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Lorsque j’avais vomi, Venie avait regardé par terre, puis m’avait dit : « Il faudra que tu nettoies ça, Moi, je m’y refuse ! »

Elle en avait apparemment assez de faire la sale besogne dans cette aventure, et je ne pouvais pas l’en blâmer. Je n’en aurais d’ailleurs pas eu la force. Appuyée contre le mur, les yeux fermés, j’étais tout simplement heureuse d’avoir retrouvé le monde réel, Venie y compris.

Les autres commencèrent à nous bombarder de questions, et Jimmy leur raconta ce que nous avions vu.

Riggy proposa d’une voix faible : « Si quelqu’un veut y aller, il peut prendre ma combinaison. »

— « Personne ne pourrait l’utiliser dans l’état où elle est, » fit très justement remarquer Helen.

Il faut dire que ni Riggy ni l’intérieur de sa combinaison n’étaient beaux à voir.

« Bien, » dit Jimmy. « On ferait mieux de les remettre en état, puis d’aller les rapporter. »

Nous aidâmes Riggy à se dépêtrer de sa combinaison, et Venie fut chargée de le raccompagner chez lui. Helen et Att la nettoyèrent pendant que Jimmy et moi nous occupions de la pièce. Je ne sais pas comment Jimmy fit pour résister à la nausée ; il devait avoir l’estomac bien accroché. Une constitution de fer, comme on dit.

Lorsque tout fut nettoyé, nous chargeâmes Helen et Att de refermer la pièce du sas, leur recommandant de rentrer ensuite chez eux. Je ne m’étais jamais rendu compte que les aventures exigent tant d’efforts ; pour les préparer, d’abord, puis pour tout remettre en place, ensuite. Dans les histoires, on ne vous raconte jamais qui a été acheter la nourriture et qui l’a préparée, qui a fait la vaisselle, gardé le bébé, étrillé les chevaux, nettoyé les fusils, enterré les morts, raccommodé les vêtements, noué la corde au bout de laquelle le héros se balance si hardiment, sonné du clairon, poli les médailles, ou si ce héros est mort anonymement, et tout cela pour qu’il puisse vivre son destin de héros ? Et qui l’a financé ? Cela ne signifie pas que je ne croie pas dans les héros, mais, ou bien ils sont des parasites, ou bien ils passent la majeure partie de leur temps à préparer leurs petites aventures, et non à y prendre plaisir.

Le fait de réparer nous-mêmes les dégâts, sans compter la tournure fâcheuse que les événements avaient prise, nous avait ôté toute envie de jouer aux héros. Jimmy et moi, portant négligemment les combinaisons sous le bras, prîmes congé d’Att et d’Helen, puis nous nous mîmes en route. Les choses s’étaient si mal passées qu’il était sans doute prévisible que cela continuerait ainsi. En chemin, nous tombâmes sur Georges Fuhonin. Ce fut par surprise, au détour d’une allée ; mais, cette fois, nous ne courions pas et nous ne le fîmes pas tomber, comme nous l’avions fait pour Mme Keithley. Simplement, nous nous trouvâmes soudain à deux pas de lui ; rien à faire pour dissimuler les combinaisons ou pour nous cacher.

« Hello ! Mia ! » dit-il en me voyant apparaître.

— « Hello ! » dis-je. « Que faites-vous ici ? »

Jimmy regarda le géant avec une telle surprise que je dis : « C’est Georges Fuhonin. Il est pilote de vedette. » À voix basse, à l’intention de Jimmy, j’ajoutai : « C’est le pilote de papa. »

— « Ah ! » fit simplement Jimmy.

« C’est justement vous que je cherchais, » dit Georges. « Je le pense, du moins. J’assure le service de surveillance, aujourd’hui, et j’ai reçu une plainte de Mme Keithley, de Technique, contre deux jeunots, un rouquin avec des oreilles en chou-fleur – ça doit être vous, » ajouta-t-il en regardant Jimmy, – « et une jeune fille brune très mal élevée. Ça, je ne sais pas trop qui ça pourrait être, » continua-t-il en me fixant. « Il vaudrait sans doute mieux aller dans un endroit où on pourrait parler ; vous pourrez en profiter pour m’expliquer ce que vous faites avec ces combinaisons. »

— « Nous allions les rapporter, » dis-je. Georges me regarda avec une plaisante ironie.

