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Mes cheveux étaient coupés court, et, le froid étant vif, je portais mon pardessus, mais quand même… Je ne tenais toutefois pas à engager la discussion sur ce point, ni à rester plus longtemps en sa compagnie. Je ne lui répondis donc pas. Vous ai-je déjà dit que j’ouvre rarement la bouche en compagnie de gens que je ne connais pas ?

« D’où viens-tu ? » me demanda-t-il.

Je désignai la route derrière nous.

« Et où vas-tu ? »

Je montrai la route devant nous. Qu’aurais-je pu faire d’autre, à moins de prendre à travers bois ? Il paraissait exaspéré. Je provoque parfois cette réaction.

Nous allions rejoindre son escorte lorsqu’il ajouta : « Il vaut peut-être mieux que tu viennes avec nous. Pour ta protection, tu comprends ? » Il avait une curieuse façon de déformer les sons, comme s’il avait la bouche pleine de bouillie. Mais je l’avais parfaitement compris : il voulait m’obliger à faire une chose que je ne voulais pas.

L’un des autres cavaliers vint nous rejoindre. Il devait nous observer depuis un moment. « Tu sais, Horst, » dit-il, « il est tellement petit qu’les Losels doiv’ même pas l’voir. Y a qu’à l’laisser s’débrouiller. »

Il me regarda, et comme je n’avais pas l’air terrorisée – j’avais peur mais je ne voulais pas le montrer – il haussa les épaules, et un des cavaliers se mit à rire.

L’homme au visage dur reprit toutefois la parole :

« Ce garçon nous accompagnera jusqu’à Midland, pour sa protection. »

Je regardai les pauvres créatures qu’ils poussaient devant eux. L’une me fixa de ses yeux dorés et ternes, dénués d’expression. Son regard me mit mal à l’aise.

Je secouai la tête. « Non, je ne pense pas, » dis-je.

Ce que fit l’homme alors me surprit.

« Mais moi, je le pense, » assura-t-il, prenant son fusil.

Je tirai mon pistolet de dessous mon pardessus, si vite qu’il n’eut même pas le temps de lever son arme. Sa bouche s’ouvrit de stupéfaction. Il savait parfaitement ce qu’était ce pistolet, et il n’avait aucune envie de se faire frire.

D’une voix aussi calme que possible, je dis : « Prenez tous vos fusils et laissez-les tomber au sol ! »

Ils s’exécutèrent un à un en me regardant avec méfiance. Lorsque tous les fusils furent par terre, je dis : « Allons-y ! En avant ! »

Ils étaient visiblement réticents. Ils ne voulaient pas abandonner leurs armes. Je les comprenais. Horst ne dit pas un mot, se contentant de me regarder en plissant les paupières ; celui-là, en tout cas, je ne tenais pas à le revoir.

L’un des autres leva une main implorante : « Écoute, mon petit… »

« Ferme ça ! » dis-je, d’une voix on ne peut plus désagréable, et il n’insista pas. Cela me surprit un peu ; je ne pensais pas que ma voix pût avoir cet effet. Peut-être craignait-il simplement que je n’aie la gâchette facile.

Après avoir avancé vingt minutes à une allure reposante – pour nous, pas pour les créatures prisonnières – je leur dis : « Si vous voulez vos fusils, vous pouvez retourner les chercher, maintenant. »

Et, enfonçant mes talons dans les flancs de Ninc, je partis d’un bon trot. Avant un tournant de la route, je me retournai et vis que quatre d’entre eux étaient restés là avec les bêtes et les prisonniers, tandis que le cinquième rebroussait chemin au grand galop, soulevant un nuage de poussière.

Je mis cet épisode dans le casier « En attente, à analyser » de mon esprit et continuai mon chemin. Je me sentais bien, très bien même. Je crois me souvenir que j’eus un fou rire. Parfois, j’en arrive à croire que je suis vraiment une aventurière-née.

