une main tenant une flèche. Je dessine si mal qu’il avait fallu que je prenne ma main pour modèle tout le temps. Pour la flèche, je m’étais débrouillée tant bien que mal.

J’essayai de reprendre la feuille, mais Riggy fut plus rapide que moi et la mit hors de ma portée. « Hum, hum, » fit-il en la passant à Venie, qui la regarda en fronçant les sourcils.