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» Tout le monde regarda alors le capitaine de marine, se demandant ce qu’il fallait faire. Finalement, il ôta son veston d’uniforme pour ne pas l’abîmer, rectifia son col de chemise pour avoir bonne apparence malgré tout, et déclara : « J’y vais. » Sur ce, il descendit vers la tanière des lions. D’aucuns disent qu’il avait davantage de courage que d’intelligence, mais d’autres étaient d’avis qu’il avait simplement dû boire un verre de trop. Toujours est-il qu’il disparut dans la tanière, et que l’on entendit les lions grogner. Peu après le capitaine de marine ressortit de la tanière, les vêtements un peu en désordre, et tenant l’éventail à la main.

» Oui. Et, lorsque la jeune demoiselle le vit arriver, elle s’écria : « Me voici ! » et s’apprêta à se jeter dans ses bras.

Le capitaine de marine se contenta de la regarder bien en face et lui dit : « Si vous voulez votre éventail, allez le chercher vous-même. » Et, ce disant, il le rejeta aux lions.

» Ensuite, il retourna à la ville et paya une pinte de bière au lieutenant, après quoi chacun alla son chemin. J’ignore si la jeune demoiselle retrouva jamais son éventail. »

Lorsqu’il put enfin me parler seul à seul, Jimmy me dit : « N’avons-nous pas de la chance d’être venus ici pour une bonne raison ? »

Le matin venu, une fois les feux éteints, les lampes allumées en grand et nos héli-paks protégés par une tente gonflable, nous partîmes avec les chiens en laisse pour chercher la piste du tigre.

Tout en marchant, je ramassai des pierres et m’exerçai à les lancer. Att et Jimmy critiquèrent ma technique : « Non, comme ça, » dit Jimmy en me montrant. Ce qu’il faisait était bien, mais je ne voyais pas en quoi consistait mon erreur.

« Mais si, » dit Att. « Tu tiens le bras trop raide et tout l’effort vient de l’épaule. »

« Exactement, » renchérit Jimmy. « Tu devrais davantage te servir de ton avant-bras et de ton poignet. »

« Alors, Mia, » dit Venie, qui nous avait rejoints. « De nouveau toute douce et prête à apprendre ? »

Ramassant une autre pierre, je la lançai.

« C’est mieux, » décréta Jimmy.

J’allai donner à Venie la réponse qu’elle méritait lorsque les chiens se mirent à japper ; ce n’était pas leur aboiement habituel, mais une note plus aiguë, presque musicale, comme s’ils avaient des raisons de se réjouir.

« Venez voir ici ! » nous cria M. Pizarro.

M. Maréchal était agenouillé près d’une empreinte qui n’avait pas moins de dix centimètres de large, et encore plus de long.

« Et nous y voilà, » dit-il. « Voyez ces grains de sable sur le bord. L’empreinte n’a pas plus de deux heures. » Il leva la main pour estimer la force du vent. « Probablement moins. »

M. Pizarro libéra les chiens. Le corps vibrant, ils reniflèrent les traces, tendus et hésitants. Ce fut un moment d’attente passionnant, puis, soudain, ils s’élancèrent ; leurs jappements changèrent de ton et devinrent plus aigus. Nous les suivîmes, tantôt marchant, tantôt courant, montant et descendant les collines sablonneuses. Heureusement que j’avais mis mes sandales : elles se vidaient aussi vite qu’elles s’emplissaient !

C’est étonnant comment de légères variations de température, du régime des vents et surtout d’humidité peuvent produire de telles différences de terrain et de végétation. Nous éloignant de plus en plus de la prairie, nous entrâmes dans la brousse, passant tantôt dans un ravin pris entre des dunes, tantôt à travers des fourrés quand nous ne pouvions les contourner. Sans doute le repaire du tigre était-il ici, et ne venait-il dans la prairie que pour chasser.