15

J’avais neuf ans quand papa m’avait fait cadeau de notre précieux souvenir de famille, la poupée de bois peinte que mon arrière-grand-père avait ramenée de la Terre, celle qui contenait onze autres poupées. La première fois que je l’avais ouverte, j’avais été complètement stupéfaite, et j’aimais observer la surprise de ceux qui la démontaient pour la première fois. Je devais avoir la même expression qu’eux en chevauchant le long de cette route.

Au fur et à mesure que j’avançais, les collines cédèrent la place à une large vallée et les arbres à des champs cultivés. Dans ces derniers, je vis travailler un certain nombre de ces créatures à fourrure verte, mais sous bonne garde, bien entendu. Cela me surprit un peu, car leur aspect timide et craintif n’aurait jamais fait supposer qu’elles soient capables d’effectuer un travail utile. Cela me soulagea aussi, car je craignais que ce ne fussent des animaux de boucherie, et ils étaient trop humanoïdes pour que ce fût acceptable.

Dans la vallée, la route s’était élargie. Par deux fois, je croisai des routes secondaires. Je dépassai plusieurs voyageurs et fus une fois dépassée moi-même par une voiture attelée de deux puissants chevaux. Je rencontrai des chariots, des cavaliers et quelques piétons. Une fois, je vis une sorte de campement établi non loin de la route. Il y avait un grand chariot, et une tente devant laquelle une femme étendait du linge, un puits et aussi un grand enclos à ciel ouvert. Personne ne me demanda qui j’étais ni d’où je venais. Une fois, je dépassai un chariot bâché, lourdement chargé, conduit par l’homme le plus vieux que j’aie jamais vu. Ses cheveux étaient tout blancs et son visage rougeâtre entièrement ridé. Quand il me vit passer, il leva sa vieille main rugueuse et me dit : « Hello ! »

— « Hello ! » répondis-je, et il me sourit.

Vers le milieu de l’après-midi, j’arrivai en vue de la ville, petit point à l’horizon qui allait en grandissant. Enfin, je l’atteignis, telle une ultime petite poupée. La route de terre brune traversait la ville de pierre, de brique et de bois. Lorsque j’en ressortis de l’autre côté, j’étais ébranlée jusqu’au plus profond de moi-même. Mes mains étaient froides et humides et la tête me tournait.

À l’entrée de la ville, une pancarte annonçait : MIDLAND.

La ville paraissait assemblée de bric et de broc, au petit hasard. Vieille. Hors du temps. Datant d’avant l’invention des machines.

Je vis une bande de garçons jouer à chat. Dans une vitrine, un journal était affiché ; le gros titre attira mon attention. Il disait : INVASION ! Un homme misérablement vêtu se penchait en avant pour essayer de déchiffrer l’inscription.

Traversant la ville au pas tranquille de mon bon Ninc, je regardais tout, mais surtout les gens. Parmi les enfants qui jouaient dans la rue poussiéreuse, il n’y avait que des garçons ; je vis quand même deux petites filles, mais elles marchaient bien sagement près de leurs parents.

Il y a une foule de choses que je n’aime pas, comme vous vous en êtes peut-être aperçus. Porter des pantalons, par exemple. J’étais heureuse d’en avoir, car ils me protégeaient les jambes, mais c’était une nécessité. Ici, les hommes portaient des pantalons, jamais les femmes. Elles avaient des vêtements fantaisistes que je n’essaierai pas de décrire ; ils étaient parfois jolis, mais certainement pas pratiques. Je n’aurais pas voulu marcher cent mètres avec cela. Et ne parlons pas de monter à cheval. Tout compte fait, les pantalons ont bien des avantages.

Le nombre d’enfants était incroyable ; ils grouillaient littéralement, toujours en groupes ou en bandes. Et rien que des garçons.

Je vis pourtant un groupe de filles, en uniforme, avançant clopin-clopant sous la surveillance d’un tas de gardiens. Des écolières, sans doute.

La moitié des gens que je vis – non, bien plus que la moitié – étaient des enfants. Une fois, je vis une famille assemblée, et je compris pourquoi. Il y avait le père, la mère et toute une brigade d’enfants – pas moins de huit ! Et tous se ressemblaient !