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Nous étions seize filles et treize garçons. David Farmer et Bill Niwman manquaient à l’appel : ils se remettaient de leurs blessures. Leur tour viendrait dans trois mois, mais je ne leur enviais pas cette attente. Surtout que d’ici là nous serions revenus, et promus au rang d’adultes.

Juste avant huit heures, Georges Fuhonin et M. Pizarro arrivèrent. En dépit de l’heure matinale, Georges paraissait de fort bonne humeur. En me voyant près de la rampe, il s’arrêta. « Je vois que le grand jour est enfin arrivé, » dit-il. « Je te souhaiterais bonne chance si je pensais que tu en aies besoin, Mia, mais je n’ai aucune inquiétude sur ton sort. »

Je me demandai si je devais partager sa belle confiance.

M. Pizarro commença à monter la rampe, puis se tourna vers nous : « Il est l’heure. Tout le monde à bord ! »

Nous nous assîmes dans la rotonde centrale. Juste avant d’entrer dans la vedette, je m’étais retournée pour jeter un long regard – le dernier, peut-être – sur ma patrie. Dès que nous fûmes tous installés, Georges leva la rampe.

« Attention, » annonça-t-il. « Départ dans dix secondes. »

Le tube se vida d’air, les attaches retenant la vedette se relevèrent, et nous… tombâmes, tout simplement. Georges n’aurait jamais osé faire cela avec mon père à bord. J’eus un léger haut-le-cœur, mais cela ne dura pas longtemps. Georges a un curieux sens de l’humour. Mais je le comprends. Quand on est bon pilote, autant s’amuser un peu quand on le peut.

Att s’était assis à côté de moi ; soudain, il me regarda, comme quelqu’un qui vient de prendre son courage à deux mains. « Mia… je m’étais demandé… Cela te plairait-il que nous fassions équipe ensemble ? »

— « Je suis désolée, Att, » dis-je au bout d’un moment, « mais je crois que c’est non. »

— « À cause de Jimmy ? »

— « Non. Mais je préfère y aller seule. »

— « Soit. »

Il laissa passer une ou deux minutes, puis changea de place.

J’étais apparemment fort populaire ce jour-là, car, un moment après, ce fut Jimmy qui arriva. J’étais plongée dans mes pensées et ne l’avais pas entendu. Il dut se racler la gorge pour me faire lever la tête.

Embarrassé et hésitant, il commença : « Mia… j’avais toujours pensé que nous nous rejoindrions une fois arrivés sur la planète. Si tu le veux toujours…»

Mais je n’avais toujours pas oublié qu’il m’avait accusée d’imiter mon père et traitée de “snob”. Je fis « non » de la tête, et il repartit. Cela me tracassa. S’il y avait vraiment tenu, il aurait essayé de me convaincre – et il aurait peut-être réussi.

Ma blessure ne s’était pas encore refermée. Il avait été trop injuste. Papa n’avait rien à voir là-dedans. Les gens qui habitent les planètes ne peuvent pas être des gens comme nous. Personne ne le leur a jamais appris, et ils deviennent plus ou moins comme ceux que j’avais rencontrés sur Grainau. Sans compter un tas d’autres histoires que j’avais entendues. Si papa et moi étions tous deux parvenus à la même conclusion, en examinant les faits, cela ne signifiait pas que l’un de nous avait convaincu l’autre. Et pourquoi serait-on “snob” si l’on n’aime pas les gens qui ne sont pas vraiment humains ? Hein, dites-moi ça ?

La planète sur laquelle on allait nous déposer s’appelait Tintera. Papa me l’avait dit ce matin, bien que cela constituât une petite entorse au règlement. Mais cela ne prêtait pas à conséquence, car il était certain que je ne savais rien sur cette planète. Notre dernier contact datait d’il y a cent cinquante ans ; nous savions que la colonie existait toujours, mais c’était tout. Le Conseil examine toujours les questions relatives à l’Épreuve, et cette fois la discussion fut vive ; mais ils finirent par se décider pour Tintera quand même : la planète était proche et facile d’accès. Pour les faire changer d’avis, il aurait fallu que papa soulève des objections, mais, à cause de moi, il ne le pouvait pas. On aurait pu croire que c’était du favoritisme.

