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Blottie dans mon sac de couchage, je me mis à pleurer. Je haïssais cette damnée planète, je détestais Jimmy de m’avoir laissée tomber, et je m’en voulais également. Je n’aurais pas cru que l’Épreuve serait ainsi ; cette étrange solitude n’était pas entrée dans mes calculs. En chevauchant, dans l’après-midi, j’avais effarouché plusieurs animaux d’assez grande taille, disgracieux, avec des genoux protubérants et des têtes bosselées, presque carrées. Lorsqu’ils nous virent Ninc et moi, ils levèrent leurs têtes et nous regardèrent fixement. Ils avaient des cornes qui bifurquaient, des sortes de bois. Le premier moment de surprise passé, ils détalèrent avec un curieux galop mou et disparurent dans les broussailles. Ils avaient tout de suite vu que nous n’étions pas de leur planète. Le sommeil fut lent à venir.

Lorsque je me réveillai, le soleil était levé. Il faisait froid, mais par la suite le soleil devint très chaud ; le vent, toutefois, demeura frais.

Je ne me sentais guère mieux ; il fallait que je bouge pour ne pas trop penser à mes ennuis. J’avais découvert un nouveau désavantage du système de la tortue : cela vous laisse beaucoup trop de temps pour réfléchir aux désagréments des planètes en général, et en particulier de celle où vous vous trouvez, sans parler de la solitude. Et cela, c’était trop pour moi. Ne serait-ce que pour cette raison, il fallait que je devienne un tigre.

Je ne tardai pas à plier bagage ; montée sur mon brave Ninc, je commençai par décrire un grand cercle allant en s’élargissant, une spirale en fait ; cela permet de voir plus de choses, mais comporte un inconvénient : vous empêcher de choisir un itinéraire facile, tenant, compte de la topographie. Souvent, je dus mettre pied à terre et conduire Ninc par les rênes.

À l’une de ces occasions, je vis un petit animal bondir non loin devant moi ; j’avais déjà aperçu de petits quadrupèdes terrestres, ou bien arboricoles, mais jamais de si près. Je tirai instantanément mon pistolet à ultra-sons. La première fois, je le ratai, parce que Ninc avait choisi juste ce moment pour tirer sur les rênes. La seconde fois, je le tuai. À faible distance, ces pistolets sont très efficaces.

Comme je me baissais pour ramasser l’animal, j’entendis un fort bruit dans les buissons. Je levai la tête. L’être que je vis, figé à quelques pas de moi, était pour le moins surprenant. Il se tenait debout sur ses deux jambes et était entièrement couvert d’une fourrure gris vert. En guise de visage, il avait un masque bestial et aplati. J’eus le sentiment très net que je venais de tuer son dîner.

Nous nous regardâmes. Ninc s’ébroua et tira sur les rênes. Je les lâchai, espérant qu’il aurait l’intelligence de ne pas s’enfuir. Puis, le cœur battant, j’avançai vers la créature, le pistolet levé : « Hou ! » lui criai-je. « Va-t-en d’ici ! » Il sembla hésiter, puis, quand je criai de nouveau en agitant les bras, il secoua vivement la tête et détala.

Je revins vers Ninc, me sentant déjà beaucoup mieux. Ma lassitude de la veille venait peut-être des vaccins que l’on nous avait faits. Il me vint à l’idée que, si je devais choisir, je préférerais me passer de mon pistolet plutôt que de cette immunisation. Je parie que bien plus d’explorateurs de la bonne vieille Terre sont morts de la je-ne-sais-quoi galopante que par la faute des animaux sauvages, des accidents et des aborigènes réunis.

Je continuais à chevaucher jusqu’à la tombée du jour. L’animal que j’avais tué se révéla parfaitement mangeable. C’est une question de chance. Pendant nos classes de survie, on nous avait fait manger des choses tellement épouvantables qu’on se demandait comment il était possible de les avaler (le but de la démonstration étant, bien entendu, de nous prouver que la plus invraisemblable gadoue peut vous maintenir en vie). Je m’étais donc fort bien débrouillée. Lorsque j’eus mangé, la fatigue m’envahit et je n’eus aucune difficulté à m’endormir.

