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À un moment donné, après l’Épreuve – quand on a entre quatorze et vingt ans – on cesse d’étudier et on commence à exercer un métier. Plus tard, à moins qu’on ne travaille déjà dans la recherche, on peut demander un congé pour complément d’études et pour faire de la recherche. C’est à cela que ma mère passe son temps.

Je suivis M. Quince vers la salle de classe. J’avoue que je n’étais pas pressée d’y arriver. J’hésitai entre la crainte et l’agressivité, sans trop savoir ce qui dominerait en fin de compte. À notre entrée, il y eut toute une série de va-et-vient. Lorsque le calme fut revenu, je pus voir qu’il y avait quatre élèves : deux garçons et deux filles.

« Que se passe-t-il ? » demanda M. Quince.

Personne ne répondit. En général, on n’ose pas répondre à un superviseur, sauf lorsque c’est absolument inévitable.

« Alors, Dentremont ! Qu’est-ce que vous fabriquez ? »

C’était un garçon à la tignasse rousse, encore plus petit que moi, avec des oreilles très proéminentes. Il semblait très jeune, mais c’était peu probable puisqu’il était dans la même classe que moi.

— « Rien, monsieur, » dit-il.

Après avoir jeté un dernier regard inquisiteur autour de lui, M. Quince n’insista pas. Il me présenta, mais omit de le faire pour les autres, jugeant sans doute que j’aurais amplement le temps d’apprendre leurs noms. La sonnerie de la première heure retentit, et il nous intima l’ordre de commencer notre étude.

Dès qu’il fut parti, le garçon à la tignasse rousse contourna une des machines à enseigner et se mit à en démonter la plaque du fond.

La fille qui était plus proche de moi dit : « Un de ces jours, M. Quince va s’en apercevoir, Jimmy, et ça va chauffer, tu sais. »

— « On a bien le droit d’être curieux, non ? » dit Jimmy.

Ils firent plus ou moins semblant de m’ignorer, ne sachant sans doute pas – ainsi que moi-même d’ailleurs – quelle attitude adopter. Mais ils ne se privèrent pas de m’épier, et je suis certaine qu’ils profitèrent de la première occasion pour dire à qui voulait les écouter ce qu’ils pensaient de la nouvelle venue du Quatrième Niveau. Il était évident qu’ils se méfiaient de moi autant que je me méfiais d’eux – avec la petite différence que dans mon cas c’était justifié, mais non dans le leur. Je n’aime pas particulièrement que des filles chuchotent et ricanent en me regardant, et, si j’avais été un peu plus sûre de moi, je le leur aurais vertement fait remarquer. Mais je me contentais de me plonger dans mon travail en faisant semblant de prendre un air détaché.

La première heure terminée, les deux filles et l’autre garçon partirent. Seul Jimmy Dentremont resta – moi aussi, car mon plan de travail prévoyait que je demeure dans cette salle pour la seconde heure. Il ne cessait de me fixer d’une façon désagréable. Je ne savais que dire. De toute façon, tous les habitants du Cinquième Niveau n’avaient pas cessé de nous regarder, papa et moi (voire même de nous toucher), comme des bêtes curieuses depuis notre arrivée.

Notre mobilier – ce que nous voulions conserver, du moins – était arrivé le samedi matin, et nous avions suivi dans l’après-midi avec le reste de ce que nous possédions. J’avais quatre cartons remplis de livres, de vêtements et d’un tas de bricoles. J’avais également ma flûte à bec, que j’avais miraculeusement sauvée au dernier moment. Papa l’avait tout simplement mise dans le tas “à jeter” ! À certains moments, ses actes me laissent perplexe.

J’allai porter les cartons dans ma nouvelle chambre, qui était nettement plus grande que l’ancienne. De plus, il y avait beaucoup de rayonnages pour les livres, ce que j’appréciais fort, car j’aime les avoir sous la main et non empilés en tas dans un coin.

Je restai là à contempler mes cartons et, n’ayant pas le courage de les déballer tout de suite, j’essayai de voir quels sons je pourrais tirer de ma flûte. Cela dura trois minutes. Les habitants du Cinquième Niveau ne nous laissèrent pas en paix une seconde de plus.

D’abord, ce furent les voisins qui firent une entrée en masse, disant : « Oh ! monsieur Laflèche, que nous sommes ravis de vous avoir dans notre couloir ! Nous espérons que vous vous y plairez autant que nous ! » « Vous savez, nous, les hommes, nous nous réunissons de temps en temps le soir, et nous comptons sur vous ! » « Ah ! mais c’est votre fille ! Qu’elle est adorable, monsieur Laflèche ! Vraiment charmante ! Si, si…» et : « Vous savez, Laflèche, j’aurais aimé parler de certaines choses à notre représentant au Conseil, mais, puisque vous êtes là, autant vous le dire à vous, qui siégez à l’échelon le plus élevé !…»

Après les voisins, ce furent les curieux et les quémandeurs. Une foule de ces derniers. On les reconnaissait à ce que, au lieu de se contenter de flatter papa, ils faisaient de même avec moi.

C’est bizarre, mais j’ai remarqué que, dans des cas comme celui-là, les seules personnes qu’on aurait envie de rencontrer sont précisément celles qui restent chez elles et ne viennent pas vous embêter. C’est réellement une énigme insondable.

Au bout de quelques minutes, papa alla se réfugier dans son bureau, et les gens s’installèrent dans le living en attendant qu’il les reçoive. L’appartement avait deux ailes, entre lesquelles le living était pris en sandwich. L’une des ailes consistait en trois chambres, une salle de bains et une cuisine-salle à manger. L’autre comprenait le bureau et le cabinet de travail de papa. Le bureau donnait sur un petit appartement vide, destiné à être transformé en salle d’attente ; comme les travaux n’étaient pas terminés, les visiteurs s’agglutinaient chez nous.

Après les avoir regardés un bon moment, je fendis la foule et allai dans la chambre de papa, d’où j’appelai Mary Carpentier.

« Bonjour, Mia ! » s’exclama-t-elle, surprise. « En te voyant à la vidéo comme ça, j’ai l’impression que tu es encore ici. »

— « Je suis encore ici. Je n’ai pas encore déménagé. »

— « Ah ! » fit-elle, visiblement dépitée. Elle s’était sans doute déjà accommodée de mon départ.

— « Mais non, je plaisantais. Je suis à Géo. »

Cela la ragaillardit, et nous bavardâmes un moment. Je lui parlai des gens qui encombraient le living, et nous avons bien ri en imaginant un tas de demandes incongrues qu’ils seraient venus faire à papa. Nous nous jurâmes également, une fois de plus, une amitié et une fidélité éternelles.

Quand j’eus raccroché, j’allai dans le couloir juste à temps pour voir un homme plutôt corpulent se faufiler hors de ma chambre. J’étais certaine de ne jamais l’avoir vu auparavant.

« Que faisiez-vous là ? » lui demandai-je.

Avant de me répondre, il prit le temps de passer la tête dans la chambre de papa pour regarder de quoi ça avait l’air. Puis il dit : « La même chose que vous. Je regarde. »