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— « Il va falloir traverser à la nage, » dit M. Maréchal ; il entra dans l’eau jusqu’à la taille pour surveiller l’opération et M. Pizarro fit de même.

L’eau était froide et il n’y avait pas de soleil ; le temps était bien moins favorable que la veille. Nos vêtements sont très résistants et sèchent rapidement, mais, croyez-moi, ce n’est pas très agréable de les faire sécher sur soi. Je frissonnais et claquais des dents.

Quand nous fûmes tous arrivés sur la rive herbeuse, M. Pizarro et M. Maréchal nous rejoignirent. Nous grimpâmes à travers les buissons et les éboulis ; arrivée en haut, je n’étais pas tout à fait sèche, mais du moins je ne frissonnais plus.

Le haut de la falaise était également couvert d’arbres. Mais le plus extraordinaire était de découvrir, de là-haut, l’immense tapis vert foncé et mouvant qui s’étendait à perte de vue sur l’autre rive. Nous nous engageâmes dans la forêt pour rejoindre la falaise, face à notre campement.

Comme j’avais peur de me tenir debout au bord de la falaise, je m’en approchai à genoux pour regarder le fleuve.

Il me parut très loin, je ne sais à combien de mètres, mais qu’importe : suffisamment pour se tuer en tombant ! En bas, il semblait y avoir tout juste assez de place pour se tenir debout. Comme on nous l’avait expliqué, on allait attacher les cordes à un tronc d’arbre, et nous devrions descendre la falaise en rappel, deux par deux. En regardant le fleuve de la position dominante où nous nous trouvions, je dois dire que cette idée ne me disait rien du tout.

Après m’être prudemment éloignée du bord, je me relevai.

« Alors ? » demanda M. Maréchal. « Qui veut essayer le premier ? »

Jimmy répondit sans hésiter : « Mia et moi ! »

M. Maréchal me regarda, et je répondis par l’affirmative. Ce n’est pas que j’en avais tellement envie, mais il fallait le faire de toute façon. Alors, autant y aller les premiers.

Nous avions une corde fixée à la taille ; une autre, qui pendait librement, était passée autour de notre taille et de l’autre corde. M. Pizarro et M. Maréchal nous montrèrent comment il fallait se laisser aller en arrière et descendre par bonds, en lâchant juste assez de corde à chaque fois, et pas plus qu’il n’était nécessaire.

Au signal, nous nous mîmes dos au fleuve, bien encordés. Après un dernier coup d’œil au fleuve et un soupir, je filai une petite longueur de corde et posai les pieds contre la paroi rocheuse. Ensuite, je lâchai davantage de ligne et fis un saut, revenant les pieds contre la paroi. À ma surprise, cela marchait vraiment. La fois suivante, je descendis de deux mètres d’un coup. Ce n’était pas bien difficile, et plutôt amusant. Je regardai Jimmy et éclatai de rire. Et soudain, bien plus tôt que je ne l’aurais cru, je me retrouvai en bas. Il y avait plus de place qu’il n’y paraissait d’en haut. Jimmy atterrit à côté de moi, et presque au même moment.

Après nous être débarrassés des cordes, nous leur fîmes signe qu’ils pouvaient les remonter.

« C’est facile ! » leur cria Jimmy.

« Et amusant ! » ajoutai-je.

Pendant qu’ils remontaient les cordes, Jimmy me dit : « Ça ne sert à rien de rester ici. Traversons. »

Je nageai sur le dos pour pouvoir regarder les suivants faire leur descente. Nous allâmes nous asseoir sur la marche faite d’un demi-rondin que nous avions disposée devant la porte de notre cabane – ultime raffinement. De là, nous les regardâmes descendre deux par deux, les uns après les autres.