Le lendemain, je découvris la route. Je chevauchais sans me presser, en chantant. Je n’aime pas les gens qui ne chantent pas quand ils sont seuls. C’est trop austère pour moi. Au moins fredonner, c’est à la portée de tout le monde. Ainsi donc, chevauchant et chantant, j’arrivai au sommet d’une colline et, en regardant vers le bas à travers les arbres, j’aperçus une route.

Encourageant Ninc du geste et de la voix, je descendis la colline. Longtemps, les rochers et la végétation me cachèrent la route, puis, soudain, elle apparut de nouveau devant moi, toute proche. Elle était toute en tournants, car elle suivait le relief sans jamais tenter de le franchir. C’était une étroite route de terre, avec des traces de roues, de sabots et d’autres que je ne pus identifier. Il y avait également des excréments qui ne provenaient pas de chevaux.

Je savais que l’océan devait être à l’ouest, sans doute pas très loin. Il était fort possible que, d’un côté, cette route y menât. Je n’avais, bien sûr, nullement l’intention d’aller dans cette direction. J’avais déjà vu un océan, et cela me suffisait. J’avais eu mon quota d’océans. Comme il est axiomatique que toutes les routes mènent quelque part, je m’engageai dans la direction opposée, vers l’est et l’intérieur du pays.

Je rencontrai mes premiers voyageurs trois heures plus tard. Je fis arrêter Ninc sous le couvert de quelques arbres. Devant, et allant dans la même direction que moi, il y avait cinq hommes à cheval poussant devant eux un petit troupeau de créatures d’une inimaginable laideur. Tout en avançant péniblement, elles émettaient une sorte de meuglement inarticulé qui vous glaçait le sang dans les veines.

En les regardant, j’eus l’impression que mon cœur allait s’arrêter de battre. Un instant, j’eus même envie de faire volte-face. Mais je savais que si je voulais devenir un tigre je devais un jour ou l’autre leur faire face. Après tout, ce n’étaient que des bouseux. Rien que des bouseux.

J’enfonçai mes talons dans les flancs de Ninc, et il se mit à avancer au pas. En approchant, j’eus nettement l’impression que ces créatures étaient les sœurs de celles que j’avais mises en fuite dans la forêt. Elles étaient absolument inhumaines, avec leurs corps ramassés, verts et grotesques, leurs longs membres et leurs têtes plates. Mais elles marchaient sur leurs membres postérieurs – étaient-ce des jambes ? – et avaient les pattes de devant préhensiles, des mains. Une vraie caricature d’humanité.

Les hommes à cheval qui les escortaient avaient tous des fusils et semblaient aussi inquiets qu’une chatte qui a des petits. L’un d’eux, qui guidait plusieurs chevaux de somme, m’aperçut, et le cria à un autre, qui semblait être leur chef. Ce dernier fit faire volte-face à son cheval noir et vint vers moi au petit trot.

C’était un homme d’âge mûr très grand et avec un visage dur. Assez normal, en fait, mais dur. Arrivé à ma hauteur, il s’arrêta, mais je continuai. Il dut de nouveau faire faire volte-face à sa monture pour me suivre.

Personnellement, j’ai tendance à juger les gens sur leur expression, et je pense avoir raison. Un homme n’est pas responsable des traits de son visage, mais il l’est de ses expressions. Si un homme me semble mauvais, je crois en général qu’il l’est, et ce jusqu’à preuve du contraire. Celui-ci avait l’air mauvais, et c’est pourquoi je continuai à avancer. Il me donnait la chair de poule.

Comme je m’y attendais, il ne tarda pas à m’apostropher :

« Que fais-tu en ces parages, mon garçon ? As-tu perdu la tête ? Il y a des Losels évadés dans ces bois ! »