Je vous passerai les détails qui s’ensuivirent. M. Mitchell fut sincèrement choqué de voir que nous nous étions servis de lui. Je le vis bien à son air, lorsqu’il nous donna les écussons, qui étaient d’ailleurs fort réussis.

Cela se passait dans le bureau de papa, qui avait organisé une petite réunion ; en dehors de lui et de M. Mitchell, y assistaient Mlle Brancusik, la “mère” du dortoir de Jimmy, et M. Mbele. Mme Keithley n’était pas là, Dieu merci ! L’atmosphère était assez désagréable comme ça !

On parla d’elle toutefois ; on nous demanda de l’éviter rigoureusement à l’avenir. Je voyais bien que M. Mitchell avait été blessé par nos actions, mais je ne comprenais pas réellement pourquoi. On nous mit alors les points sur les “i” : nous avions considéré les choses de notre point de vue, sans chercher plus loin, c’est-à-dire prendre les combinaisons derrière le dos de M. Mitchell, qui nous en aurait certainement empêchés. Oui, mais en agissant ainsi nous nous étions servis de lui comme on se sert d’un mouchoir. J’ai tendance à penser davantage aux choses qu’aux gens, et j’ai du mal à me mettre à leur place. Lorsque j’eus compris, je n’étais pas très fière de moi. Ce qui était exactement, je pense, ce que papa voulait que je ressentisse.

On ne nous demanda pas qui avait utilisé la troisième combinaison, mais on nous fit comprendre combien notre aventure avait été dangereuse et stupide.

« Vous pensez sans doute que je devrais être heureux de vous voir faire preuve de tant d’initiative, » nous dit papa, « mais, ce qui me préoccupe avant tout, c’est que votre sens de l’équilibre aurait pu être perturbé de façon permanente si vous étiez restés dehors trop longtemps. Vous risquiez de ne plus pouvoir vous déplacer sans souffrir de vertiges. »

Cela me donna la nausée rien que d’y penser.

Pour terminer, papa fixa ma punition : pendant un mois, plus de libertés personnelles ; après le travail avec M. Mbele ou la classe de survie, je devrais rentrer immédiatement à la maison et ne plus en ressortir. Mlle Brancusik infligea immédiatement la même sanction à Jimmy.

Ce fut peut-être le mois le plus dur de ma vie. Rester dans ma chambre sans bouger alors que les autres étaient libres d’aller et de venir, de jouer au foot, de danser le soir, ou bien de bavarder dans la Salle commune… D’un autre côté, ce ne fut pas une expérience entièrement négative. Par exemple, cela me donna le temps de réfléchir aux défauts de mon caractère ; je n’y pensais pas en ces termes, certes, mais je résolus fermement de ne pas être plus stupide qu’il n’était strictement nécessaire – ce qui, en fait, revenait au même. Et aussi, puisque nous étions tous deux enfermés chez nous, Jimmy et moi discutâmes longuement à la vidéo, ce qui nous permit de mieux nous connaître.

Lorsque notre mois de pénitence fut terminé, notre première sortie fut pour aller à Récupération (en prenant bien soin d’éviter Mme Keithley) afin de présenter nos excuses à M. Mitchell. J’avais rarement fait une chose aussi difficile. Je ne mis mon écusson que lorsque je fus de nouveau en bons termes avec lui, pas avant.

11

À l’automne, la première classe partit pour l’Épreuve, et notre groupe fut automatiquement promu de sixième en cinquième, tandis qu’un nouveau groupe nous remplaçait en sixième. Non seulement j’étais une des plus petites de la classe – cela m’importait peu, d’ailleurs : j’étais Mia Laflèche, la petite futée, et cela me suffisait – mais je fus la dernière à atteindre mes treize ans, le samedi 29 novembre, comme toujours. L’un des avantages d’un calendrier fixe comme le nôtre est de vous donner un sentiment de sécurité.