Parfois, nous perdions les chiens de vue, alors seuls leurs aboiements nous indiquaient où nous diriger. Une fois, les chiens perdirent la piste, et ils durent revenir en arrière pour la retrouver. Dans le sable, courir devint vite épuisant. Enfin les aboiements redoublèrent ; apparemment, les chiens avaient aperçu le fauve. Nous arrivâmes au sommet d’une dune juste à temps pour voir le derrière violacé du tigre disparaître derrière un rocher, pendant que les chiens se démenaient autour, cherchant de quel côté le surprendre.

Si, pour faire le Troisième Niveau, il avait fallu amener sur place la terre, le sable et les rochers, c’eût été une entreprise démesurée. Essayez de calculer combien de chargements de vedettes il aurait fallu… Mais comme le Vaisseau n’est en fait rien de plus qu’un énorme rocher, partiellement évide et structuré, il avait suffi de faire sauter la quantité voulue de rocher et de les pulvériser à la consistance désirée. C’est ainsi qu’on avait créé le paysage désertique dans lequel nous nous trouvions.

Nous dévalâmes la dune à la course, en hurlant, nous guidant sur les aboiements des chiens. Un mince sentier se faufilait entre les rochers, puis, soudain, bifurquait ; une sente montait et l’autre continuait tout droit : c’était de là que venaient les aboiements.

Sans s’arrêter, M. Maréchal désigna celle qui montait : « Que quelques-uns prennent par là. »

Je le suivis tout droit. Nous débouchâmes bientôt sur une trouée assez large, et là, devant nous, se trouvait le tigre aux abois, grognant hargneusement et donnant des coups de patte aux chiens. Il était rouge violacé, avec des épaules noires très hautes et une tête triangulaire à l’expression vicieuse ; ses crocs énormes semblaient disproportionnés. Il paraissait aussi inutile qu’un joueur de football professionnel, aussi décoratif et élégant. Nous formâmes un demi-cercle. Les chiens essayaient de mordre ses flancs, puis se hâtaient de bondir en arrière pour échapper à ses pattes.

Il essaya de gagner le fond de l’amphithéâtre rocheux pour s’échapper, mais les chiens l’en empêchèrent. L’un d’eux ne s’esquiva pas à temps ; d’un seul coup de patte, il fut réduit en une masse sanglante agitée de mouvements convulsifs.

Puis M. Pizarro et quatre gosses apparurent sur les rochers, juste au-dessus du tigre. Ils regardèrent la scène de carnage et de poussière qui s’offrait à eux.

L’un d’eux était David Farmer, qui était presque aussi stupide que Riggy Allen. Prenant une pose avantageuse, il gesticula pour attirer l’attention sur lui, et perdit l’équilibre. Ne pouvant se retenir à la roche lisse, il glissa jusqu’en bas et atterrit lourdement sur l’un des flancs du fauve.

Stupéfait et effrayé, le tigre chargea droit sur nous, passant par-dessus le corps du chien agonisant. Malheureusement, il me choisit pour cible. Sans réfléchir, je lui lançai la pierre que je tenais à la main ; je ne sais si je l’avais lancée dans les règles, toujours est-il qu’elle le frappa en pleine gueule. Ce fut le signal d’un déluge de pierres. Le pauvre tigre, hébété, recula vers la paroi rocheuse, mais ceux qui étaient en haut le bombardèrent à leur tour.

Le cercle se resserra autour de lui ; personne n’osait vraiment aller de l’avant, de peur de se trouver seul face au fauve, mais la proximité des autres nous donnait du courage. Puis, faisant des feintes, presque comme les chiens, Jimmy brandit son couteau vers le tigre, qui retroussa les babines en grognant et donna des coups de patte, sans toutefois oser avancer. Voyant que l’attention du tigre était fixée sur Jimmy, Att, que je n’aurais jamais cru capable de cela, sauta sur son dos et lui enfonça son couteau entre les côtes.