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Jack et moi allâmes ramasser du bois pour faire cuire le repas. Lorsqu’il fut prêt, les quatre rondins de base étaient en place : les longs, à demi enfoncés ; les courts, posés à même le sol. Les scieurs avaient bien travaillé, et les rondins commençaient à s’amonceler. Le groupe de M. Maréchal en était à peu près au même point que nous, du moins ici ; mais nous ignorions où en étaient les bûcherons.

Jack et moi mangeâmes rapidement, puis nous servîmes les autres. J’allai m’asseoir près de Jimmy et de Riggy. Jimmy avait abattu des arbres, et Riggy coupé des pieux. Nous nous réjouissions de l’heure libre à laquelle nous avions droit après déjeuner. Il n’y a rien de tel que le travail physique pour vous donner des raisons de penser, même si ce n’est que pour passer le temps. Cela me donna de nouvelles idées au sujet du stoïcisme ; pendant que les deux garçons se reposaient, je les notai sur mon carnet.

À mon avis, l’ennui avec le stoïcisme c’est son caractère soporifique. En affirmant le statu quo, il coupe court à toute ambition, à toute transformation. De même que le christianisme de jadis, il affirme que les rois sont rois et les esclaves esclaves, et que c’est bien ainsi ; cela doit plaire davantage aux rois qu’aux esclaves, ce me semble !

C’est comme la question de la prédétermination et du libre arbitre. Que vos actions soient prédéterminées ou pas, il vous faut agir comme si vous disposiez du libre arbitre ; s’il y a prédétermination, vous n’aurez rien perdu. Mais si, en revanche, vous n’êtes pas prédéterminé mais que vous agissez comme si vous l’étiez, vous ne ferez jamais rien. Vous serez simplement un être passif, qui subit les événements.

Je ne suis pas passive. J’ai changé, et je pense que j’y suis pour quelque chose. Tant qu’il me reste un peu d’espoir, je ne deviendrai jamais une stoïcienne.

Au début de l’après-midi, je suivis M. Pizarro et Jimmy pour abattre “mon” arbre. Nous suivions la piste dégagée par les arbres que l’on avait traînés le long du fleuve. Le soleil était très vif, et l’air s’était un peu réchauffé. Cela ne ressemblait guère au Vaisseau, mais je ne pouvais m’empêcher de trouver cela fort agréable. Au bout de quelques centaines de mètres, nous quittâmes le fleuve pour monter dans les sous-bois. Il n’y avait que peu d’arbustes, et le sol était jonché de feuilles mortes qui formaient un tapis roux.

Les garçons chargés de couper les arbres commençaient à revenir. Plusieurs fûts débités en rondins attendaient d’être enlevés. « Voilà ton arbre, » me dit M. Pizarro en me désignant un haut tronc gris marqué d’un cercle blanc. Tout autour de nous, le bruit sec des haches et le crissement des scies commença à se faire entendre.

Je fis le tour de mon arbre et l’examinai. Puis, comme on nous l’avait expliqué et montré, je choisis la direction dans laquelle je voulais le faire tomber : pas sur quelqu’un, et à un endroit où il serait facile de le tronçonner et de l’enlever.

Puis, écartant bien les jambes, je commençai à faire une entaille du côté où je voulais qu’il s’abatte. Je levai ma hache et entamai le tronc ; copeau après copeau, mon encoche se forma. Lorsque cela fut terminé, je m’arrêtai un moment pour souffler.

« Très bien, » commenta M. Pizzaro. « Quand vous aurez fini, envoyez-moi Sonia. Vous savez ce qu’il vous reste à faire cet après-midi ? »

— « Oui, » dis-je.

Il allait de l’un à l’autre, supervisant ce que nous faisions tout en faisant lui-même une bonne partie du travail le plus dur. Il arrivait toujours à l’improviste – ce matin, il était même venu goûter la soupe !

