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— « Évidemment, » constata M. Mbele. « Ce que tu dis me paraît fort sensé. »

— « Mais je veux devenir ordinologiste, » dit Jimmy.

— « C’est à cause de l’exemple de ton grand-père, » rétorquai-je.

M. Mbele se déclara presque immédiatement d’accord avec moi, mais Jimmy s’était fixé ce but depuis si longtemps qu’il ne lui était pas facile de changer d’avis. Il fallut du temps pour lui en faire admettre le principe – il n’a pas beaucoup d’esprit critique, mais c’était précisément là la question. Ma décision fut prise plus rapidement : je voulais devenir ordinologiste ; M. Mbele l’accepta sans difficulté. Pour moi, il était plus facile de changer car, en pensant à mon avenir, je mettais toujours synthétiste entre parenthèses, et suivi d’un point d’interrogation. Pour moi, ce changement d’orientation était juste et évident ; et maintenant que je pensais à l’avenir en termes d’ordinologie, il n’y avait plus aucun doute dans mon esprit, surtout lorsque M. Mbele m’eut dit que j’avais tout ce qu’il fallait pour réussir dans cette voie.

Et, lorsque Jimmy se fut accoutumé à cette idée, il modifia lui aussi ses projets. Parce que, après tout, il était créateur.

« C’est toujours toi qui découvres un tas d’entreprises folles à faire, » lui dis-je. « Et c’est moi qui examine quels sont leurs défauts. »

— « D’accord, » dit Jimmy. « Tu seras l’ordinologiste, et moi le synthétiste. »

Je l’embrassai sur la joue. « Merveilleux ! Ainsi, nous pourrons continuer ensemble. »

Peut-être ce changement subit faisait-il partie du processus de ma croissance. Je grandissais, et cela se voyait à de nombreux signes. Témoin le jour où j’allai avec Helen Pak choisir des vêtements au Magasin central.

La stimulation joue un rôle important dans notre vie ; si elle est trop facile, nous devenons pareils à des légumes. En conséquence, on rend certaines choses plus difficiles qu’elles ne devraient l’être. Par exemple, on va faire ses achats sur place, et pas par vidéo.

Helen et moi n’étions pas descendues au Magasin parce que nos vêtements étaient usés mais parce qu’ils étaient devenus trop petits. Depuis un an, je n’avais cessé de grandir, mais je n’avais pas rattrapé les autres, parce qu’eux aussi avaient continué à grandir. Je portais un soutien-gorge maintenant (j’avais eu beaucoup de mal à m’y faire) et mes goûts vestimentaires ne se limitaient plus aux chemisiers, aux shorts et aux sandales. Helen y était pour quelque chose. Elle avait bon goût et insistait pour que je me mette davantage en valeur.

« Tu es jolie, » me disait-elle, « mais qui s’en apercevra si tu t’habilles aussi mal ? »

Personnellement, cela m’était indifférent – vive la nature ! – et je ne tenais pas tellement à me faire remarquer. Mais il y avait quelques personnes aux yeux desquelles je voulais paraître attirante, et je me mis entre les mains d’Helen ; le résultat fut convaincant ! Entre autres choses, elle me fit porter du rose, couleur qui va merveilleusement avec mes cheveux noirs, mais que je n’aurais jamais eu l’idée de choisir.

« Tu comprends, » me disait Helen. « Il s’agit de mettre en valeur ce que tu as de mieux. » Elle aurait eu des raisons d’être fière, mais elle ne s’en vantait jamais. Même papa le remarqua, et Jimmy aussi. Ce dernier ne me fit bien entendu pas le moindre compliment – mais papa, si.

Nous étions donc dans le Magasin, choisissant et essayant, rejetant ou approuvant entre deux fous rires. Je découvris même un corsage qui allait à ravir à Helen, avec ses cheveux blonds et ses yeux orientaux. Cela me fit plaisir d’avoir trouvé une chose qui lui plaisait.

Nous fouillions dans les rayons lorsque je lui dis soudain : « Attends-moi une minute ; j’ai vu quelqu’un que je connais. »

C’était Zena Andrus, qui avait, heureusement pour elle, perdu du poids. Elle était tout enthousiaste et paraissait chercher quelqu’un. Elle me salua de but en blanc : « Hello ! Mia ! As-tu vu ma mère ? »

— « Non, » dis-je. « Il s’est passé quelque chose ? »

— « Oh ! rien de grave ! Mais j’ai reçu ma convocation. Je commence mes classes de survie la semaine prochaine. »

— « Bravo ! » dis-je.

Après quelques mots, elle repartit à la recherche de sa mère. Helen et moi nous regardâmes. Comme le temps passe…

13

Le point culminant de notre classe de survie arriva lorsque, ayant été promus en Première classe, nous allâmes à la chasse au tigre au Troisième Niveau. Il n’y a rien de tel que de chasser un tigre les mains nues, ou presque, pour vous redonner confiance en vous. À condition de sortir vivant de l’expérience – ce qui fut le cas, d’ailleurs.

Descendre au Troisième Niveau avec notre paquetage était devenu de la routine. Jimmy et moi étions dans la navette ; j’étais plutôt morose, comme toujours avant ce genre d’expédition ; pour passer le temps, je jouais un petit air sur ma flûte.

« Tu ne vas quand même pas l’amener ? » me demanda Jimmy.

— « Et pourquoi pas ? »

— « J’admets que tu joues assez bien, maintenant, mais avec des airs comme ça, tu vas déprimer tout le monde ! »

— « On fait un feu de camp, ce soir. »

Nous avions institué des feux de camp avec de là musique et des causeries pour rendre nos soirées plus gaies.

— « Et tu vas nous jouer de la flûte ? »

— « Non. C’est à mon tour de raconter une histoire. Mais tu me donnes bien envie de changer d’idée. »

— « Tu as peur ? » Il ne parlait pas de feu de camp, bien entendu.

— « J’avoue que l’idée de jeter des pierres à un tigre ne m’enchante pas particulièrement, mais je pense que je m’y ferai. Et toi ? »

— « J’ai toujours peur avant. C’est pourquoi j’éprouve le besoin de bavarder ou de faire une partie d’échecs. »

Nous rejoignîmes les autres à la porte 5, comme d’habitude, et allâmes chercher nos héli-paks. M. Maréchal était là, avec deux chiens, et M. Pizzaro aussi. Pour accompagner sa moustache rousse, il s’était laissé pousser la barbe. Après avoir chargé les provisions – et les chiens – dans un transport, M. Maréchal nous fit mettre en rangs et nous inspecta.

« Il est bien clair, » commença-t-il, « que personne n’est obligé de venir. »

Personne ne releva l’invite à se dérober.

« Tout le monde a son couteau ? »

— « Oui, » clamâmes-nous en chœur. C’était la seule arme que nous emportions.

« Je veux que vous compreniez bien qu’au moins l’un d’entre vous sera blessé, peut-être même tué. Vous allez traquer un tigre ; c’est le fauve le plus cruel et le plus perfide qui soit ; vous ne rencontrerez certainement pas d’animal plus féroce pendant l’Épreuve – mais j’espère que vous aurez assez de bon sens pour l’éviter. Aujourd’hui, pourtant, nous allons en dépister un, le traquer et le tuer. Vous y parviendrez, parce que vous êtes encore plus cruels et perfides que lui, en groupe tout au moins. Je peux vous assurer que l’un d’entre vous au moins sera blessé, » répéta-t-il, « et aussi qu’en fin de compte le tigre sera mort. Et je vous garantis que ce sera une énorme satisfaction pour vous. »