« À propos, » dis-je. « Merci de m’avoir proposée ! »

— « Je te connais, » répondit Jimmy. « Tu es un trompe-la-mort, mais tu ne veux pas l’avouer. N’est-ce pas toi qui te promenais dans les conduites d’air ? »

— « Ce n’était pas pareil, » dis-je. « Ça, c’était mon idée à moi. »

12

À la fin du mois de décembre, juste à temps pour les fêtes de fin d’année, les gosses qui avaient subi l’Épreuve en Nouvelle-Dalmatie revinrent. Sur les quarante-deux qui étaient partis, sept manquaient. L’un d’eux était Jack Brophy, que j’avais un peu connu lorsque j’étais à Alfing. En y réfléchissant, je ne pus m’empêcher de me demander quel serait mon sort dans un an, mais je ne m’attardai pas trop sur cette pensée. Les fêtes de fin d’année ont vite fait de vous faire oublier les choses désagréables ; de plus, j’avais fait une découverte qui me donna pas mal à penser, et me montra ma mère sous un jour nouveau.

Les fêtes de fin d’année durent cinq ou six jours (cinq en 2198, qui n’est pas une année bissextile). Dans un vieux livre, j’avais découvert que, avant la réforme du calendrier, le jour supplémentaire était ajouté au mois de février. Cela faisait partie d’un truc mnémotechnique pour se souvenir du nombre de jours de chaque mois ; adapté à notre calendrier, cela donnerait : janvier, février et mars, avril, mai, juin, juillet et août, septembre, octobre, novembre et décembre ont tous trente jours. (J’ai d’ailleurs une mémoire de rat, et je sais même ce qu’est un rat.)

Je me chargeai de préparer notre appartement pour les fêtes. Jimmy et moi allâmes au magasin général du Deuxième Niveau ; je choisis une énorme piñata en forme de poulet ; nous la peignîmes en rouge, vert et jaune. Il y avait aussi une piñata dans le dortoir de Jim, bien entendu, mais le caractère impersonnel du dortoir ôte tout son charme à l’atmosphère de fête, et je m’étais arrangée avec papa pour que Jimmy passe les fêtes chez nous. Après avoir très joliment décoré l’appartement, Jimmy et moi préparâmes tout pour les réceptions du Jour Deux (nous recevions notre groupe des six et quelques autres amis), ainsi que pour la grande réception du Nouvel An, où la maison était ouverte à quiconque voulait venir. Papa n’était que trop heureux que nous nous en soyons chargés : il n’aimait pas particulièrement ce genre de préparatifs, et cela lui faisait une obligation de moins.

À Alfing, j’avais certes des amis, mais je ne les amenais presque jamais à la maison. Mais maintenant, à Géo, il y avait toujours quelqu’un, ne serait-ce que Jimmy. Papa menait sa vie à lui – dans un sens, il vivait dans un monde à part – et on aurait pu penser que la présence d’enfants étrangers l’aurait gêné ; je suis certain que cela le dérangeait, mais il ne se plaignit pas une seule fois. En fait, il allait même jusqu’à approuver ouvertement la présence de Jimmy.

« C’est un brave garçon, » me disait-il. « Je suis heureux que tu le voies souvent. »

Cela ne me surprit pas tellement, car j’avais la très nette impression que c’était en partie à cause de Jimmy que nous avions emménagé à Géo. Ce n’était certainement pas par accident que nous étions tous deux élèves de M. Mbele. J’avais même l’impression (qui fut partiellement confirmée) qu’une discussion avec l’eugéniste du Vaisseau aurait prouvé que notre rencontre n’était nullement accidentelle. Mais cela ne me gênait nullement : à certains moments, j’aimais vraiment beaucoup Jimmy et, à d’autres, il suffisait que je le regarde pour me sentir toute drôle.

Cette confirmation partielle ainsi qu’une autre découverte furent le fruit de mes recherches dans les Archives du Vaisseau. Chaque Salle commune a sa bibliothèque ; j’aime le contact d’un vrai livre, et j’aime en choisir un au hasard dans les rayons, simplement parce que son aspect me plaît. Mais chaque bibliothèque ne peut avoir tous les titres – ne serait-ce que parce que cela prendrait trop de place. Aussi, en général, regarde-t-on les titres et la table par vidéo ; si l’on en a vraiment besoin, on peut alors commander un fac-similé. Il existe bien entendu des choses que les gens ne consultent que rarement, seulement lorsqu’ils ont de bonnes raisons. Bien que je ne fusse poussée que par la curiosité, j’étais prête à profiter de la position de papa pour qu’on me permette de consulter les Archives.