Nous arrivâmes au-dessus de Tintera, dans l’hémisphère où le soleil se levait ; après avoir survolé une mer, nous nous approchâmes de collines boisées couleur vert grisâtre. Georges repéra une clairière et s’y posa, puis abaissa la rampe.

« Allons-y ! » annonça-t-il par les haut-parleurs. « Le premier à descendre…»

Aucun ordre fixe n’est prévu. Du moment que quelqu’un descend, peu importe qui c’est. Jimmy avait déjà rassemblé tout son équipement ; dès que la rampe fut baissée, il fit signe à M. Pizarro qu’il y allait, et il sortit en tenant son cheval par la bride. C’était tout à fait typique de Jimmy. M. Pizarro le raya sur sa liste, et nous reprîmes l’air presque aussitôt.

Je commençai à rassembler mes affaires, m’assurant que je n’oubliais rien. J’avais déjà tout vérifié, et, de toute façon, il aurait été trop tard pour rajouter quelque chose, mais je ne pouvais m’en empêcher.

À l’atterrissage suivant, je dis à M. Pizarro que j’y allais, devançant Venie, qui s’était levée elle aussi. Je ne sanglai pas mon paquetage, mais me contentai de le balancer sur la selle, et, prenant Ninc par les rênes, je descendis la rampe. Ce n’était pas à cause de Jimmy, mais je tenais à en finir : je ne pouvais plus attendre.

Je fis un grand signe de la main à Georges, auquel il répondit. Puis la rampe se leva et la vedette décolla. Je la regardai partir, froide et impersonnelle, tout en tenant bien Ninc pour l’empêcher de faire des bêtises. La vedette s’éloigna rapidement ; bientôt, elle se confondit avec la couleur du ciel, et je ne la vis plus qu’indistinctement ; pour finir, elle s’évanouit à l’horizon.

Et je restai seule, la jeune fille moderne et téméraire, parée contre tout. Je savais construire le quinzième d’une cabane de rondins, tuer un trente et unième de tigre, embrasser, faire de la broderie, franchir des obstacles, et, en théorie du moins, tuer quelqu’un à mains nues. Pourquoi me serais-je fait de la bile ?

Je survécus à cette première journée – la première sur trente. Il faisait froid et ma première décision fut de mettre mon manteau bariolé. Puis, je fixai mon paquetage et sautai en selle. Sans me hâter, je m’engageai dans la forêt, tout en dressant mentalement une liste des priorités : avant tout, rester en vie. Trouver de la nourriture pour suppléer à mes maigres provisions. Trouver un abri – tout plutôt que la tente gonflable – en repérer un ou, à défaut, le construire.

Ensuite, explorer les environs. Se familiariser avec le paysage et les habitants.

Troisièmement : contacter si possible quelques-uns des autres. Après tout, Jimmy n’avait pas été déposé bien loin, et Venie, ou un autre, serait également à faible distance.

La gravité de Tintera était légèrement inférieure à la normale, ce qui, pour soi d’abord, pour le cheval ensuite, était préférable à une trop forte pesanteur.

Le relief était assez rude ; parfois, j’étais obligée de mettre pied à terre et de me frayer, ainsi qu’à Ninc, un chemin entre les arbres ou les formations rocheuses.

Je fis halte très tôt. Me sentant seule, désorientée par la brusque transition entre le monde chaud et confortable du Vaisseau et cet univers froid et gris, je fis un feu, mangeai et me couchai à une heure que j’aurais trouvée ridicule chez moi.

Ayant déniché un petit creux de rocher près d’une source, je gonflai ma tente. Lorsque la nuit tomba, j’avais fini de manger ; j’entrai dans la tente, mais n’allumai pas la lumière. J’avais froid et j’avais mal partout ; je me sentais mal fichue, comme si j’attendais mes règles, mais ce n’était pas du tout leur date. Pour un peu, j’aurais pensé que j’étais malade. Mais ce n’était rien de tout cela ; simplement, je me sentais malheureuse et seule.