Soudain, quelqu’un cria : « Attention ! » et nous levâmes tous les yeux. Un arbre était prêt à tomber. Il y avait un ravin peu profond entre nous, et, comme le mien, c’était là qu’il devait s’abattre, mais une dizaine de mètres plus bas. M. Pizarro, qui s’était engagé de ce côté-là, remonta, et le garçon, voyant que le champ était libre, donna une poussée à l’arbre, puis se recula. Il n’était pas entièrement coupé, mais la poussée fut suffisante pour briser l’aubier qui restait ; l’arbre trembla d’abord, puis, avec une lenteur majestueuse, s’inclina. Dans le silence – toutes les haches s’étaient tues – on entendit le bois craquer, les branches se briser, puis un immense coup sourd quand il frappa le sol en soulevant un nuage de poussière. Les haches se remirent au travail.

Je contournai mon arbre et l’attaquai pour de bon. Je m’arrêtais de temps en temps pour reprendre haleine et pour donner des coups de pied dans des copeaux parfumés ; finalement, mon arbre commença à frémir, et je sus qu’il était prêt à tomber.

« Attention ! » criai-je. « Écartez-vous ! »

M’étant assurée qu’il n’y avait personne, je le poussai. En reculant, je glissai sur les copeaux humides et m’assis brutalement sur le derrière, les yeux levés vers mon arbre. Au début, je crus ne pas avoir poussé assez fort, puis je le vis vaciller lentement, s’éloignant de moi. Il tomba et l’extrémité, arrachée net de la souche, rebondit et vint frapper le sol, à moins d’un mètre de moi. La cime de l’arbre, qui s’élevait si haut au-dessus de moi, reposait maintenant vingt mètres plus bas, dans le ravin, où l’arbre avait fini par s’immobiliser après avoir glissé sur quelques mètres.

Je le regardai avec satisfaction, puis me relevai, époussetai mon short, pris ma hache et redescendis vers la cabane. Au passage, je fis signe à Jimmy.

Comme je l’ai déjà dit, dans notre groupe, il y avait huit garçons et sept filles. Cinq de ces dernières avaient coupé leur arbre dans la matinée ; maintenant, il ne restait plus que Sonia. Quand j’arrivai, elle faisait une porte, en équipe avec Riggy. Les scieurs nous fournissaient maintenant des rondins plus petits, et fendus en deux, destinés au toit, aux volets et au sol de la cabane. Je lui donnai ma hache et lui dis d’aller rejoindre M. Pizarro, regardai un moment les scieurs, puis j’attaquai ma tâche de l’après-midi.

Les scieurs travaillent à deux, l’un descend dans la fosse, l’autre se tient au bord, et ils scient le tronc placé entre eux. Le seul désavantage est que celui qui est en bas reçoit toute la sciure dans les cheveux ; mais il suffit de changer pour qu’il n’y ait pas de jaloux.

Mon travail consistait maintenant à boucher les fentes de la cabane avec la mousse et la boue que m’apportait Juanita. Les autres avaient disposé des sortes de patins en bois et, à l’aide de cordes, dressaient les rondins pour les mettre en place. Au fur et à mesure, je bouchai tous les interstices avec de la mousse encollée de boue ; je travaillais gaiement, en réfléchissant à l’éthique. Lentement, au fur et à mesure que la cabane prenait forme, l’après-midi se passa.

Lorsque Riggy eut terminé les portes et les volets, M. Pizarro arriva. Les murs étaient déjà hauts, m’entourant de tous côtés, et je devais monter sur un billot pour atteindre le haut. Je bouchais partout où je voyais passer de la lumière.

Poussé par les autres, M. Pizarro grimpa par-dessus les murs non terminés et me rejoignit à l’intérieur. Avec l’aide de Riggy, resté à l’extérieur, il entreprit de découper les fenêtres, sciant à même les rondins ; chaque fenêtre avait la hauteur de deux rondins. Il devint plus facile d’entrer et de sortir ; heureusement, car il était de plus en plus malaisé de placer les rondins en hauteur. Riggy entra aussi ; au lieu d’être à deux pour monter les rondins, ils étaient trois maintenant, plus M. Pizarro ; quand Juanita n’apportait pas la mousse assez vite, je les aidais aussi.